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Politique sociale

Pôle emploi rate son démarrage

Politique sociale | publié le : 01.04.2009 | Stéphane Béchaux

Effective depuis le début de l’année, la fusion de l’ANPE et des Assedic patine sérieusement. Alors que les licenciements explosent, Pôle emploi est incapable d’assurer un service de qualité aux chômeurs. En interne, la colère monte.

Au palmarès 2009 des campagnes de publicité trompeuses, Pôle emploi tient la corde. Rapide, simple, unique… Les adjectifs choisis pour vanter les mérites du nouvel organisme font s’étrangler les 45 000 salariés des ex-ANPE et Assedic qui, depuis le 19 décembre 2008, appartiennent à la même maison. « Aucun dirigeant n’ose dire publiquement que ça ne marche pas, qu’on n’est pas prêt. On est en plein déni de la réalité », peste la cédétiste Bernie Billey. « Quand un demandeur d’emploi passe la porte, il s’imagine trouver un conseiller qui va répondre à toutes ses questions. Mais on n’en est pas là du tout. Pôle emploi, c’est la désorganisation complète », abonde une conseillère de l’agglomération stéphanoise. Une opinion partagée par l’écrasante majorité du personnel, cadres inclus. Mais rejetée par le patron. « La fusion nous permet de mieux traiter l’afflux des demandeurs. Sans Pôle emploi, il y aurait une dégradation majeure des services et une augmentation considérable des délais de traitement », assure Christian Charpy. Sans convaincre les troupes, qui ont déjà rebaptisé l’institution. Au choix : Pôle en bois, Ras-le-Pôle ou Pôle Lantah…

DES SITES UNIQUES SUR LE PAPIER

Très peu d’agences Pôle emploi réalisent l’ensemble des opérations de placement et d’indemnisation sur un même lieu. Une situation qui va durer. Recherche de nouveaux locaux, dénonciation de baux, vente de sites… Impossible de modifier d’un claquement de doigts un parc immobilier riche de 1 500 antennes. Pragmatique, la direction s’attelle, pour l’instant, à constituer des sites « mixtes » qui, mélangeant les troupes, puissent faciliter la vie des chômeurs et des entreprises. Des sites qui, concrètement, comporteront plusieurs implantations, les unes recevant le public, les autres traitant, en back-office, les dossiers. Avec, au démarrage, deux systèmes informatiques…

Officiellement, les 956 sites mixtes devraient tous être sur pied fin septembre. Mais le programme a pris beaucoup de retard. « Le calendrier est intenable, il est en train de dériver complètement », reconnaît un haut dirigeant du siège. Outre les problèmes kafkaïens d’aménagement des locaux, la direction se heurte à la résistance des syndicats qui, dans les CE régionaux, n’entendent pas brader leurs prérogatives. Quitte à faire de l’obstruction. « Il y a une très forte attente des personnels et de l’encadrement pour qu’on avance. Mais tant qu’on n’a pas achevé la phase de consultation des CE, on est bloqué », déplore Christian Charpy. Conséquence, le processus de nomination des équipes de direction locales est gelé. Ce qui crée un climat délétère chez les managers ; inquiets, ils se regardent en chiens de faïence. « Comment voulez-vous travailler ensemble quand il n’y a pas de chef de projet et que personne ne sait qui sera chef de qui ? » interroge la directrice adjointe d’une ANPE ardéchoise.

Les demandeurs d’emploi n’ont cure de ces tambouilles. Mais découvrent les absurdités de la fusion. La principale Les horaires de travail. Dans les sites mixtes déjà opérationnels, l’harmonisation entre les personnels des deux entités n’a pas eu lieu. En fin de semaine, entre les réunions de service des uns et les sorties anticipées des autres, le chômeur n’a qu’une chance sur deux d’obtenir une réponse à ses questions. Et cette aberration n’est pas près de disparaître.

