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Vie des entreprises

Michel Francony veut donner des repères aux électriciens d’ERDF

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 01.04.2009 |

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Nombre de clients se fournissant chez un concurrent d’EDF

Crédit photo

Produit de l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité, la filiale de distribution d’EDF est encore en construction. Finaliser l’organisation, élargir les missions au conseil, définir un modèle social… son président s’attelle à rude tâche.

Pour sa première année d’existence, la jeune société Électricité Réseau Distribution France (ERDF) aura été mise à bien rude épreuve. Klaus et Quintin, les deux tempêtes qui se sont abattues en janvier et février sur le sud-ouest et l’ouest de l’Hexagone, ont nécessité le déclenchement de la force d’intervention rapide électricité constituée après la tempête de 1999, avec l’envoi de près de 6 000 agents pour rétablir le courant chez 2 millions de clients privés d’électricité. Un sacré baptême du feu pour la filiale d’EDF née le 1er janvier 2008 et chargée d’assurer la distribution de l’électricité.

Car le long accouchement d’ERDF, fruit de plusieurs lois ouvrant le marché de l’électricité à la concurrence, s’est traduit par un changement complet de taille et d’organisation. Alors qu’EDF-GDF Services, qui a longtemps commercialisé et distribué l’électricité et le gaz, comprenait 80 000 salariés, ERDF n’en compte plus que 45 345, dans un service dit « commun ». Dont 34 936 électriciens et 10 409 gaziers… rattachés à GRDF, filiale de GDF Suez… Une réorganisation qui aura coûté au contribuable 1,5 milliard d’euros pour permettre à 700 000 particuliers de se fournir ailleurs que chez EDF.

Opposé, comme beaucoup de dirigeants d’EDF, à l’ouverture à la concurrence, Michel Francony, qui a effectué toute sa carrière chez l’électricien, a néanmoins relevé le défi et accepté de piloter la nouvelle entreprise. À charge pour cet X-Ensae de 61 ans de remotiver des troupes déboussolées par la filialisation, de donner un corpus à son entreprise en renégociant tous les accords EDF et de dégager des recettes nouvelles pour moderniser un réseau vieillissant.

1-Créer une marque ERDF

Une fleur à pétales verts pour ERDF, au lieu de la fleur à pétales orange d’EDF : ce n’est pas avec le nouveau logo arboré par son parc automobile que la filiale chargée de la distribution parviendra à se démarquer de sa maison mère. Lucide, Michel Francony, le président du directoire d’ERDF, sait que les clients continueront de confondre son entreprise avec EDF. Alors, à tout le moins, que l’image dont bénéficie EDF devienne également celle des hommes en bleu d’ERDF ! « ERDF hérite des valeurs de service public que le distributeur a portées depuis toujours et nous entendons que ces valeurs appartiennent à la marque ERDF. » Lors de la tempête de janvier dernier, Pierre Gadonneix, le président d’EDF, a été rappelé à l’ordre par la Commission de régulation de l’énergie pour avoir entretenu la confusion dans l’esprit du grand public entre le fournisseur d’électricité, EDF, et le distributeur, ERDF.

Plutôt que de chercher à rivaliser en termes d’image avec l’opérateur historique, Michel Francony vise à capitaliser sur les valeurs de service public, marque de fabrique d’EDF, désormais portées par ERDF. Dans un marché ouvert en 2004 pour les clients professionnels et depuis 2007 pour les particuliers, EDF est devenu un vendeur d’électricité, au même titre que Direct Énergie ou Poweo, tandis que, pour sa part, ERDF veille à faire respecter l’égalité de traitement entre tous les clients, où qu’ils soient situés sur le territoire. C’est le sens du projet industriel, social et sociétal (Pinso) impulsé par la direction d’ERDF en 2008.

Reste que l’énorme chantier de construction de l’entreprise ERDF est toujours en cours, si l’on en croit les organisations syndicales. « Nous n’avons pas encore retrouvé nos repères identitaires », assure Philippe Lèbre, le délégué central CFDT, qui taxe la direction d’un excès d’optimisme lors de la création d’ERDF. « Michel Francony a manifesté la volonté de relancer le distributeur, de l’inscrire dans une dynamique afin de rassurer le personnel, en montrant que celui-ci tirerait bénéfice de la filialisation. Or la réalité n’est pas tout à fait celle-là. » D’autant que les effectifs se réduisent d’année en année et que, dans certaines unités, la durée du travail dépasse largement le cadre légal.

