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Vie des entreprises

Jim Mitchell imagine le bureau du futur chez Steelcase

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 01.03.2009 | Sandrine Foulon

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Âge moyen des salariés en 2007

Crédit photo Sandrine Foulon

Lean production, essorage des RTT, baisse de rémunération pour les dirigeants… Le fabricant de mobilier de bureau Steelcase cherche à résister à la crise, mais sans sacrifier l’innovation.

Vous avez tout tenté et avez lamentablement échoué. La leçon de cette histoire : n’essayez jamais. » Parmi toute une série de maximes empruntées à Einstein, Edison, Churchill ou Ford, le conseil d’Homer Simpson figure en bonne place sur les murs du siège social international de Steelcase à Schiltigheim, à deux pas de Strasbourg. C’est pourtant celle de Proust – « La véritable découverte ne consiste pas à trouver de nouveaux territoires mais à voir avec de nouveaux yeux » – qui correspond davantage à l’esprit de ce nouveau siège baptisé WorkLab. Il est loin le temps du joint-venture Steelcase Strafor piloté par Henri Lachmann. Depuis dix ans, l’américain Steelcase, numéro un mondial du mobilier de bureau, a repris sa liberté et joue la carte de l’innovation. Dirigée depuis 2004 par le Canadien Jim Mitchell, l’entreprise, qui emploie 1 200 salariés en France, ne se contente plus de fabriquer sièges, plateaux ou armoires. Elle imagine les espaces de travail du futur, s’interroge sur les attentes de la génération Y… Et, pour ce faire, teste in vivo sur ses salariés les prototypes de mobilier et l’agencement de l’espace qu’elle entend vendre à ses clients. Reste pour Jim Mitchell à sauver ce laboratoire d’idées percuté par la crise. « Nous suivons les cycles économiques. Les entreprises n’achètent pas de mobilier de bureau pour des salariés qu’elles licencient », résume Manuela Montagnana, DRH de Steelcase pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique. Après 2001, Steelcase a connu quatre plans sociaux. Pas de quoi rassurer les quatre sites alsaciens, inquiets pour l’avenir, qui se vivent dans un tout autre univers que celui, cosy et créatif, du siège.

1-Doper l’innovation

Manuela Montagnana ne reçoit pas dans son bureau. Elle n’a pas de bureau. Le nouveau bâtiment où les 300 salariés du siège se sont installés en 2006, quittant le siège historique des Forges de Strasbourg, à Koenigshoffen, résume à lui seul toute la philosophie de ce que devraient être, selon les dirigeants de Steelcase, les espaces de travail du futur. Pas de bureaux cloisonnés et privatifs ni de couloirs étroits et interminables, mais des espaces ouverts où chacun peut connecter son ordinateur portable. Pour les appels ou les contacts confidentiels, 48 salles de réunion sont accessibles. Des prototypes de mobilier conçus au sous-sol du bâtiment, voire en provenance des États-Unis, sont testés par les équipes dans les étages. Au hasard : un life savor (borne où sont disponibles toutes les recharges de téléphone possibles), une cabine insonorisée pour s’isoler dans l’open space, une table haute équipée d’un tapis roulant pour téléphoner en marchant…

Derrière une immense paroi de verre, « installée récemment pour rassurer des clients parfois désarçonnés de voir le P-DG travailler au beau milieu de l’open space », regrette la DRH, chacun peut voir Jim Mitchell penché sur son ordinateur portable. Il partage une table avec deux managers. « Ils se sont installés là aujourd’hui mais peuvent aller ailleurs demain », explique Manuela Montagnana. Ailleurs, ce sont aussi les aéroports, les hôtels… À l’instar de Jim Mitchell qui passe sa vie dans les avions entre l’Europe et la maison mère de Steelcase à Grand Rapids, dans le Michigan, 60 % des salariés sont nomades. Mais, pour limiter les voyages, des salles de téléprésence dernier cri permettent aussi aux salariés de s’entretenir avec leurs collègues à l’autre bout de la planète. « Avec le prix du carburant appelé à augmenter, des futurologues pronostiquent que les cadres n’effectueront plus qu’un voyage outre-Atlantique par an », note Catherine Gall, responsable de la cellule prospective.

2-Favoriser le travail d’équipe

À Strasbourg ou au WorkLife, le siège parisien de Steelcase France, tout est conçu pour encourager le travail collaboratif et les rencontres informelles, « la glu de l’entreprise », affirme Catherine Gall. À commencer par le café gratuit dans un lieu convivial. Et partout, des canapés, du mobilier design transformable en pouf, table, tabouret, siège… Des tables basses équipées d’un écran permettent à deux ou trois salariés d’improviser une réunion. Tous les bâtiments sont pourvus du Wi-Fi. À Schiltigheim, même la grande terrasse en tek est équipée. « Dans les sondages, les salariés citent la nature comme étant le lieu le plus stimulant pour travailler », relève la DRH.

