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Les langues passent à l’ère industrielle

Dossier | publié le : 01.04.2009 | E. L.

Pression sur les coûts des acheteurs, budgets en baisse pour cause de crise… Les prestataires répondent par la standardisation, la globalisation et la concentration des activités.

Pas de surprise. Selon le baromètre Place de la formation, l’anglais arrive toujours en tête des formations les plus demandées, tant dans le cadre du DIF que dans les plans de formation des entreprises. L’année 2008 a d’ailleurs été un bon cru pour le secteur, et les projets de nouvelles implantations affluent dans les grandes enseignes. Berlitz a ouvert un nouveau centre à Saint-Étienne l’an dernier. Et va inaugurer en 2009 ceux d’Arras, de Saint-Denis, Grenoble, Mulhouse et Belfort. Même appétit pour le Wall Street Institute, qui exploite déjà 65 centres de formation en France. Et vise trois nouvelles ouvertures dans l’année.

Mais ce volontarisme s’accompagne d’un sentiment d’inquiétude générale. Car l’enseignement des langues, comme l’ensemble de l’économie, s’apprête à vivre une année incertaine. « Pour le moment, l’activité reste stable. Mais les entreprises vont couper leurs plans de formation d’au moins 20 % », estime un observateur. Des coupes qui pourraient faire des dégâts dans un domaine d’activité plutôt fragile. Depuis une dizaine d’années, les spécialistes de l’apprentissage des langues souffrent à la fois de la volonté des grands groupes de maîtriser leurs coûts et de la concurrence de prestataires offshore. « En tenant compte de l’inflation, les tarifs horaires pour un enseignement en face à face ont baissé de 15 à 20 % entre 1995 et 2008, tirant aussi à la baisse les salaires des enseignants », souligne Andrew Wickham, consultant au cabinet Linguaid, dans une récente étude consacrée au secteur. « Fin 2007, près de la moitié des organismes qui publient leurs comptes étaient en situation financière très fragile. » Pour ce spécialiste, la demande va commencer à se tasser sérieusement à partir du deuxième trimestre. Et mettre les stratégies de croissance à l’épreuve.

Globalisation et diversification. Les grands réseaux tels Wall Street ou Telelangue paraissent plutôt bien armés pour résister : leurs modèles standardisés et l’usage de logiciels d’apprentissage leur permettent de baisser leurs tarifs tout en préservant leurs marges. Tandis que leur présence sur l’ensemble du territoire – en franchise ou en propre – les rend compétitifs pour répondre à des appels d’offres nationaux. Voire internationaux. « Dans ce cas, nous travaillons avec d’autres filiales de Wall Street à l’étranger et nous mettons d’accord sur une règle de partage des revenus », explique Nathanael Wright, président du WSI. Pour Telelangue, un groupe français créé en 1981 présent dans 14 pays, l’avenir est forcément global. « La Corée du Sud compte 48 millions d’habitants et dépense, rien que pour sa formation en langues, 5 milliards de dollars, autant que l’ensemble de l’Europe », rappelle Jean-Michel Dubedout, P-DG de Telelangue. Par gros temps, certains parient sur une diversification de l’activité. « Nous enrichissons notre portefeuille avec une activité de traduction et de formation interculturelle à destination de futurs expatriés », commente Marc Verger, directeur général de Berlitz France.

Les acteurs locaux peuvent aussi tirer leur épingle du jeu. À l’instar de Formalangues (7 millions d’euros de chiffre d’affaires), entré en 2007 dans le giron de Demos, qui mise sur son centre de formation de 1 200 mètres carrés en plein Paris pour accueillir ses « stagiaires ». Tandis que les plus petits organismes peuvent jouer sur la dimension « sur mesure » de leur offre. Leur impératif : diversifier au maximum la clientèle. « Je veille à ce qu’aucun client ne dépasse 15 % de mon chiffre d’affaires », note Christine Leclercq, fondatrice de Monceau Langues, un centre d’enseignement parisien qui vise le million d’euros de chiffre d’affaires en 2009.

Reste que la crise pourrait entraîner une concentration du secteur. Actuellement, l’accès à la profession est totalement libre. Ce qui explique qu’en dehors du peloton de tête la spécialité soit très émiettée entre quelque 270 organismes de formation. Mais le ralentissement économique – et l’arrivée à l’âge de la retraite de bon nombre de dirigeants d’organisme de formation – pourrait inciter les sociétés les plus solides à sortir leur carnet de chèques. Le groupe Linguaphone France a, coup sur coup, racheté en 2008 Unilangues et Langues et Affaires. « Nous avons réalisé une levée de fonds pour d’éventuels achats cette année », explique Sana Ronda, directrice générale du groupe, qui ne cache pas son ambition de devenir un acteur majeur du secteur. De même, le généraliste Demos a acquis Formalangues. Mais ce mouvement pourrait achopper sur la « culture » des petits acteurs. Dans les PME qui réalisent moins du million d’euros de chiffre d’affaires, le fondateur maîtrise encore tout, et n’est pas forcément prêt à partager le pouvoir ou à changer de méthode de travail. De plus, « la valorisation d’une entreprise de prestations intellectuelles est généralement difficile à établir », ajoute Christine Leclercq. Enfin, avec une rentabilité plutôt moyenne (5,4 % de marge nette en 2007), le secteur n’attire pas non plus les investisseurs extérieurs.