2-Peaufiner l’organisation

La séparation du personnel commercial, resté à EDF, et du personnel technique, parti chez ERDF, a contraint la direction de la nouvelle filiale à chambouler l’organisation de la distribution. Et à regrouper les agents « en une maille plus grande », selon la terminologie propre à la maison. Exit les 102 centres départementaux ! Place aux directions régionales, et même suprarégionales, puisque l’une d’elles, la direction Manche-mer du Nord, couvre 11 départements. Exploitants et commerciaux, naguère sous la même enseigne, communiquent désormais par systèmes d’information interposés !

Au cœur de cette organisation territoriale, l’Ile-de-France, qui pèse pour un quart du chiffre d’affaires d’ERDF, a vu disparaître ses 11 centres historiques, au profit de trois « mailles » (Paris, Est et Ouest-Ile-de-France), découpées chacune en trois unités de métiers (réseau électricité, réseau gaz, et clients et fournisseurs). En fonction de leur champ d’activité, l’électricité ou le gaz, les 7 000 agents, qui ont la particularité de compter deux employeurs, sont imputés comptablement à ERDF, GRDF, ou pour partie à l’une et à l’autre des deux filiales. Une complexité que ne nie pas Christine Goubet-Milhaud, directrice des opérations Ile-de-France. « C’est une opération de reconstruction, reconnaît cette énarque passée par le ministère de l’Équipement et par Matignon. Chez les partenaires sociaux et chez certains salariés, il peut y avoir encore de la nostalgie des anciens centres, avec tous les métiers présents. Les agents sont en attente de nouveaux repères. À nous de donner avec cette nouvelle organisation le sens et les orientations du projet industriel et social de notre nouvelle entreprise. »

Pour Philippe Lèbre, le délégué central CFDT, « la communauté de travail a profondément changé. Auparavant, les plombiers, les monteurs, les commerciaux étaient tous regroupés au sein du même établissement et avaient les mêmes repères sociaux. Aujourd’hui, les salariés n’ont pas tous le même patron, ils n’ont pas les mêmes accords d’intéressement… ». À la Défense, au siège d’ERDF, Bernard Lassus, le directeur général adjoint des ressources humaines et de la communication, assume cette réorganisation, même s’il voit bien remonter, dans les baromètres sociaux, les interrogations des cadres de proximité sur la rapidité du changement : « Nous avons agrandi les mailles pour gagner en homogénéité, notamment avec les unités métiers et les interfaces clients-fournisseurs, et par une harmonisation des pratiques. La méthode Francony consiste à définir des cibles de performance et à donner l’initiative stratégique aux managers de terrain. »

3-Élargir le périmètre d’activité

Tout au long de l’année 2008, la direction d’ERDF a mené une intense action de lobbying auprès des collectivités locales, qui sont les propriétaires du réseau d’électricité français. L’opération, baptisée « Mille rencontres » (autant que de concessions), visait à convaincre les élus de la nécessité de relever le tarif de l’électricité afin de donner à ERDF les moyens de réinvestir dans un réseau désormais vétuste. Mais aussi de confier aux « hommes en bleu » des missions nouvelles, ce que seule la loi peut autoriser.

La filialisation a attribué à la maison mère, EDF, le conseil aux clients, cantonnant les techniciens d’ERDF à ce que Michel Francony appelle une « fonction tournevis », c’est-à-dire le branchement et le réglage des compteurs. Cette tâche étant vouée à disparaître avec l’installation des compteurs intelligents, le président d’ERDF souhaite voir les prérogatives de son entreprise élargies à une mission de conseil, notamment pour l’installation de ces compteurs, prévue entre 2012 et 2017. Avec un calcul simple : une heure de conseil chez 35 millions de clients, cela représente 35 millions d’heures de travail. Mais cela suppose aussi de doter ERDF de recettes nouvelles. C’est dans ce sens que ses dirigeants ont plaidé auprès des élus afin d’obtenir, dans le cadre du Grenelle de l’environnement, un amendement ad hoc autorisant la filiale d’EDF à faire du conseil.