Mais les salles de réunion ont aussi été revisitées pour favoriser la créativité. De part et d’autre d’une table haute « qui permet davantage aux gens de circuler », précise Catherine Gall, ont été placés deux écrans LCD. « Terminées, les réunions scolaires où l’intervenant projette son exposé sur le mur du fond. Là, chacun peut intervenir et même prendre la main pour montrer sur les écrans ses propres docs numérisés. » À l’aide d’une batterie de sondages et d’études réalisés chez ses clients, Steelcase essaie d’anticiper les besoins. « Les générations se succèdent moins rapidement. Sur un même lieu travaillent des salariés qui ont jusqu’à quarante ans de différence. À nous de les faire cohabiter », poursuit Catherine Gall, qui voit une tendance lourde se dessiner : les regroupements de sites.

3-Stimuler la compétitivité

Durement frappé par la crise de 2001, Steelcase a entièrement revu son mode de production et s’est converti en 2003 au lean manufacturing. Entre 2001 et 2002, l’entreprise a perdu 40 % de son chiffre d’affaires puis a connu, entre 2002 et 2005, quatre plans sociaux. Directement inspiré de la méthode Toyota, le Steelcase production system traque le gaspillage et accentue le séquençage des tâches pour gagner en efficacité. Une révolution pour les sites de Rosheim, Wisches, Marlenheim et Sarrebourg, qui comptent près de 800 ouvriers. « Grâce à cette méthode, nous avons retrouvé notre compétitivité et nous allons être en mesure de lancer ce mois-ci le 9/15 », explique Sébastien Strubel, directeur industriel Europe. En clair, il s’agit de livrer un produit en quinze jours (contre dix-huit aujourd’hui et vingt-trois il y a un an), sachant qu’un client peut modifier sa commande durant les six premiers jours.

Certains syndicats déplorent ce redécoupage en tâches simples. « Avant, nous montions un produit de A à Z, explique Bruno Pannekoecke, délégué syndical central CGT. On est revenu à un travail à la chaîne répétitif. Et ce système ne prend pas en compte la population vieillissante, 46 ans en moyenne en production. On constate de plus en plus de TMS et de problèmes de santé. Sur les 120 ouvriers de Wisches, la moitié est concernée par des restrictions médicales. » Et Alain Becker, DS central FO, de renchérir : « Un système de rotation a été mis en place pour éviter les mêmes gestes. Mais certains salariés peuvent rester très longtemps scotchés au même poste, faute d’ouvriers pour les remplacer. En plus, le manque de complexité agit sur le moral des gens. »

Un constat que conteste Christophe Brunschwiller, responsable de la santé et de la sécurité pour l’Europe. Il travaille avec un ergonome et un médecin du travail, tous deux salariés de l’entreprise. Sans oublier la caisse régionale d’assurance maladie avec laquelle il est parti en guerre contre les TMS. « Nous cotons la pénibilité des postes et avons ouvert des chantiers de correction ergonomique où nous impliquons les opérateurs, les gens des méthodes, les leaders de zone, les DP, le CHSCT… Nous utilisons un logiciel de dépistage des risques de TMS dès que nous ouvrons une nouvelle ligne de production. Nous essayons de concevoir en amont les lignes de manière la plus ergonomique possible. Nous n’arriverons pas à supprimer les TMS mais nous pouvons les stabiliser. » L’objectif étant dorénavant de concevoir 20 % de postes légers pour éviter l’emballement des restrictions médicales qui touchent, selon lui, une trentaine de salariés.

4-Résister à la crise

Aux États-Unis, la décision est tombée le 2 février : hormis les cols bleus, tous les salariés de Steelcase verront leur rémunération baisser de 5 à 12 %. Pas besoin, là-bas, d’avenant au contrat de travail. En France, seul le comité de direction est touché par cette mesure. Tandis qu’aux États-Unis les carnets de commandes se sont déjà fortement allégés, la crise commence à gagner l’Europe. Dans les usines françaises, le volant d’intérimaires a été réduit, les sites alsaciens fermés le vendredi, et les jours de congé et de RTT – les salariés bénéficient de dix jours de RTT – éclusés. Le compte épargne temps, hier cauchemar des DRH, se transforme en cagnotte miraculeuse. « Nous avions 22 000 jours provisionnés », explique la DRH. « Bien sûr, légalement, nous ne pouvons pas obliger un salarié à puiser dans ce compte, mais c’est une alternative plus favorable financièrement au chômage partiel. » Une issue devenue quasi imminente.

