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Vie des entreprises

Pour rester au top, le luxe made in France parie sur ses talents

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.03.2009 | Laure Dumont

Attachées à préserver leurs précieux savoir-faire, les griffes françaises ont un potentiel en or. Mais il leur faut allier génie créatif et internationalisation.

Le luxe made in France a de l’avenir. Il suffit, pour s’en convaincre, de recenser ses clients potentiels. Dans leur jargon, les banquiers les appellent les Uhnwi, pour ultra high net worth individuals. « On compte actuellement plus de 400 000 millionnaires en Chine, environ 140 000 au Brésil et autant en Inde, précise Floriane de Saint Pierre, spécialisée dans le recrutement de dirigeants pour les marques de luxe et maître de conférences à Sciences po. Les consommateurs de produits de luxe seront encore plus nombreux dans dix ans. Une fois la crise actuelle traversée, les entreprises de ce secteur les plus performantes renoueront avec des taux de croissance à deux chiffres. » Dans le sillage des Japonais, qui ne démentent pas leur passion pour les Prada, Vuitton et autres Burberry, les Russes, les Chinois, les Indiens, les Brésiliens se passionnent à leur tour pour les produits de luxe et redessinent la carte du marché mondial de ce secteur en pleine expansion. Mais si leur prestige demeure intact, les marques françaises sont-elles armées pour relever durablement le défi de cette internationalisation galopante ?

Une subtile alchimie. Trop franco-françaises dans leur management, pas assez combatives face aux puissantes griffes italiennes, menacées par la contrefaçon, fragilisées par de potentielles pénuries de main-d’œuvre dans les métiers dits de la main : les critiques pleuvent sur les maisons les plus célèbres… De Chanel à Guerlain en passant par Hermès et Baccarat, les marques emblématiques de l’excellence française doivent continuer à innover pour rester fidèles à leurs traditions, tout en continuant de capter l’air du temps et de conquérir de nouveaux marchés. Une subtile alchimie. Et certaines s’y sont brûlé les ailes, comme en témoigne le gigantesque cimetière de marques qui jalonne l’histoire du secteur. Car le grand défi est bien de faire perdurer des maisons dont les géniaux créateurs ont disparu. « Préserver l’intemporalité d’une marque est un challenge et la garantie de sa survie. Madame Chanel ne renierait pas les collections actuelles de la maison qu’elle a créée et qui a su garder sa clientèle, raconte Thibaut de la Rivière, directeur de Sup de luxe, école de management créée en 1990 par le groupe Richemont (Cartier…). Mais d’autres, comme Dior, ont dû repartir de zéro, et il a fallu tout le génie d’un Bernard Arnault pour redonner une âme à cette prestigieuse maison de couture. Il est allé chercher le styliste John Galliano, mais il a su aussi canaliser sa créativité débordante ! »

Du génie ? Rien de moins ! Les patrons des maisons de luxe françaises sont condamnés à en faire preuve quand ils élaborent des stratégies qui s’appuient autant sur des artisans que sur des créatifs aussi ingérables qu’éblouissants. Tout ce beau monde devant, bien entendu, être encadré par des managers d’exception. Profil type : « À l’aise avec les chiffres, capable d’assumer des risques, doté d’un cursus international tout en ayant la sensibilité pour comprendre et travailler avec le monde de la création », résume la recruteuse Floriane de Saint Pierre.

« Les profils internationaux font cruellement défaut, s’inquiète Michel Chevalier, professeur à Dauphine et coauteur de Management et marketing du luxe (Dunod, 2008). Il y a encore beaucoup trop de Français dans le top-management des grandes maisons françaises, alors que les marchés d’avenir sont ailleurs. Les marques italiennes sont bien plus cosmopolites et c’est en partie ce qui explique leur rayonnement. » Du MBA de l’Essec au master de l’université de Marne-la-Vallée, quelques formations tentent de répondre à ce besoin du marché en profils calibrés pour la mondialisation haut de gamme. D’ailleurs, la composition des promotions fait parfois directement écho aux étapes de « développement pays » des grandes maisons : « Il y a cinq, six ans, nous avions des candidats russes, raconte Valérie Haie, directrice pédagogique de Sup de luxe ; il y a deux, trois ans, c’étaient des Chinois. Aujourd’hui, les élèves viennent plutôt d’Amérique latine. » Les grands du luxe maîtrisent parfaitement l’art de faire rêver les clients, tout comme leurs recrues potentielles.

