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Politique sociale

SUD, minisyndicat mais mégapagaille

Politique sociale | publié le : 01.04.2009 | Anne Fairise

Proches des salariés, radicaux, les SUD rompent avec les pratiques instituées du dialogue social et déstabilisent directions et syndicats. Ils pourraient gagner en audience.

Rendez-vous chez les SUD ! Au lendemain du 19 mars, qui a vu près de 3 millions de personnes battre le pavé, les huit confédérations organisatrices ont fait le bilan…? au QG de Solidaires, l’union fé­dérant les syndicats SUD. La formation la plus petite, avec 90 000 militants revendiqués, et la plus contestataire, qui prétend occuper l’espace laissé à gauche par une CGT réformiste. « His-to-ri-que », martelait un militant SUD (Solidaires, Unitaires, Démocratiques) qui buvait du petit-lait en imaginant les confédérations du « club des cinq » sonner à la porte, notamment la CFDT, qui s’y était toujours refusée. De quoi mesurer le chemin parcouru depuis la création de SUD PTT, en 1988, par des dissidents cédétistes… Et s’autodélivrer un certificat de bonne représentativité. « Voilà Solidaires reconnu comme une union syndicale à part entière au niveau national, estime sa déléguée générale, Annick Coupé. Les confédérations ne pouvaient faire autrement : en entreprise ou à l’échelon départemental, les SUD sont intégrés sans difficulté aux intersyndicales. »

Mais comment le minuscule Solidaires a-t-il réussi ce tour de force ? Avec une audience, même en hausse, de 3,8 % aux élections prud’homales, son poids reste marginal. Et sa progression, modeste depuis les euphoriques années d’essaimage qui ont suivi le conflit de 1995. Certes, il a consolidé sa position dans les entreprises publiques (La Poste, SNCF), même lorsqu’elles changent de statut (France Télécom). Certes, depuis 2006, il a gagné, à force de procédures, sa représentativité dans la fonction publique d’État. Mais le secteur privé reste à défricher. Merci, donc, à la crise ! L’époque, qui vilipende banquiers et course aux superprofits, remet en piste les militants antilibéraux. Des militants passés maîtres dans l’art d’agréger les protestations et de déstabiliser syndicats et employeurs.

Un fantôme du passé. Les confédérations représentatives ne les voient pas arriver d’un bon œil. « SUD est en quelque sorte le fantôme qui les hante. La preuve vivante de ce qu’elles ont été autrefois, de ce que certaines demeurent dans des secteurs spécifiques. Comme la Fédération des ports à la CGT », note Dominique Andolfatto, maître de conférences en sciences politiques à l’université de Nancy. La présence SUDiste révèle l’institutionnalisation des pratiques. Aux « professionnels de la représentation », enfermés dans les jeux d’appareils, soucieux de leur position à l’égard des directions d’entreprise, les SUD opposent… le terrain. Leur credo : un syndicalisme de proximité, à l’écoute des salariés, tendu vers la résolution des problèmes immédiats et porté par des élus qui bossent. À mi-temps, en général. « Les militants SUD mouillent la chemise. Lorsqu’ils relaient les revendications de salariés, ils renvoient à de vrais faits de terrain », admet un ex-DRH. « Ils sont connus pour défendre les salariés. Sans demander d’abord le paiement du timbre », renchérit Christo, 30 ans, sympathisant SUD au centre de tri de Neuilly-sur-Seine (75 % aux élections professionnelles).

Cette disponibilité séduit, là où les syndicats sont devenus invisibles à la base, là où « les managers de terrain sont défaillants », précise un consultant. Cas d’école : Cyclocity, la filiale de JCDecaux passée majoritairement à SUD fin 2008 (55 %). « On a eu besoin des syndicat en août, pendant les vacances. CGT, CFDT, FO, tous ont dit de rappeler en septem­bre ! Seul SUD Rail a décroché : dans l’après-midi, ses militants étaient là pour nous aider », explique Meissa Fall, délégué SUD. La pratique à « l’ancienne » rallie aussi les déçus des autres organisations. « Ceux en désaccord avec un positionnement de leur centrale, ceux qui ne supportent plus la hiérarchie, le manque de démocratie interne, la bureaucratisation… », énumère Jean-Louis Frisulli, secrétaire fédéral de SUP PTT, qui veille aux implantations dans les filiales de La Poste et « recrute » à la concurrence. Si les dissidences CFDT puis CGT, dans l’après-1995, ont initié les SUD, « les ralliements se sont diversifiés, reprend Annick Coupé, et transcendent toutes les étiquettes syndicales ».