Sous la pression de FO, Christian Charpy a renoncé à dénoncer les accords locaux des Assedic, qui ne collent pas avec les horaires d’ouverture des agences. « Les directeurs régionaux sont fous furieux. Ils doivent maintenant se coltiner le problème », assure un cadre dirigeant. Et attendre la bonne fenêtre de tir pour remettre ce sujet chaud sur la table. Pas demain la veille, vu le climat social interne.

DES CONSEILLERS TRÈS PEU FORMÉS
Pour les ex-Assedic, le changement est radical : si certains se réjouissent de lever le nez de leur écran, d’autres craignent un boulot d’“assistante sociale”

Objectif majeur de la fusion, l’avènement du conseiller personnel. Un « référent unique », dans le jargon maison, capable d’accompagner le demandeur dans ses recherches et de suivre son indemnisation. Sur le papier, la double casquette a fière allure. Mais sa mise en pratique s’annonce périlleuse. En raison des volumes, d’abord. Cette année, Pôle emploi doit former près de 29 000 salariés. Un chiffre très ambitieux. Face à l’afflux de chômeurs, les managers, notamment côté Assedic, rechignent à dégarnir leurs troupes. « On est obligé de desserrer les calendriers. Ça va retarder la mise en place. On a aussi un gros problème d’harmonisation des systèmes informatiques », confie un directeur régional.

Le contenu, ensuite, interroge. Car la direction a opté pour un programme ultralight. Au menu des ex-ANPE, trois jours de formation théorique à l’indemnisation et quatre jours d’immersion. À celui des ex-Assedic, sept jours en salle sur la conduite des entretiens professionnels de suivi, douze heures maximum d’e-learning et trois jours et demi d’apprentissage sur le terrain. « Les référents uniques ne seront pas suffisamment outillés. On va être obligé de garder des experts en back-office pour traiter les dossiers », note un cadre de la RH. Ce que ne dément pas le directeur général : « On va faire de ce conseiller personnel le métier central de demain. Mais on gardera aussi des filières d’expertise pour les cas complexes d’indemnisation, les publics très éloignés de l’emploi ou la prospection en entreprise. »

Réticents face à ces évolutions, les ex-ANPE restent néanmoins sereins : leur métier n’en sera pas bouleversé. Pour les ex-Assedic, en revanche, le changement est radical. Si certains se réjouissent de lever le nez de leur écran, d’autres craignent un boulot d’« assistante sociale ». « Aux Assedic, on fait de la relation clients tous les jours. Mais, pour calculer des droits, on n’a pas besoin d’entrer dans la vie du demandeur d’emploi, savoir s’il a une voiture, des problèmes de santé ou de garde d’enfants », témoigne une technicienne allocataire de l’agglomération de La Rochelle. « Aux Assedic, ils n’échangent pas avec les demandeurs d’emploi. Ils restent dans un rapport formel, administratif. Nous, on est dans l’humain », confirme un conseiller de l’Est parisien qui sort de deux jours d’immersion dans l’antenne Assedic voisine. Impossible que quelques jours de formation suffisent à en faire de bons coachs pour les chômeurs…

UN SUIVI TRÈS APPROXIMATIF

Un million d’appels ! Le 5 janvier, jour de son ouverture, la plate-forme téléphonique 39 49 a été prise d’assaut. D’où des bugs en pagaille, progressivement résolus depuis. Censé désengorger les agences, le service à distance cumule les critiques. Outre son coût, il est accusé de rendre dingues les chômeurs qui, mal aiguillés, peinent à obtenir les renseignements désirés. Rageant, quand on téléphone depuis son domicile. Plus encore quand on appelle… depuis la cabine de son agence Pôle emploi pour obtenir l’information que l’agent d’accueil ne peut délivrer ! « C’est un héritage des Assedic. Chez eux, tout était fait pour n’accueillir en agence que les demandeurs préalablement convoqués. Mais Charpy veut que ça change », précise un dirigeant du siège. Le plus vite sera le mieux : impossible d’entrer dans le circuit sans passer par le 39 49 ou le site Web…