Des pans entiers de la fabrication ont déjà franchi les frontières, dans la maroquinerie par exemple

Beaucoup pensent que travailler dans le luxe revient à vivre comme les clients du luxe, prévient Thibaut de la Rivière. C’est une erreur, le luxe est un secteur dont il faut avant tout s’approprier les valeurs. On y travaille beaucoup, pour des salaires qui n’ont parfois rien à envier aux autres entreprises. » Pour ceux qui sont prêts à tenter l’aventure, le luxe proposerait chaque année 150 postes de managers juniors, en dehors des artisans. Dans un secteur qui représenterait au total 170 000 emplois environ, toutes fonctions confondues.

Le Comité Colbert, qui réunit 71 maisons de luxe françaises, de Berluti à Veuve Clicquot, a une interprétation moins large du secteur en termes d’emplois, centrée sur les métiers d’art. Pour cette association créée en 1954, ce sont 33 000 personnes, réparties en 130 métiers dans 10 catégories différentes, qui permettent à la France de s’afficher comme le premier exportateur mondial du luxe, avec un chiffre d’affaires de plus de 12 milliards d’euros !

Volontairement baptisés « trésors vivants », comme dans la tradition japonaise, ces nez du parfum, paruriers, orfèvres, ciseleurs, selliers… sont considérés comme un patrimoine inestimable à préserver à tout prix. Certains sont effectivement en péril : dans la verrerie, par exemple – la branche qui fournit la main-d’œuvre des grandes cristalleries –, on est passé de 8 900 salariés en 1986 à 4 500 aujourd’hui. Fragilisés par une tradition de transmission souvent simplement orale, ces métiers font donc l’objet de toutes les attentions. Depuis sa création en 1994, le titre de maître d’art, décerné par le ministre de la Culture, a déjà récompensé 89 professionnels d’excellence. Ceux-ci s’engagent de leur côté à transmettre leur savoir-faire à un jeune pendant trois ans, moyennant une allocation annuelle de 16 000 euros. Ce compagnonnage est vital. Il faut plusieurs années pour former un bon artisan d’art, voire une décennie. Des temps incompressibles qui garantissent à terme la compétence très pointue des artisans ainsi initiés et qui justifient des budgets de formation deux à trois fois supérieurs à la moyenne des entreprises françaises : chez Lancôme, par exemple, c’est 5 % de la masse salariale, 4,5 % chez Boucheron, 4 % chez Krug…

Parallèlement, le secteur du luxe multiplie les partenariats avec le système éducatif. Depuis 2005, de grandes maisons comme Lancôme, Puiforcat ou encore Saint Louis ouvrent ponctuellement leurs portes aux collégiens pour qu’ils découvrent tous les métiers que l’on y exerce. Des liens privilégiés sont également tissés avec des établissements spécialisés, comme l’école Boulle ou le lycée Octave-Feuillet, à Paris. « Il y a eu, il y a dix à quinze ans, une vraie inquiétude de la profession quant à la disparition de tous ces métiers d’art, se souvient Bruno Pavlovsky, P-DG de Chanel Mode. Elle était fondée car, à l’époque, de nombreux propriétaires de petite maison devaient passer la main. Cette prise de conscience a été bénéfique et a généré un élan positif. Aujourd’hui, les partenariats avec les instituts de formation se multiplient et l’on voit une nouvelle génération reprendre des maisons. »