Mais les SUD ne font pas que déstabiliser les troupes, ils les poussent à la radicalisation. Là où SUD talonne la CGT, les choses peuvent vite s’emballer, comme lors du conflit de la gare Saint-Lazare. Rappel des faits : trois syndicats réclamaient trois agents supplémentaires, SUD en exigeait six. Bilan des courses : la CGT appellera à la reprise du travail, après quinze jours de débrayage et l’obtention de deux agents. SUD aura, lui, trois postes et demi après la fermeture de la gare, à la suite du dépôt de son droit de retrait après l’agression d’un conducteur… « Nous ne sommes pas jusqu’au-boutistes mais exigeants, à la hauteur du rapport de force obtenu. Plus il est fort, plus nos revendications sont importantes », note Jean-Louis Frisulli, de SUD PTT. Reste que ni la consultation directe des salariés ni la grève reconductible ne sont des éléments modérateurs. Révélatrice, la grève de neuf semaines lancée le 12 janvier dans les centres de tri postal des Hauts-de-Seine, un fief où SUD remporte 42,2 % des suffrages. Trois syndicats dont SUD demandaient le retrait du projet de réorganisation des tournées, une prime de vie chère de 300 euros et un treizième mois. « Une décision des salariés en AG », pointait un cégétiste peu convaincu de la per­tinence d’agréger autant de revendications. Aucune n’a abouti.

La disponibilité de SUD séduit, là où les syndicats sont devenus invisibles à la base

Harceleur harcelé. A contrario des autres syndicats, SUD prétend alimenter la bataille des idées… hors des murs de l’entreprise. Anachronique ? Les cofondateurs d’Attac et de la Fondation Copernic, inscrits dans la mouvance altermondialiste, sont en tout cas en phase avec une partie de la société. Et participent à tous les combats des « sans » (emploi, logement, papiers…). Un argument de poids auprès des précaires et des jeunes. « Les jeunes générations de SUD se retrouvent dans ses valeurs de mobilisation sociale. Ils sont moins politisés que leurs aînés, formés pour partie à l’école de l’extrême gauche au cours des années 70. Mais n’en sont pas moins radicaux », explique Jean-Michel Denis, maître de conférences en sociologie à l’université de Marne-la-Vallée.

Pas plus que les syndicats les employeurs ne sautent de joie à l’arrivée des hérauts proclamés du « syndicalisme de lutte des classes ». C’est la certitude a minima d’occuper les juristes de l’entreprise, voire des cabinets d’avocat. Non représentatifs, selon les anciens critères, les SUD ont développé une expertise juridique pour faire reconnaître leur section… et une sacrée endurance. Car les directions d’entreprise, comme les syndicats en place, harcèlent aussi le harceleur pour empêcher son implantation. Depuis un an, Chronopost a contesté huit fois devant les tribunaux la désignation des délégués syndicaux SUD. Lors des dernières élections professionnelles, EDF et GDF ont lancé 10 assignations en dix jours pour invalider des listes de candidats SUD Énergie… Problème, la reconnaissance de la représentativité n’éteint pas la guérilla juridique. « SUD s’engouffre dans toutes les failles de nos accords d’entreprise », soupire un DRH d’une entreprise publique. « C’est la stratégie du grain de sable : il est petit mais vite obsédant », sourit Olivier Cots, de SUD RATP, qui comptait en mars « une vingtaine d’actions en cours ». Les grèves de cinquante-neuf minutes, utilisées à Saint-Lazare, sont nées de ce pointillisme. « Rien d’illégal : nous lisons les textes », répond Thierry Renard, responsable juridique de Solidaires.

