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Enquête

Le travail du dimanche sème la zizanie entre salariés et syndicats

Enquête | publié le : 01.05.2009 | A. F.

Ses partisans défendent le droit au travail dominical au nom du pouvoir d’achat. Ses opposants craignent un choix contraint et un risque de banalisation.

La hache de guerre est déterrée entre les salariés volontaires pour travailler le dimanche et les syndicats qui, comme FO dans le Val-d’Oise, la CFTC à Thiais-Village (Val-de-Marne) ou la CGT et la CFDT au Plan-de-Campagne (Bouches-du-Rhône), traînent en justice les enseignes ne respectant pas le repos dominical. Pour leur faire baisser rideau. « Les syndicats nous mettent dans la panade avec leurs actions », vitupère Olivier Bouveri, président de Génération Plan, association regroupant un salarié sur cinq du Plan-de-Campagne, cette zone près de Marseille ouverte le dimanche depuis quarante ans et, depuis dix-huit ans, sous le coup de procédures.

Derrière des affiches « Laissez-nous travailler le dimanche ! », le chef d’équipe de Boulanger défilait fin mars à Éragny-sur-Oise avec la Confédération générale des salariés du dimanche (CGSD), l’équivalent de Génération Plan dans le Val-d’Oise. Un collectif né il y a un an, à l’époque où trois Leroy Merlin étaient condamnés à fermer le dimanche, sous peine de 50 000 euros d’astreinte chacun. Une somme doublée depuis le 3 mai ! « Nous ne sommes des travailleurs ni mercenaires ni instrumentalisés par nos employeurs. Nous défendons notre pouvoir d’achat », précise Mohamed Bentout, vice-président de la CGSD (2 500 adhérents) et technicien chez Leroy Merlin, qui plaide pour « le droit à travailler le dimanche ». Bien qu’il ne travaille plus le jour du Seigneur « pour raisons personnelles ».

Le credo des collectifs ? Faire valoir le surplus de rémunération (320 euros net pour quatre dimanches de labeur chez Leroy Merlin et Boulanger) « tout en restant aux 35 heures ». Plus largement, ils défendent le principe du volontariat et le paiement « au minimum double » du dimanche travaillé. Deux conditions mises en avant par la proposition de loi libéralisant le travail dominical, dans les agglomérations de plus de 1 million d’habitants, du député UMP des Bouches-du-Rhône, Richard Mallié. Reportée sine die pour avoir suscité une foire d’empoigne en 2008, elle a ressurgi en avril, au Sénat, via des amendements à un texte sur le tourisme.

Volontaires désignés. Mais la garantie du volontariat n’est pas entendue dans les fédérations syndicales du commerce, vent debout contre la proposition Mallié. « Avec cette proposition de loi, le gouvernement s’est assis sur la consultation préalable des partenaires sociaux », note Aline Levron, de la CFDT Commerce, pour qui « le texte est proprement insuffisant pour assurer un vrai volontariat : il n’inclut pas la possibilité pour les salariés d’arrêter le travail dominical, avec un délai de prévenance ». Éric Scherrer, de la CFTC Commerce, est plus sceptique. « Voyez les pratiques du secteur. Quand les managers manquent de volontaires, ils font la liste. » Révélateur, la mise à pied en janvier d’un vendeur d’hyper Géant Casino à Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône) : désigné volontaire par sa hiérarchie, sans l’être, il n’a pas pris son poste.

Qu’est-ce que le volontariat lorsque l’on est smicard à temps partiel ? C’est un choix économiquement contraint », renchérit Christophe Le Comte, de FO Commerce. « Avec la pression collective, le volontariat des uns finit par s’imposer aux autres, ajoute Karl Ghazi, à la CGT. Ça crée des tensions dans les équipes. » Et un risque que l’acceptation du travail dominical devienne une condition implicite d’embauche puis de progression de carrière. Quant au paiement double du dimanche travaillé, il est balayé à la CGT Commerce : « Les majorations tomberont en cas de généralisation du travail dominical, car il ne sera plus exceptionnel. » Surtout, il y a les possibilités de dérogation ouvertes par la loi sur la démocratie sociale d’août 2008, autorisant un accord d’entreprise à se substituer à la loi.