Pourtant, en dépit de la crise, le parti pris de Steelcase est de continuer à investir dans l’innovation. Cette année, l’entreprise lancera 10 nouveaux produits. Et la course à l’amélioration se poursuit. « Les vendredis, plutôt que de renvoyer à la maison les salariés qui ont épuisé tous leurs jours de congé, nous entamons des chantiers kaizen. Nous les formons à réduire encore les coûts inutiles », note Sébastien Strubel.

Cette recherche d’optimisation continue concerne aussi les services. Depuis dix-huit mois, l’entreprise a adopté le lean office. « Nous avons ouvert une dizaine de chantiers et les résultats sont spectaculaires, se félicite Françoise Boussinesq, responsable du lean office pour l’Europe. Nous travaillons par groupes à l’amélioration des process. Nous avons par exemple réduit de 70 %, soit une semaine, les délais entre la délivrance d’un contrat d’embauche et la saisie des données par la paie. En impliquant tous les acteurs, nous sommes parvenus à réduire de moitié le temps de production d’un catalogue de prix… Partout, les sources de valeur ajoutée sont immenses. »

5-Harmoniser les statuts

Hormis la signature d’une charte de la diversité et d’un accord sur l’égalité hommes-femmes avec les partenaires sociaux, le dialogue social « n’est pas évident, concède la DRH. Nous héritons des conflits durs de la métallurgie ». Il y a deux ans, l’ouverture d’une négociation sur la GPEC, qui vient juste de se rouvrir, s’est soldée par un échec. Mais la DRH entend surtout harmoniser les statuts : « Chaque site possède ses propres modalités en termes de temps de travail. Celui-ci est certes annualisé, mais les périodes d’activité hautes ou basses ne sont pas les mêmes selon les sites. Devant les résistances syndicales locales, nous avons dû dénoncer tous les accords sur le temps de travail. »

Les syndicats n’adhèrent pas à cette lecture. « L’entreprise veut surtout davantage flexibiliser les horaires, augmenter les astreintes », dénonce Bruno Pannekoecke, de la CGT. « Jim Mitchell est un financier », relève Jean-Luc Braun, DS central CFDT, vingt-cinq ans d’ancienneté, qui a connu la période Steelcase Strafor. « À l’époque, la reconnaissance des hommes, ça comptait. À présent, on est dans une logique américaine, très financière », poursuit-il. FO et la CGT voudraient aussi et surtout le respect du droit syndical. Le DS cégétiste a remporté trois procès contre son employeur dont un contre atteinte au droit de grève, jugé au tribunal d’instance de Colmar. « On pourrait multiplier les délits d’entrave, note le cégétiste. On a par exemple appris une annonce par les Dernières Nouvelles d’Alsace avant que le CCE n’en soit informé. »

Pour Jean-Luc Braun, il s’agit aussi d’améliorer la communication. Jim Mitchell ? Ils ne connaissent pas, répètent les syndicalistes en chœur. « Il ne parle pas français. Et nous, pas anglais », résume l’un d’eux. « Il y a un gros décalage entre les cadres du siège et les ouvriers des usines. Chez nous, pas de baby-foot, pas de cantine bio. Le dialogue avec la hiérarchie n’est pas le même. Ce n’est pas le même monde », s’amuse Alain Becker, de FO. Sans doute un nouveau chantier kaizen à ouvrir…

Repères

Premier fabricant mondial de mobilier de bureau, Steelcase, né en 1912 aux États-Unis, emploie 13 000 personnes dans le monde, dont 1 200 en France. Le groupe investit chaque année 46 millions de dollars en R & D. Steelcase a réalisé 3,4 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2007 dans le monde, 291,7 millions d’euros en France.

1974

Steelcase signe un joint-venture avec Strafor, la marque issue des Forges de Strasbourg, première société à fabriquer dès 1919 du mobilier métallique en France. En 1981, le joint-venture donne naissance à la société Steelcase Strafor, dirigée en 1983 par Henri Lachmann, artisan du rapprochement avec Facom.

1999

Strafor Facom met fin à son association avec Steelcase, qui entre en Bourse. L’entité Steelcase International garde son siège alsacien.

L’entreprise connaît un turnover très faible et un vieillissement important. À l’horizon 2020, 30 % des effectifs américains vont partir à la retraite, un peu moins en France.

Âge moyen des salariés en 2007
ENTRETIEN AVEC JIM MITCHELL, P-DG DE STEELCASE INTERNATIONAL
“Les bureaux cloisonnés et personnels sont voués à disparaître”

Comment envisagez-vous l’évolution de l’espace de travail au cours des dix années à venir ?

