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L’intérim se serre la ceinture

Dossier | publié le : 01.05.2009 | S. G.

Premier à trinquer en période de crise, le marché du travail temporaire est aussi le premier à bénéficier de la reprise. En attendant, réductions d’effectifs et chômage partiel sont le lot des prestataires.

Le marché du travail temporaire a commencé à flancher dès le printemps 2008, avant même l’aggravation de la crise financière. La chute a commencé sur un rythme raisonnable : – 5 à – 6 % avant l’été. Mais elle s’est vite emballée : – 12 % en septembre, – 20 % en décembre, – 32 % en janvier, – 34 % en février, – 38 % en mars… La baisse est d’autant plus sévère que ce marché sort de quatre ans de forte croissance : fin 2007, le nombre d’emplois occupés en intérim a frôlé les 640 000 équivalents temps plein. Il a bien vite replongé : proche de 400 000 équivalents temps plein, il retourne plus de dix ans en arrière, à ses niveaux du début de l’année 1998. « Il n’est pas anormal que l’intérim, outil de flexibilité par excellence, souffre en premier de la crise », note François Beharel, président de Randstad (numéro deux mondial depuis sa fusion avec VediorBis). Cette même logique veut que les premiers frémissements de croissance se traduisent par une remontée immédiate de la demande de travail temporaire : « Quand les entreprises n’ont pas encore assez de visibilité pour embaucher en CDI, elles passent par l’intérim », explique Arnaud de la Tour, président du Prisme (l’organisation patronale des Professionnels de l’intérim, services et métiers de l’emploi).

Reste à savoir quand se produiront ces premiers frémissements. Car les 1 200 entreprises de travail temporaire commencent à avoir du mal à entretenir leur réseau de 6 000 agences et leurs 23 000 salariés permanents. Les trois géants du secteur (qui détiennent 70 % du marché) se serrent la ceinture : Adecco (8 500 salariés) a engagé un plan de 600 suppressions d’emplois et n’exclut pas de recourir au chômage partiel dans les régions les plus sinistrées (voir l’interview de François Davy page 58) ; Randstad (5 000 salariés) a annoncé un plan social portant sur 489 postes et prévu un budget de 25 millions d’euros pour l’accompagner ; Manpower (3 000 salariés) ne prévoit officiellement aucune suppression d’emploi. Mais le numéro trois français ne renouvelle pas les CDD, ne remplace pas les départs volontaires (au moins 300 par an) et regroupe certaines de ses agences (dont le nombre baisse de 830 à 615). « Comment faire autrement avec une masse salariale qui représente les deux tiers de nos coûts et une marge opérationnelle qui ne dépasse pas 3,5 % ? s’interroge François Beharel, de Randstad. Si l’on veut pouvoir profiter de la reprise, encore faut-il que nous soyons là quand elle se présentera ! »

Quant aux « petits » du secteur, « ils font preuve d’une combativité exceptionnelle », note Arnaud de la Tour. Certains combats restent malgré tout impossibles : dans les régions industrielles les plus touchées par la crise (dans l’est de la France, notamment), les agences travaillant essentiellement avec des entreprises du bâtiment ou de l’automobile ont dû mettre leurs équipes au chômage partiel. Mais ailleurs, les entreprises de travail temporaire défendent pied à pied leurs parts de marché : les 200 agences StartPeople (800 salariés) organisent ainsi des « opérations commandos » pour démarcher toutes les PME et les TPE de leur territoire et identifier la moindre piste d’emploi. « Nous devons montrer aux intérimaires – avec lesquels nous voulons continuer à travailler après la crise – que nous nous battons pour eux », explique Céline Baumann, directrice marketing. Accessoirement, ce challenger ne cache pas sa volonté de profiter de la crise pour grignoter des parts de marché sur les trois géants…

Polyvalence. Engager ces démarches commerciales permet, certes, de doper un peu le chiffre d’affaires. Mais c’est aussi un moyen de mobiliser les équipes autour d’un objectif… voire, plus prosaïquement, de les occuper. La crise oblige les entreprises à revoir complètement les missions de leurs collaborateurs en agence : il y a seulement un an, leur priorité était de « sourcer » les bons profils et de fidéliser les intérimaires. De consultants, ils sont devenus de plus en plus commerciaux. À mesure que les effectifs se réduisent en agence, les enseignes valorisent la polyvalence : un consultant est aussi évalué sur ses résultats commerciaux.