Par-delà, Michel Francony veut en finir avec la politique malthusienne qui a rétréci comme peau de chagrin l’activité de service public et lui a imposé des gains de productivité importants, de l’ordre de 4 à 5 % par an sur la période récente, ramenés entre 2 et 3 % cette année. « Nous avons marqué une inflexion. Nous allons désormais remplacer un agent sur deux partant à la retraite au lieu d’un sur quatre ou cinq au cours des dernières années. » Mais les syndicats ont fait les comptes. « En sept ans, nous avons perdu 7 000 emplois, et d’ici à 2016, selon les chiffres fournis par la direction en comité central d’entreprise, nous allons en perdre encore 7 000. Face à cette dégradation massive de l’emploi, nous proposons un scénario alternatif, basé sur un remplacement d’un pour un », explique Bruno Bosquillon, le secrétaire général CGT du CCE. Et, d’ici à fin 2010, ERDF va enregistrer plus de 3 800 départs à la retraite.

4-Renégocier les 35 heures

Entre janvier 2008 et mars 2009, les partenaires sociaux disposaient de quinze mois, et pas un de plus, pour remettre sur le métier les quelque 37 accords d’EDF-GDF Services tombés lors de la création d’ERDF. Sachant que RTE, la filiale créée en 2000 pour le transport du courant à haute tension, n’a toujours pas achevé l’exercice. Un véritable marathon, mené par deux DRH, Michel Pernette pour ERDF et Jean-Philippe Cagne côté GRDF. La première étape, la signature d’un accord de méthode, a été couronnée de succès, puisque les cinq confédérations l’ont approuvé. Les accords « techniques » comme la mise en place de nouvelles IRP – ERDF rentrant dans le droit commun avec CCE, CHSCT et DP – ont été signés sans encombre. Même chose sur les sujets consensuels : égalité professionnelle, intéressement ou apprentissage.

Mais il reste, à ce jour, une vingtaine de sujets de négociation en cours ou à traiter, dont la GPEC, le CET, la formation tout au long de la vie, la médecine du travail, les régimes supplémentaires de retraite, le Perco… Et, surtout, l’aménagement du temps de travail, qui a fait l’objet d’un bug en février. Foin des 32 heures en vigueur depuis 1999 dans le groupe EDF ! La direction d’ERDF a proposé un retour aux 35 heures pour tout le monde, en contrepartie d’une moindre amplitude horaire et d’un allégement des astreintes, qui s’est soldé par les seules signatures de FO et de la CFE-CGC, représentant 21,40 % des voix.

Pis, lors d’une vaste consultation du personnel organisée par les syndicats en janvier, 82 % des salariés ont rejeté le projet de la direction et 80 % ont demandé aux organisations non signataires (CGT, CFDT, CFTC) de faire opposition. « Nous nous sommes heurtés à un double problème : une volumétrie trop importante et un manque de culture de la négociation sociale, estime Michel Dupeyron, le délégué central CGT. Mais le projet de la direction traduisait également un véritable recul social par rapport à l’accord de 1999. Car les salariés étaient parvenus, grâce aux 32, 33 ou 34 heures selon les centres, sur quatre jours, à un équilibre entre vie professionnelle et vie privée. »

Résultat, l’accord va seulement traiter le forfait jours, afin de se mettre en conformité avec la loi de 2008. Pour Philippe Lèbre, de la CFDT, la direction a fait une erreur d’analyse, en tablant sur la « neutralité bienveillante » de la CGT et sur la signature de son syndicat, profondément attaché à « la mesure de réduction collective du temps de travail ». Et le délégué central CFDT de douter qu’après ce net durcissement des relations sociales le « terrain » soit favorable à la conclusion, cette année, d’accords locaux sur les astreintes. Surtout avec une CGT qui peut atteindre 80 % dans certaines régions comme l’Ile-de-France.

5-Introduire la participation

S’il n’y a guère de grain à développement du service public d’électricité introduit l’ouverture progressive du marché de la fourniture d’électricité et de gaz.

2004

Ouverture le 1er juillet du marché de l’électricité et du gaz aux clients professionnels.

2007

Ouverture le 1er juillet du marché de l’électricité et du gaz aux particuliers.

2008 Création le 1er janvier d’ERDF, chargé de la distribution d’électricité.

Nombre de clients se fournissant chez un concurrent d’EDF
ENTRETIEN AVEC MICHEL FRANCONY, PRÉSIDENT DU DIRECTOIRE D’ERDF
“Nous devons recréer des emplois socialement utiles”

Quel bilan tirez-vous de la création d’ERDF ?