Étape suivante, l’inscription. Grâce aux guichets uniques mis en place dans la grande majorité des sites, le demandeur d’emploi ne se déplace qu’une fois. Reçu par un technicien ex-Assedic pour remplir son dossier d’indemnisation, il élabore dans la foulée son « projet personnel d’accompagnement vers l’emploi » avec un agent ex-ANPE. Puis disparaît dans la nature pendant… trois bons mois. Jusqu’au déclenchement de son suivi mensuel personnalisé (SMP). Un dispositif qui, lancé voilà trois ans, fonctionnait déjà mal lorsque le chômage avoisinait les 8 %. Et s’avère impraticable avec l’explosion des licenciements.

D’après la direction, le « portefeuille » moyen d’un agent, en hausse, reste inférieur à 100 demandeurs d’emploi actifs. Un chiffre contesté par les troupes qui, toutes, affirment que la réalité se situe plus près du double. « Quelle phénoménale escroquerie intellectuelle ! À moins de comptabiliser tout le personnel administratif non productif, impossible de trouver un tel résultat », tonne un animateur d’équipe de Poitou-Charentes. « Ce chiffre, c’est le rapport entre le nombre de chômeurs éligibles au SMP et le nombre de portefeuilles ouverts », répond la direction. Un mode de calcul qui ne tient compte ni des temps partiels, ni des arrêts maladie, ni des détachements syndicaux. Mais inclut des managers de terrain qui, pour des raisons pratiques, disposent d’un portefeuille fictif.

Dans les agences, on s’adapte. Incapables de suivre régulièrement « leurs » chômeurs, les conseillers font des choix. Certains ne les voient que tous les deux mois, d’autres se contentent d’échanger par mail avec les plus autonomes… Avec l’accord tacite des managers. « On les encourage aussi à moduler les temps d’entretien. Dix minutes, ça peut parfois suffire », confie une animatrice d’équipe de Seine-Saint-Denis. D’autres consignes circulent dans les couloirs. Comme celle de mettre le paquet sur les chômeurs indemnisés et ceux inscrits depuis moins de six mois. « Dans les statistiques, le taux de sortie à six mois est un critère majeur. Comme le taux de réception à l’entretien du quatrième mois », décrypte un encadrant de terrain.

Débordés, les conseillers craignent le pire. Avec, au minimum, 300 000 chômeurs supplémentaires à venir avant la fin de l’année 2009, les prochains mois s’annoncent catastrophiques. Exemple, le BTP. « La semaine dernière, on a rentré une offre d’emploi de maçon. On a eu 26 candidats. Un chiffre impensable il y a quelques mois », illustre une conseillère de la banlieue lyonnaise. Sur le terrain, on s’inquiète aussi de la généralisation du revenu de solidarité active. À partir du mois de juin, des centaines de milliers de RMIstes, très éloignés du marché du travail, pourraient pousser la porte des agences… Sans parler de la fin progressive de la dispense de recherche d’emploi qui ramène dans le circuit les plus de 57,5 ans.

DES OFFRES D’EMPLOI NÉGLIGÉES

Pas de miracle à attendre, pourtant, de Pôle emploi pour fournir rapidement du travail aux chômeurs. Les offres déposées par les entreprises y sont en chute libre. Elles ont dévissé de 29 % en janvier 2009 (par rapport à janvier 2008) et même de 35 % pour les contrats de plus de six mois. « Les conseillers sont complètement démunis. Ils doivent convoquer tous les mois des demandeurs d’emploi pour leur expliquer qu’ils n’ont rien à leur offrir », explique Nicole Roussel, ­secrétaire général du SNU Picardie.