Autre dérogation bien tangible, la loi Chatel, qui autorise depuis 2008 les magasins d’ameublement à ouvrir le dimanche sans contrepartie sociale, a jeté un froid. Surtout à la CFDT, qui privilégie, plus que les actions en justice, la signature d’accords départementaux avec les employeurs limitant le travail dominical et l’assortissant de contreparties sociales. Faible digue : la loi Chatel a fait tomber l’accord paraphé dans le Rhône, plus avantageux… De quoi renforcer la détermination à ouvrir un débat de société.

Mais le principal argument syndical reste l’opposition des salariés du commerce à la libéralisation de l’ouverture dominicale. Selon le Credoc, 55 % y sont opposés. FO Commerce pointe une augmentation de 20 % de ses adhésions depuis qu’elle multiplie les actions en justice et la CGT invoque son score en hausse aux prud’homales au Plan-de-Campagne. Quand l’audience de la CFTC et de FO, favorables localement à l’ouverture dominicale ou à une fermeture progressive des enseignes, s’effondrait.

Astreintes. Car le travail dominical sème la zizanie entre sections d’entreprise et fédérations. À Leroy Merlin, les cinq syndicats ont paraphé en 1999 un accord sur le travail dominical. Par souci de cohérence, la CFTC Commerce interdit désormais à ses sections de signer de tels accords et poursuit elle-même les enseignes : « Les unions départementales subissent trop de pressions. » Encore faut-il endosser, après les actions juridiques, les pertes d’emplois générées par les fermetures de magasins. « Quand l’astreinte sera portée à 100 000 euros par dimanche travaillé, nous n’aurons plus d’intérêt à ouvrir nos magasins du Val-d’Oise. Cela signifie 150 licenciements de salariés, ne travaillant que le week-end, qui ne veulent pas être reclassés en semaine », note Stéphane Calmès, DRH de Leroy Merlin. FO Commerce a proposé de reverser une partie des astreintes gagnées (plus de 7 millions d’euros) si l’enseigne maintenait l’emploi. Sans recevoir de réponse.

Pression sur les salaires

Inutile de demander : on ne saura pas combien des cadres sup de Hewlett-Packard-EDS France ont accepté de diminuer, au 1er mai, leur salaire de base de 10 à 15 % ! « Chacun est libre de son choix et assuré que sa démarche restera confidentielle.

C’est essentiel pour préserver l’ambiance générale », note le constructeur engagé dans un plan mondial d’austérité. Dans l’Hexagone, où aucune baisse de salaire ne se fait sans l’acceptation du salarié, il a été contraint d’en appeler au volontariat. Il n’est pas le seul. Fin 2008, Donatello a obtenu 10 % de baisse de salaire.

En février, un imprimeur de Givet (Ardennes) s’est heurté, par contre, au refus de ses salariés, auxquels il proposait jusqu’à 10 % de baisse de salaire pour amoindrir le nombre de licenciements (deux a minima). Un choix contraint ! Chez HP-EDS, en revanche, la direction assure qu’« aucun licenciement pour motif économique, consécutif à (un) refus, n’est envisagé ».

Ce qu’elle pourrait faire, selon l’Institut français des experts-comptables, à condition de « débourser des indemnités de licenciement ».

L’opposition syndicale au plan, qui concernera en octobre employés et cadres, n’en est pas moins vive. Dénoncés, la mise sous « pression » des salariés alors que 580 suppressions de postes sont en cours et le manque de contreparties : « la direction ne garantit pas l’absence de plan social à l’avenir », pointe la CFDT. Aucune assurance, non plus, qu’après la crise le salaire soit restauré. Les syndicats ont appelé les 6 300 salariés à refuser le plan. Selon la CFTC, plus de 1 100 avaient choisi de dire non, début avril.

Auteur

  • A. F.