Mieux vaut en effet faire vivre des agences en sous-effectifs que les fermer purement et simplement. La proximité de ces 6 000 points de contact avec le tissu économique local est l’une des principales forces du secteur. « Nous avons 90 000 clients à travers la France, explique Françoise Gri, présidente de Manpower. Si nous lâchons la proximité, nous perdons notre capacité à accompagner les entreprises. » Son homologue d’Adecco, François Davy, a même suggéré que ce réseau soit mis à profit par Pôle emploi pour accompagner les demandeurs d’emploi. À défaut, la plupart des enseignes de travail temporaire ont décidé de répondre à l’appel d’offres lancé fin mars par le service public de l’emploi pour accompagner 320 000 chômeurs vers le retour à l’emploi.

Tous les leviers de croissance sont explorés. À commencer par le « placement » : la loi Borloo de 2005 autorise en effet les entreprises de travail temporaire, rebaptisées, depuis, agences d’emploi, à faire du recrutement en CDD ou en CDI. Ce marché, qui représente entre 5 et 15 % de leur activité, se porte à peine mieux que l’intérim ! Les enseignes de travail temporaire développent donc des activités connexes : accompagnement et reclassement des demandeurs d’emploi, management de transition, évaluation, conseil, formation… Mais le travail temporaire reste toutefois leur cœur de métier et pèse pour plus de 80 % dans leur activité, les condamnant à attendre stoïquement la reprise.

François Davy Président d’Adecco France
“Accompagner les demandeurs d’emploi, c’est notre métier”

En un an, le marché de l’intérim a diminué de 600 000 postes (équivalents temps plein) à 400 000. Comment résiste-t-on à une telle crise ?

On souffre ! Et ce n’est pas fini ! Contrairement à ce que l’on commence à entendre, je doute que la reprise soit pour la rentrée prochaine. La crise actuelle est aussi profonde que le premier choc pétrolier, en 1973. La récession avait alors duré trois ans. Heureusement, le papy-boom continue à retirer plusieurs centaines de milliers de salariés du marché du travail chaque année. De plus, les effets du plan de relance commencent à se faire sentir, sur le marché du bâtiment notamment.

Quelles mesures avez-vous prises pour traverser cette crise ?

Nous avons dû – comme tous nos confrères, même ceux qui prétendent le contraire – engager un plan de réduction des effectifs.

Plus de la moitié des départs sera volontaire. Ce qui prouve que nous avons su développer l’employabilité de nos collaborateurs. Interdire les licenciements n’a évidemment pas de sens. Mais on devrait interdire les licenciements de personnes inemployables.

Par ailleurs, dans les régions industrielles les plus sinistrées, je n’exclus pas de recourir au chômage partiel : pour des raisons économiques (certaines agences ayant perdu jusqu’à 75 % de leur chiffre d’affaires), mais aussi pour préserver le moral des équipes.

Répondez-vous à l’appel d’offres lancé par Pôle emploi pour accompagner 150 000 licenciés et 170 000 chômeurs en difficulté ?

Bien entendu ! L’accompagnement des demandeurs d’emploi, c’est notre métier. Du reste, je me demande pourquoi le gouvernement n’a pas décidé de confier cette mission aux agences d’emploi : avec notre réseau de 6 000 agences à travers la France et nos professionnels formés à l’accompagnement humain des demandeurs d’emploi, Pôle emploi aurait trouvé des équipes immédiatement opérationnelles. Je suis, certes, juge et partie… mais aussi sincèrement convaincu que c’eût été une excellente solution !

Auteur

  • S. G.