La concurrence mise à mal. Un sujet, au moins, met tout le monde d’accord : l’importance prise sur ce marché par les centres d’étude des langues (CEL) des chambres de commerce et d’industrie. Soutenue par ses membres, la Fédération de la formation professionnelle (FFP) reproche aux CEL de « parfois sérieusement mettre à mal » les règles de concurrence. Les CEL se servent, par exemple, de locaux mis à disposition par les CCI et ne dépendent pas de la convention collective, jugée plus généreuse, des organismes privés. « Notre propre statut n’est pas moins contraignant », rétorque Michel Meuret, responsable national du réseau de CEL. « Nous ne faisons que répondre à des besoins. Personne ne nous demande d’être numéro un. » Avec la réforme en cours visant à renforcer les compétences des chambres de commerce à l’échelon régional, ce réseau, qui pèse déjà près de 20 % du marché de l’enseignement des langues, pourrait encore gagner en puissance.

La diversité au hit-parade

Les champions ne se ressemblent pas : une demi-douzaine de réseaux concentrent à eux seuls 40 % du marché de la formation en langues dans les entreprises. Mais cette apparente hégémonie cache une grande diversité. Au sommet du classement, le réseau des centres d’étude des langues (CEL) des chambres de commerce et d’industrie. Avec un chiffre d’affaires 2007 de plus de 75 millions d’euros en formation professionnelle, le réseau consulaire couvre, selon une récente étude du cabinet Linguaid, 20 % de ce marché. Auxquels peuvent encore être ajoutés les Greta de l’Éducation nationale. Avec un peu plus de 20 millions d’euros de chiffre d’affaires pour leurs formations en langues, ils occuperaient 5,6 % du marché. Soit un quart du marché à eux deux. « Ils sont surtout présents en régions, mais tout porte à croire que leur croissance reste faible », souligne Andrew Wickham, auteur de l’étude. Premier acteur privé, Wall Street Institute revendique 35 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2007, dont 40 % pour la formation aux entreprises. À l’inverse de Wall Street, qui se développe sous forme de franchises, Telelangue est un réseau intégré, avec 15 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2007. Les deux places suivantes se répartissent elles aussi entre un franchiseur (Inlingua) et un réseau intégré (Berlitz, mais qui se développe aussi en franchise) : en 2007, les deux organismes ont réalisé respecti­ve­ment 17 millions d’euros et 16,5 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Un marché dominé par les CCI et les Greta
Les généralistes lorgnent aussi les langues

Le marché des langues intéresse les grands généralistes de la formation. En témoigne le partenariat commercial passé en novembre 2008 entre la Cegos (194 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2007) et Digital Publishing, acteur important au niveau européen du logiciel d’apprentissage des langues. Les deux entreprises font désormais la promotion de leurs offres respectives en e-learning. Un premier pas dans le monde des langues pour la Cegos « qui vise à répondre à une demande de [ses] clients et qui complète [son] offre en e-learning », explique Pascal Debordes, responsable de l’unité e-learning. Son concurrent, Demos (78 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2007), a adopté une stratégie plus intégrée, à travers la prise de contrôle, début 2007 de Formalangues. Cet acteur important du secteur (7 millions d’euros de chiffre d’affaires) est venu renforcer la filiale langues de Demos, jusque-là discrète sur le marché. Avantage pour Formalangues : bénéficier du réseau international et de la puissance financière de sa nouvelle maison mère. Tandis que les « multispécialistes » de la formation ajoutent ainsi une corde à leur arc. « L’enseignement des langues est très spécifique. Nous apportons un vrai savoir-faire », détaille Philippe Marec, P-DG de Formalangues. Mais le défi est loin d’être gagné. Les généralistes devront démontrer la viabilité économique de ce type de rapprochements. « Les tarifs pratiqués pour des formations en management ou un cours d’anglais ne sont pas du tout du même ordre », rappelle le dirigeant d’un organisme de formation. Au-delà de l’équation économique, les généralistes devront également prouver leur légitimité à enseigner les langues sur un marché qu’ils reconnaissent eux-mêmes comme très spécifique.

Auteur

  • E. L.