Les employeurs se retrouvent en outre face à un interlocuteur ne se payant pas de mots. À l’annonce de la naissance de Pôle emploi, l’ex-SUD ANPE a exigé la démission de Christian Charpy. « On a notre franc-parler, osé, parfois vulgaire, diront certains », reconnaît Philippe Touzet, de SUD RATP, qui revendique l’inconvenance, voire l’« irresponsabilité » décriée par Nicolas Sarkozy chez SUD Rail. « Les discours brutaux suscitent des réactions frontales. Le management se crispe », constate un consultant. La transparence revendiquée par les SUD n’arrange rien. « Pas question de garder dans le secret du comité d’entreprise et des IRP des informations jugées essentielles : statistique salariale, déclaration du P-DG sur la crise… Tant pis si la direction s’étrangle ! » dit Zakir Ali-Mandjee, de SUD Michelin. Autant dire que le dialogue social reste à réinventer avec ces SUD, allergiques aux « pratiques clientélistes et à la cogestion ». Pour prévenir les tentations, SUD Renault et Michelin changent les représentants envoyés en délégation. Inutile que les directions cherchent une médiation auprès de la fédération : quand elle existe, elle renvoie aux syndicats d’entreprise.

Chose certaine : les SUD, lorsqu’ils sont représentatifs, signent peu d’accords. « Ils restent dans une tension politique, tiraillés entre le conflit et la coopération », note Jean-Michel Denis. Les pratiques de démocratie interne ne facilitent pas le paraphe : « Avant de nous décider, nous demandons à la centaine de syndicats locaux de voter. Les décisions ne se prennent pas depuis Paris », précise Jean-Louis Frisulli, de SUD PTT. Personne n’a établi le bilan des pratiques conventionnelles SUDistes, mais elles évoluent. SUD RAPT a signé 22 % des accords collectifs en 2008. « Il participe à la négociation d’entreprise comme les autres syndicats », constate un cadre de la direction. Chez Renault Trucks, SUD, majoritaire à l’usine de Blainville-sur-Orne (Calvados), a adhéré à l’accord sur le chômage partiel, améliorant les conditions d’indemnisation, qu’il juge pourtant « perdant ». « L’entreprise a les moyens d’indemniser à 100 % les jours non travaillés ! Mais 90 % des salariés du site, selon notre sondage, sont favorables à la signature. Il nous faut coller à la population que l’on représente », note Michel Chaussepied, délégué SUD. À l’heure où les nouvelles règles de représentativité ouvrent la porte aux organisations minoritaires, SUD table plus que jamais sur l’adhésion des salariés. À ce titre, les élections professionnelles du 26 mars à la SNCF seront révélatrices.

Implantations dans dans le public

Résultats aux dernières élections professionnelles

AP-HP

25,5 % (2007)

La Poste

22 % (2007)

SNCF

15 % (2006)

Vers la “confédéralisation” ?

Malgré leur aversion pour le syndicalisme institutionnalisé, les SUD n’échappent pas aux difficultés à mettre en pratique leur idéal. Pour cause de charge élevée de travail syndical, les représentants de SUD RATP ne bossent plus à mi-temps mais à tiers-temps. Parce qu’il a du mal à renouveler ses dirigeants, Solidaires – devenu en vingt ans une fédération de SUD qui ne dit pas son nom (deux tiers des membres sont des SUD) – a réélu Annick Coupé déléguée générale au IVe congrès en juin 2008. Autre signe d’évolution : la place grandissante, face aux syndicats professionnels, des 85 unions interprofessionnelles départementales, qui réclament un droit de vote à part entière (et non plus consultatif). « Elles sont la base du développement, surtout dans le privé », plaide Annick Coupé. « Sans le dire, Solidaires évolue vers un modèle proche de celui de la confédération. Cela se fait sans passage en force, par les discussions en interne », précise le sociologue Jean-Michel Denis. Une évolution réfutée par Annick Coupé, qui invoque un garde-fou : le mode de prise de décisions. Car les positions communes sont élaborées par consensus, chacun des 43 membres disposant d’une voix et, donc, d’un droit de veto.

Mais autant dire que les nouvelles règles de représentativité sont un enjeu essentiel, pari de croissance et de renouvellement. « L’implantation dans les entreprises est facilitée : il est plus aisé aujourd’hui de nommer un représentant de section syndicale (RSS) que de faire, comme hier, reconnaître notre représentativité devant les tribunaux », note Thierry Renard, responsable juridique, étonné du faible nombre de RSS contestés. La combativité juridique, voilà un domaine où les SUD n’ont pas changé.

Implantations dans le privé

Résultats aux dernières élections professionnelles

France Télécom Orange

22,3 % (2009)

Caisse d’épargne

20,3 % (2008)

La Redoute

27 % (2006)

Auteur

  • Anne Fairise