Pour s’assurer de la pérennité de ses partenaires les plus incontournables, Chanel s’est même lancé dès 1996 dans une série de rachats pour un investissement qui atteindrait 35 millions d’euros. Des broderies Lesage au bottier Massaro en passant par le plumassier Lemarié, sept TPE, soit 350 artisans, sont ainsi entrées dans le giron de la maison de la rue Cambon, tout en gardant leur ancien portefeuille de clients. « Il faut un mois pour monter une collection, et nous en montons huit par an, poursuit Bruno Pavlovsky. Or la mode, ce n’est pas seulement savoir coudre, c’est aussi être réactif et disponible. Ces ateliers le sont totalement. »

Quand le made by remplace le made in. Il s’agit bien de soutenir le business, pas des chefs-d’œuvre en péril. Ainsi, malgré la crise, Hermès a annoncé 50 à 100 embauches de maroquiniers en 2009, et, depuis cinq ans, 22 sites ont été ouverts sur le territoire français par des entreprises de luxe. Si le secteur recrute et se développe en France, c’est parce qu’il y trouve encore son intérêt. Mais, parallèlement, des pans entiers de la fabrication ont déjà franchi les frontières, dans la maroquinerie par exemple. La maison Longchamp, notamment, assume que le tiers de sa production soit désormais réalisé à l’étranger, en particulier en Tunisie et au Maroc, moyennant une vigilance aiguë sur la qualité.

Quant aux Chinois, longtemps décriés pour leur manière de faire vite et mal, ils sembleraient aujourd’hui être en mesure de garantir aussi du travail et des finitions de très haut de gamme. « Sur les étiquettes des sacs Coach, la grande marque américaine de maroquinerie, on peut lire hand made in China, raconte Michel Chevalier. Incontestablement, le made by Prada ou Hermès supplante aujourd’hui le made in Italy, France. »

Aujourd’hui, la fabrication d’un sac ou d’un foulard est éclatée dans différents pays et c’est le lieu où s’effectuent certaines opérations seulement qui définit la mention figurantin fine sur l’étiquette. « Mais surtout, conclut Michel Chevalier, il faut s’attendre que, bientôt, de vraies marques de luxe chinoises rivalisent avec les plus grandes maisons européennes », prédit-il. L’industrie française du luxe aurait donc bien raison de s’armer pour demain, car le combat s’annonce rude. Les artisans chinois ne demandent qu’à prendre leur place dans le petit monde des trésors vivants.

Mellerio dits Meller : quatre siècles de savoir-faire au service de la haute joaillerie française

Napoléon avait à peine percé la rue de la Paix que Mellerio s’y installait – en 1815 exactement –, inaugurant ainsi ce qui deviendra, bien plus tard, le haut lieu de la joaillerie parisienne. Créé par des immigrés italiens en 1613, Mellerio est aussi le joaillier français le plus ancien, et le seul qui soit resté indépendant, avec un capital familial à 100 %. Aujourd’hui, la quatorzième génération est aux commandes avec deux frères, Olivier et François Mellerio, perpétuant la tradition d’excellence et de confiance d’une maison qui fait partie de l’histoire de France. Dans ses 300 livres de clients, on trouve Marie-Antoinette, les impératrices Joséphine et Eugénie, la comtesse de Ségur ainsi qu’un illustre aréopage de monarques de toutes les cours européennes. Mais la maison a aussi survécu aux guerres et aux révolutions et, pour contourner le racisme anti-italien qui sévissait au XVIIIe siècle, la famille a un temps poursuivi son activité sous le nom raccourci de Meller. Spécialiste du bijou sur mesure et de la bague de fiançailles haut de gamme (compter de 10 000 à 100 000 euros), Mellerio a une clientèle traditionnelle issue de la bourgeoisie française qui lui est très attachée. Mais 40 % de son chiffre d’affaires proviennent maintenant de clients étrangers, japonais notamment, ou du Moyen-Orient. Sur la trentaine de salariés qui compose cette PME très discrète, une dizaine, orfèvres, joailliers ou polisseurs, travaille à la fabrication. On dit qu’il faut au moins dix ans pour former un bon joaillier. Actuellement, un apprenti est initié à l’art de créer des joyaux, selon le savoir-faire ancestral de la maison.

Auteur

  • Laure Dumont