Des difficultés parfaitement connues de la ­direction, qui s’inquiète de la montée du mal-être au travail et des pics d’absentéisme observés dans de nombreuses agences. L’ex-DRH, Jean-Christophe Sciberras, avait ainsi pris contact, fin 2008, avec le patron du cabinet Technologia pour discuter d’une éventuelle étude sur les risques psychosociaux. « Les conseillers donnent beaucoup de leur personne, confirme un directeur régional. C’est très prenant sur le plan de la pression psychologique. Et très frustrant quand ils ne trouvent pas de solution pour les chômeurs. Or, actuellement, il y a beaucoup d’entrants et peu de sortants. »

Et d’autant moins de « sortants » que… les conseillers eux-mêmes ne sortent plus. Censés visiter régulièrement les entreprises pour débusquer des offres et présenter leurs services, ils ont presque abandonné cette mission. Faute de temps. « Les conseillers doivent se consacrer en priorité aux activités d’inscription, de suivi mensuel et à la plate-forme téléphonique », témoigne une animatrice d’équipe de la banlieue nord de Paris. « On n’a quasiment plus aucun temps d’autonomie. Ni pour visiter les entreprises, ni pour faire de la mise en relation entre recruteurs et demandeurs d’emploi, ni pour préparer les entretiens », souligne une conseillère bordelaise. Résultat, l’institution est aujourd’hui bien incapable de mettre en musique le très controversé dispositif d’offre raisonnable d’emploi, théoriquement opérationnel depuis la fin de l’année 2008. Tant pis ! En temps de crise, les « faux chômeurs » se distinguent assez mal des autres…

Un faramineux chantier social

Nuits blanches et luttes au couteau… Commencées fin janvier, les négociations d’harmonisation des statuts sociaux des ex-ANPE et ex-Assedic s’annoncent explosives. Direction et syndicats de Pôle emploi se sont donné dix-huit mois pour accoucher d’une convention collective commune, à raison de deux réunions de négociations par mois. Classifications, salaires et primes, durée du travail, congés, droit syndical, recrutement, mobilité… Le chantier s’avère colossal. Et plus dangereux pour les 14 000 salariés du régime d’assurance chômage, qui risquent d’y perdre des plumes. Pas sûr, en effet, qu’ils arrivent à maintenir leur package social, nettement plus favorable que celui de leurs 28 500 collègues de l’ex-ANPE. Agents de droit public, ces derniers bénéficient, de surcroît, d’une roue de secours : à l’issue des négociations, ils disposeront d’un an afin d’opter pour la nouvelle convention, de droit privé, ou garder leur statut actuel, datant de 2003.

On n’en est pas là ! À la complexité technique du dossier vient s’ajouter un effroyable émiettement syndical. Face à la direction, pas moins de sept organisations : l’habituel « club des cinq », plus le Syndicat national unifié (27 % des voix à l’ANPE) et l’Unsa. Des organisations parfois traversées par des dissensions internes : à la CGT et à FO, on se tire dans les pattes entre camarades issus des deux anciennes entités… Le paysage pourrait s’éclaircir fin mai, après les élections professionnelles. Pour peu que SUD, les anarcho-syndicalistes marseillais de la CNT ou les autonomes du Snap (des dissidents de la CFTC de l’ANPE) ne viennent pas troubler le jeu !

Première victime, Jean-Christophe Sciberras. Début février, les « durs » de la CGT, de FO et du SNU ont eu la peau de l’ex-DGRH, débarqué quatre mois après sa prise de fonction. L’ancien dirigeant de Renault, qui n’a pas, pour l’heure, de successeur, avait eu le tort de privilégier les syndicats réformistes de l’institution (CFDT, CGC, CFTC et Unsa) pour négocier et signer des accords transitoires minoritaires. Des textes instituant, notamment, une prime de fusion de 500 euros nets pour tous et des primes de mobilité pouvant atteindre 3 200 euros.

Auteur

  • Stéphane Béchaux