Les grands espaces de bureaux et les espaces cloisonnés et personnels sont voués à disparaître. Ils vont très certainement céder la place à des we spaces, des espaces ouverts, flexibles et davantage collaboratifs. Nous avons de plus en plus de demandes dans ce sens. Les salariés sont devenus très mobiles, aidés en cela par la technologie des PDA, des BlackBerry, des ordinateurs portables. Les entreprises sont elles-mêmes de plus en plus mondialisées et leurs collaborateurs ont besoin de se rencontrer. Il leur faut donc du mobilier plus innovant où ils peuvent brancher leur portable, mais également des espaces où ils peuvent échanger des informations. Que ce soit de visu ou grâce à des systèmes de téléconférence très sophistiqués.

Les entreprises vont-elles passer au tout open space, un agencement aujourd’hui sous le feu des critiques ?

Le we space n’est pas un open space. C’est en effet un lieu sans cloisons mais avec des salles de réunion, des bureaux où il est possible de s’isoler. En revanche, le concept de bureaux fixes attribués à des salariés n’existe plus. Chacun peut s’installer où il veut. Certaines sociétés ont constaté que 80 % de leurs bureaux restaient inoccupés. Mis à part certains employés sédentaires qui auront besoin de postes attitrés, les nomades vont devenir la norme. L’idée n’est pas de comprimer l’espace mais de le partager. Et ce réaménagement ne nécessite pas de coûts exorbitants.

Pour des raisons de coûts, justement, les entreprises vont-elles promouvoir le télétravail ?

Aux États-Unis, Nortel avait décidé de renvoyer 20 000 personnes à la maison pour réaliser des économies. Dix-huit mois plus tard, il les réintégrait dans des bureaux. Les salariés ont besoin de relationnel. Le télétravail est une bonne option si les salariés possèdent un lieu où ils peuvent se rencontrer. C’est pourquoi, à l’instar de Google ou d’Apple, les sièges vont devenir de plus en plus conviviaux.

L’espace de travail peut-il doper la productivité ?

Nous pouvons aider les entreprises à raccourcir leurs cycles de production. Combinés au lean office, qui permet de chasser les sources de gaspi, les espaces collaboratifs et ouverts favorisent la proximité et créent des interactions entre les commerciaux, les ingénieurs, les spécialistes du marketing… Il m’arrive de travailler à côté de mon directeur financier qui, lui-même, échange avec la DRH. Je peux lever les yeux, me mêler à leur conversation, résoudre immédiatement un problème qui aurait nécessité une réunion spécifique.

Ce modèle tient-il compte des spécificités culturelles ?

Le we space est bien entendu adaptable. En Europe ou aux États-Unis, on tolère une certaine densité de salariés dans un espace de travail. Mais, en Inde ou en Chine, il est culturellement plus accepté d’être plus nombreux dans les bureaux.

Comment Steelcase peut-il s’adapter à la crise ?

Cette crise a un impact considérable et nous frappe durement. Nombre de nos clients ont déjà perdu beaucoup d’argent. Nous venons de fermer un site à Atlanta. Aux États-Unis, Steelcase vient de décider une baisse de rémunération de 5 à 12 % pour l’ensemble de ses salariés, hormis les cols bleus. En France, seul le comité de direction est touché par cette mesure. Nous avons également réduit nos dépenses, annulé des séminaires, diminué les voyages, levé le pied dans les usines en Espagne ou en France. Mais si cette récession se poursuit, nous pourrions perdre des emplois.

Êtes-vous tenté par des délocalisations ?

Nous avons deux sites en Chine mais pour irriguer le marché local. Pas question de tout délocaliser. L’avantage concurrentiel en termes de coûts n’est plus le même qu’il y a cinq ans. Si votre business requiert une main-d’œuvre nombreuse et faiblement qualifiée, ce genre de pays est attractif. Mais nous avons besoin de salariés qualifiés. Nous voulons rester ici, près de nos clients. Et ressortir de cette crise plus grands que nous ne l’étions. C’est pourquoi nous allons continuer à innover et à lancer des nouveaux produits.

Propos recueillis par Sandrine Foulon

JIM MITCHELL

59 ans.

Diplômé de l’université Ryerson à Toronto (commerce).

1989

Devient président de Tambrands Canada.

1993

Entre chez Steelcase, où il s’occupera des ventes et du marketing en Amérique du Nord.

1998

Devient président de Steelcase Canada.

2004

Prend la tête de Steelcase International.

Auteur

  • Sandrine Foulon