L’enquête réalisée par deux universitaires auprès de 522 salariés, pour l’essentiel des cadres, pour le compte de Liaisons sociales et de l’Anvie montre que la crise suscite chez eux des craintes mais aussi l’espoir de repenser le fonctionnement de l’entreprise.
Comment les salariés perçoivent-ils l’impact du ralentissement économique ? Pour répondre à cette question, Liaisons sociales magazine et l’Anvie – un organisme créé par de grandes entreprises et de grands centres de recherche pour promouvoir les sciences humaines et sociales auprès des entreprises – ont décidé d’interroger un panel de managers et de cadres dirigeants. Réalisée par David Autissier, maître de conférences à l’IAE Gustave-Eiffel (Paris XII), et Faouzi Bensebaa, professeur à l’université de Reims, l’enquête visait à savoir si les difficultés économiques avaient modifié le jugement des salariés sur leur entreprise. Et si elles avaient suscité de l’attentisme ou bien une réaction collective.
Sans surprise, près de 8 managers – qui constituent la grande majorité des répondants – sur 10 (77 %) estiment que leur entreprise est concernée par la crise. Un impact qui se caractérise par une diminution du nombre de commandes (59 %) et une difficulté à prévoir l’évolution des marchés (57 %), plutôt que par des tracas financiers (24 %). Dans une petite moitié des entreprises (43 %), la direction a décidé de geler les recrutements ou de procéder à une réduction d’effectifs, conséquence d’un plan d’économies que plus d’une entreprise sur deux (51 %) a déjà mis en place.
Reste que les cadres sont sceptiques sur la réaction de leur direction face à la crise. Seul un tiers d’entre eux (37 %) déclare qu’une réflexion stratégique « anticrise » a été engagée. Dans seulement 15 % des cas les entreprises ont arrêté des projets en cours et, dans 25 % des cas, elles ont décidé de reculer le lancement de nouveaux projets. Les directions font donc preuve de retenue.
La crise a pour autre conséquence de faire remonter la prise de décisions sur la ligne hiérarchique. 44 % des salariés interrogés indiquent que la situation actuelle a entraîné une centralisation des décisions. Au grand dam d’une grosse moitié des personnes interrogées (55 %) qui estime que le renforcement de l’autorité n’est pas une solution appropriée pour faire face aux difficultés économiques. Du coup, 42 % des répondants redoutent un accroissement du reporting et des contrôles. « Certains dirigeants se rassurent en reprenant le contrôle de décisions auparavant décentralisées. C’est une réaction classique dans ce genre de contexte », estime David Autissier. « Mais elle n’est pas forcément appropriée, ajoute Faouzi Bensebaa. Car la situation économique exige de l’innovation dans tous les domaines, donc une autonomie de décision renforcée pour les managers. »
À cet égard, l’attente des managers est forte. Près de 6 sur 10 (58 %) considèrent que la crise est l’occasion de revoir la stratégie et le fonctionnement des entreprises. Seule une toute petite moitié (42 %) pense que ce scénario peut se produire. « Ce résultat est cohérent avec les réponses d’une majorité de Français qui considère que demain ne sera plus comme hier. L’attente de changement est considérable en France », note Benoît Roederer, du cabinet Sociovision.
Une attente lourde d’enjeux : 4 managers sur 10 (41 %) craignent une recrudescence des conflits sociaux. Pour autant, seuls 7 % des répondants perçoivent une démotivation des salariés. « Les salariés ont envie de sauver leur boîte et leur job », commente David Autissier. Néanmoins, les craintes d’une réduction des effectifs sont fortes, partagées par 40 % des personnes interrogées. Du coup, la fonction ressources humaines est attendue au tournant. Pour plus d’un manager sur deux (58 %), son rôle doit consister à proposer des actions d’accompagnement du changement. « Cette demande rapproche la direction des ressources humaines de la direction générale car elle implique d’être partie prenante sur les décisions stratégiques », explique Faouzi Bensebaa.
Pour la majorité des personnes interrogées (56 %), la panacée pour sortir de la crise reste l’innovation, « dans tous les domaines ». Une solution qui arrive à égalité avec la sensibilisation des troupes à la réduction des coûts. Mais les entreprises ont-elles les moyens de trouver des solutions innovantes ? Non, estime une majorité des répondants (55 %). Pour autant, un quart (25 %) d’entre eux souhaiteraient que des incitations soient proposées pour récompenser ceux qui trouvent des solutions innovantes. « Ne serait-ce pas là une preuve de la prise de distance des cadres et des cadres dirigeants à l’égard des orientations choisies par leur direction », s’interroge Béatrice Taudou, consultante à Sociovision. Des remèdes à la crise existent à l’intérieur des entreprises, mais la gestion et le mode de management pratiqués ne permettraient pas de les faire émerger.
Qu’est-ce qui va sortir de cette crise ? Seulement un quart des salariés interrogés (26 %) estime qu’elle remet en cause le modèle capitaliste. « Mais vu la forte proportion de cadres et de cadres supérieurs parmi les répondants, ce résultat aurait été parfaitement incongru il y a quelques années », estime Béatrice Taudou. De quoi apporter de l’eau au moulin de ceux qui pensent que plus rien ne sera jamais comme avant.
77 % des salariés interrogés (90 % de cadres) estiment que leur entreprise est très concernée par la crise et 43 % constatent un gel des recrutements.
7 sur 10 pensent que leurs dirigeants gèrent mal la crise.
51 % des entreprises ont déployé un plan d’économies
37 % ont mené une réflexion stratégique
15 % ont arrêté des projets en cours
10 % n’ont pris aucune décision spécifique
41 % des salariés estiment que le risque de conflit social a augmenté
40 % craignent de perdre leur emploi
Pour 58 % des salariés, la crise est l’occasion de repenser la stratégie et le fonctionnement des entreprises,
42 % pensent qu’elle permettra de le faire
35 % un plan d’action anticrise
30 % une communication sur les conséquences de la crise
25 % des engagements sur la préservation des emplois
30 % des dispositifs participatifs
58 % proposer des actions d’accompagnement
50 % communiquer sur la crise et ses impacts
37 % faire remonter les bonnes idées de sortie de crise
L’enquête a été réalisée en janvier et février auprès de 522 salariés (269 cadres, 140 cadres supérieurs 57 dirigeants, 56 Etam), pour 80 % dans des grandes entreprises et très largement auprès de services RH et de gestion administrative.