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Vie des entreprises

Le modèle RH des agences médias chahuté par la crise

Vie des entreprises | Match | publié le : 01.04.2009 |

Les résultats 2008 diront si les leaders de l’achat d’espaces publicitaires ont mangé leur pain blanc. En attendant, les DRH bricolent, comptant sur le turnover, la formation, la mobilité interne… Anticipant des négociations, des élus d’Havas Media ont pris un mandat syndical.

Cette année de crise sera-t-elle aussi florissante pour Havas Media France (ex-MPG) et pour Carat, l’une des deux agences françaises d’achat d’espaces publicitaires du groupe Aegis ? Ces deux agences médias trustent systématiquement les deux premières marches du podium dans la profession. Une domination qui provient de leurs histoires respectives. Né en 1999 de la fusion de Media Planning SA, une société espagnole, et du français Médiapolis, Havas Media France est une filiale du groupe Havas, ténor de la pub. Carat – à l’origine Centrale d’achats radio, affichage, télévision – est plus ancien. Il a été créé en 1966 par Gilbert Gross. Ce cousin germain de Marcel Bleustein-Blanchet, le fondateur de Publicis, est l’inventeur du métier d’acheteur d’emplacements médias pour le compte des annonceurs. En 1990, ce visionnaire cède sa PME, alors leader absolu du marché, au groupe britannique Aegis. Quinze ans plus tard, Carat voit son leadership contesté, au point de laisser MPG (devenu Havas Media France il y a deux ans) lui ravir la première place en 2005 et en 2006. Mais Carat a rétabli la situation en 2007, avec 2,2 milliards d’euros de volume d’affaires et 18,1 % de part de marché alors qu’Havas Media France revendiquait 2,1 milliards d’euros et 17,3 % de part de marché. Mais on attend avec inquiétude chez les médiaplanneurs les résultats de 2008. Selon Havas Media France, les investissements publicitaires devraient chuter, hormis pour Internet, de 6,9 % au premier trimestre 2009 (– 12,8 % pour la presse écrite et de – 5,4 % à – 5,7 % pour la télé et la radio). De quoi secouer ces poids lourds économiques qui ne sont que de grosses PME côté effectifs : 400 salariés chez Havas Media France et 180 chez Carat.

Carat (groupe Aegis) met l’accent sur la mobilité interne pour développer la polyvalence
Un management en mode projet

En réalité, les deux agences sont étroitement intégrées dans leurs groupes respectifs. Havas Media, le réseau média du groupe Havas, compte quelque 800 salariés dans l’Hexagone ; Aegis Media France, 1 050. « Les équipes-conseils d’Havas Media France gèrent les relations avec les clients. Puis elles font appel aux spécialistes des études, de la télévision, de la radio, du Net, de l’affichage ou de la presse, abrités dans les autres structures, pour construire leur stratégie média », indique Cécile Pennec, DRH d’Havas Media. Un management en mode projet également adopté par Carat. « Nous avons déjà regroupé plusieurs sociétés dans Carat, mais nous souhaitons aussi garder des entités distinctes, spécialisées par métier. De toute façon, une approche transversale est incontournable pour répondre aux demandes des clients », note Michèle Vincent, la DRH d’Aegis Media France. Une philosophie poussée à l’extrême, comme le montre l’organisation des deux groupes, où marques commerciales et entités juridiques s’entremêlent à l’extrême. Chez Aegis, Carat vient juste d’être réorganisé et scindé en quatre sociétés sous la présidence commune de Thomas Le Thierry.

De son côté, l’agence Havas Media France, piloté par Dominique Delport, a commencé à uniformiser son offre, mais comporte encore 11 entités juridiques, dont Havas Digital (155 salariés), Havas Sports (100) et Havas Entertainment (100). Cette apparente confusion ne gêne pas les salariés, dont beaucoup carburent à la passion. Alicia Baccala vient d’être recrutée à un poste de chargée média Internet chez Havas Digital. « Chacun gère ses clients sous la supervision du chef de groupe. On touche à tout, cela nous fait progresser et nous ne comptons pas nos heures. » Dans les open spaces du square Léon-Blum, à Puteaux (Hauts-de Seine), l’ambiance est conviviale ; le mode de management se veut ouvert et participatif. « Je travaille au milieu de mes collaborateurs et je les tiens informés des résultats », indique Hervé Ribaud, directeur du département radio à Euromedia Havas Media.