La loi nous a obligés à renoncer à une organisation intégrée, chargée de la commercialisation, du service à la clientèle et de la gestion du réseau pour l’électricité et le gaz, qui fonctionnait bien. Ces transformations ont abouti à la création d’ERDF, en charge de l’exploitation, de la maintenance et du développement du réseau de distribution d’électricité et du fonctionnement du marché. Notre première mission a donc été de redonner du sens à un corps social qui avait perdu ses repères.

Cette filialisation s’est accompagnée d’un changement d’organisation…

L’organisation reposait sur 102 centres départementaux, où étaient étroitement associées les fonctions techniques et commerciales. L’ouverture du marché s’est traduite par le nécessaire éclatement de l’organisation intégrée. Il a fallu procéder à des regroupements d’entités et à l’élargissement des mailles managériales. Sans nul doute, des efforts de pédagogie sont à faire, notamment à l’égard des élus, qui ont eu le sentiment que le pouvoir de décision s’éloignait d’eux.

La hausse du tarif de l’électricité vous donne-t-elle des marges de manœuvre ?

Oui, mais pas suffisamment en ce qui concerne l’emploi. Le régulateur n’aurait pas proposé une hausse des tarifs de 10 % sur quatre ans sans l’engagement d’ERDF de poursuivre des gains de productivité avec une réduction des effectifs de 2 à 3 % par an. Même si on a repris les recrutements, même si on renouvelle les compétences et que l’on recrute à nouveau des cadres et des techniciens supérieurs pour compenser les départs liés au papy-boom, il n’en demeure pas moins que notre modernisation va détruire de l’emploi. J’ai donc la volonté de compenser cette destruction d’emplois par la création d’emplois socialement utiles.

Quel type d’emplois ?

La loi a circonscrit le rôle du gestionnaire du réseau d’électricité. Il nous appartient d’étudier les voies pour élargir nos missions. Prenons l’exemple du projet des compteurs communicants qui a pour effet la suppression d’un grand nombre d’emplois actuels. Il conviendra d’accompagner leur mise en place d’un service après-vente et d’une activité de conseil nous permettant de réinvestir les postes supprimés dans de l’emploi socialement utile. Mais il faut l’expliquer au management et aux agents. Sinon, ils vont penser que leur métier n’a plus d’avenir alors que la fonction clientèle est pérenne. C’est de nature à leur redonner confiance.

Quels enseignements tirez-vous de la tempête ?

Globalement, le management a été très bon, le travail des agents a été loué. Les dégâts ont été plus importants qu’en 1999 et tous nos clients ont été réalimentés au maximum en dix jours, au lieu de vingt-trois ou vingt-quatre il y a dix ans. Mais, aujourd’hui, la société n’accepte plus de tels délais.

Où en êtes-vous des 37 accords à renégocier ?

Avoir à renégocier tous nos accords est une formidable opportunité de redéfinir un modèle social adapté à notre métier. S’agissant de l’accord sur le temps de travail, je m’étais engagé à faciliter la tâche du management intermédiaire qui s’arrache les cheveux avec l’élaboration des tableaux de service et des amplitudes horaires qui ne correspondent plus à notre activité. Après une période de blocage, nous avons retrouvé le chemin du dialogue avec les organisations syndicales.

Qu’est-ce qui a bloqué ?

Nous avons voulu aller trop vite lors de la mise en place de solutions dans le domaine de l’exploitation du réseau où la nécessité de la permanence du service pose de vrais problèmes au regard des contraintes imposées aux salariés.

Avec une CGT à 60 %, allez-vous trouver partout un accord ?

Nous continuons à rechercher un accord unanime des organisations syndicales. Cela a pris et prendra du temps. Il va falloir conclure un nouvel accord de méthode pour prolonger la négociation sur les accords qu’il reste à signer, dont l’accord sur le temps de travail. L’ensemble des partenaires sociaux a démontré au cours des quinze mois écoulés un sens des responsabilités qui me rend optimiste pour la suite.

Propos recueillis par Sandrine Foulon et Jean-Paul Coulange

MICHEL FRANCONY

61 ans.

Diplômé de l’École polytechnique et de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique.

1972

Entre à EDF-GDF à la direction de la distribution.

1993

Directeur d’EDF-GDF Services.

2004

Directeur général d’EDF Trading.

2008

Président du directoire d’ERDF.