À Courbevoie (Hauts-de Seine), chez Aegis Media France, le style est identique. La présidente, Marie-Laure Sauty de Chalon, a lancé « start you up », un programme d’accompagnement des activités nouvelles. Les salariés sont invités à présenter leurs idées d’activité ou de développement nouveau devant un jury. Avec promesse de moyens s’ils sont retenus. Mais la DRH se montre également soucieuse d’unifier les pratiques entre les différentes « boutiques » et de créer un sentiment d’appartenance au groupe. Tournant le dos au recrutement par cooptation, très pratiqué dans la communication, Michèle Vincent cherche à diversifier les profils des nouveaux recrutés. « Nous avons recours à des petites annonces dans la presse. Nous utilisons également les services de l’ANPE et des associations comme Mozaik RH. »

Autre caractéristique commune aux deux groupes, l’individualisation des rémunérations. Chez Havas Media France comme chez Carat, le concept d’augmentation collective n’existe pas. Les nouveaux sont recrutés à bac + 4 ou 5 et perçoivent des salaires de 2 000 à 2 200 euros brut mensuels. La progression de leur salaire dépend entièrement de leurs résultats.

Dans cet univers où les techniques de communication évoluent constamment, la formation est un impératif. Entre la création de sites, le tracking (suivi des internautes sur un site Web), le référencement, l’e-publicité ou l’affiliation, la communication en ligne représente près d’un quart du chiffre d’affaires des deux groupes. Aegis dépense 3 % de sa masse salariale en formation. « L’amélioration de l’approche managériale des cadres constitue le deuxième budget, derrière les formations métiers », indique Michèle Vincent. Avec 1,6 %, le budget d’Havas Media France est plus modeste, mais Cécile Pennec, la DRH, le complète en organisant des formations internes appuyées sur les compétences des collaborateurs ayant une expertise. Plus de la moitié des salariés d’Havas Media bénéficie d’une formation chaque année.

Mais ces investissements seront-ils maintenus avec la crise ? Si les annonceurs revoient massivement leurs investissements publicitaires à la baisse, Carat et Havas Media France devront réduire la voilure. « Les annonceurs sont dans une position attentiste, relève un cadre de Carat. Ils ne sont plus dans une logique de long terme mais plutôt de one shot. Et les négociations sont âpres. » La perspective ne réjouit pas les agences médias, plus habituées à gérer des budgets en augmentation cons­tante ces dernières années.

Certains élus d’Havas Media ont pris une carte syndicale pour être en position de négocier
Priorité à la mobilité interne

Chez Aegis, l’accent est mis depuis peu sur la mobilité interne. Michèle Vincent a organisé un premier forum des métiers en décembre. Les salariés pouvaient être reçus sans rendez-vous par la DRH pour faire un point sur leur carrière. Objectif : inciter les gens à changer de métier dans le groupe pour développer la polyvalence. Une souplesse bien utile aussi pour réorganiser les équipes après la perte du budget de Renault-Nissan passé chez Omnicom Media Group (OMD, voir encadré).

Autre projet en cours d’élaboration, un rendez-vous de milieu de carrière pour les 45 ans et plus afin de « faire un état des lieux de leurs compétences et de les aider à réfléchir sur leurs motivation et projet personnel », note Michèle Vincent. Des aides à la création d’entreprise sont envisagés. Un effort notable, alors qu’Aegis peut tabler sur un turnover naturel de 20 à 25 % pour contribuer à la diminution de ses effectifs en cas de besoin. Rien de tel chez Havas Media France, malgré un taux de départs naturels plus bannière ? Ce serait une sacrée révolution dans un secteur déjà chamboulé, depuis quelques années, par l’arrivée d’Internet.

Carat (chiffres 2007)

Volume d’affaires :

2,2

milliards d’euros

Part de marché :

18,1 %

Effectif :

180

salariés, pour 1 050 salariés dans Aegis France

Havas Media France (chiffres 2007)

Volume d’affaires :

2,1

milliards d’euros

Part de marché :

17,3 %

Effectif :

400

salariés, pour 800 salariés dans Havas Media

Guerre des budgets

Champagne pour Aegis, Champomy pour Havas. Le mois dernier, au terme d’une compétition acharnée, le premier a ravi au second les achats d’espaces publicitaires du Crédit agricole : 225 millions d’euros brut. De quoi consoler en partie Aegis de la perte, en novembre, du budget d’achat d’espaces en Europe de Renault-Nissan Purchasing Organization, au profit de l’agence OMD, filiale de l’américain Omnicom. Carat voyait ainsi s’échapper un budget d’environ 800 millions d’euros annuels et se clore une collaboration vieille de huit ans avec Renault.

« Ce métier est fait de budgets de plus en plus volatils. Nous sommes habitués à vivre en état permanent de compétition », expliquait quelques jours plus tard dans le Figaro Marie-Laure Sauty de Chalon, présidente d’Aegis Media France et Europe du Sud. De fait, si Carat a perdu des budgets d’achat d’espaces en 2008 (Hermès, Quick, Casino, Cadbury Orangina Schweppes), il en a aussi remporté (Lapeyre, Total, Pizza Hut, Suez Environnement…) qui lui ont permis d’accroître son chiffre d’affaires. Plus généralement, il compte surtout sur le numérique et l’événementiel (15 % des revenus d’Aegis) pour développer son activité.