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Enquête

Les entreprises peinent à prendre le virage écolo

Enquête | publié le : 01.03.2009 | Stéphane Béchaux

Les dirigeants communiquent à tout-va sur le développement durable. Mais très peu l’intègrent dans la stratégie de leur entreprise. Résultat, tout reste à faire.

Finis, les 4 x 4, place aux éoliennes ! Pour les 1 600 salariés de l’usine Ford de Blanquefort (Gironde), le salut vient du développement durable. Menacé de fermeture, leur établissement, spécialisé dans la fabrication de boîtes de vitesses automatiques pour grosses cylindrées américaines, va être racheté par HZ Holding. Une entreprise allemande qui, d’ici à 2013, injectera 200 millions d’euros dans six nouveaux projets, dont l’un portant sur l’énergie éolienne. « L’industrie automobile savait depuis longtemps qu’elle allait subir des contraintes environnementales fortes. Mais elle s’est contentée d’améliorer ses process. Sans repenser son offre de produits », commente Olivier Cassiot , associé du cabinet Des enjeux et des hommes, une structure spécialisée dans l’accompagnement des démarches de développement durable.

La déconfiture des constructeurs automobiles américains constitue le parfait exemple des dangers qui menacent les entreprises sans vision stratégique. « L’effondrement du secteur pose la question de la capacité des acteurs à changer de modèle économique. Des patrons visionnaires ne se seraient pas contentés de limiter les impacts environnementaux des véhicules. Ils auraient aussi repositionné leur offre pour devenir des leaders du déplacement », affirme Anne-Catherine Husson-Traore, directrice générale de Novethic. Une logique de long terme qui, à l’heure des reportings hebdomadaires et des annonces de résultats trimestriels, s’avère ardue à mettre en place.

Autre secteur particulièrement touché par les contraintes écologiques, le BTP. Dans l’Hexagone, les bâtiments représentent 23 % des émissions de CO2 – à 70 % dans le résidentiel et 30 % dans le tertiaire – et 46 % de la consommation d’énergie finale. Des taux intenables qui, à l’heure du réchauffement climatique, bousculent les pratiques des rois du béton, contraints de se positionner sur la haute qualité environnementale (HQE). « Dans les appels d’offres, on va avoir de plus en plus souvent des clauses portant sur la qualité environnementale des bâtiments. La plupart des entreprises n’ont pas anticipé. Elles sont d’autant plus en retard que les réglementations changent en permanence », souligne Chloé Fascio, responsable du développement durable chez Cari. Le numéro six du secteur n’a, lui, pas raté le virage. Il a créé, dès 2004, une direction technique pour faire de la R & D environnementale. Et construit, à Sophia-Antipolis, le premier bâtiment des Alpes-Maritimes certifié HQE. Une vitrine pour remporter des marchés.

Hormis les quelques majors du secteur, le BTP reste très en retard dans sa prise en compte des nouvelles normes. C’est vrai dans la construction, mais encore plus dans la rénovation. Les fédérations professionnelles n’ont lancé qu’au printemps dernier leur premier dispositif de formation aux économies d’énergie. Objectif : sensibiliser 50 000 salariés d’ici à la fin 2009. Du côté de la formation initiale aussi, tout reste à faire. « L’enseignement est très en retard. Dans les écoles d’ingénieurs, il n’existe pas encore de modules spécifiques sur les questions environnementales », assure-t-on chez Cari. Le marché est pourtant colossal si la France entend tenir les engagements du Grenelle de l’environnement : construire des bâtiments peu consommateurs dès 2012 et réduire les consommations d’énergie du parc existant de 38 % d’ici à 2020…

Sans surprise, les grands fournisseurs d’énergie ont commencé à intégrer la nouvelle donne écologique dans leur stratégie. C’est vrai d’EDF ou de GDF Suez. Mais aussi des équipementiers. Tel Schneider Electric qui, par la voix de son big boss, Jean-Pascal Tricoire, a annoncé fin janvier sa volonté de former au plus vite 2 000 « énergéticiens ». « L’entreprise vit une profonde mutation liée au contexte environnemental. Nous ne sommes plus seulement des vendeurs de produits électriques, mais des fournisseurs de solutions d’optimisation et d’efficacité énergétique », explique Éric Pilaud, le directeur de la stratégie. D’ici à 2011, l’entreprise va ainsi former, au sein de son université, 9 500 collaborateurs – vendeurs, chefs de projet, technico-commerciaux… – pour accompagner son redéploiement.

Les majors des services aux collectivités, aussi, ont commencé à prendre le pli. « Dans un appel d’offres, proposer des prestations respectueuses de l’environnement devient positivement discriminant. Car les élus locaux sont très engagés sur ces sujets », note Pierre Tré-Hardy, responsable du développement durable de la Lyonnaise des eaux pour la région Paca. L’entreprise, qui forme massivement ses collaborateurs aux enjeux du développement durable, investit de nouveaux créneaux : suivi des stations d’épuration, analyse des eaux de baignade, installation de poubelles en mer pour plaisanciers…

Le chantier à mener est néanmoins immense. « Depuis 2007, il y a eu une vraie maturation aux enjeux du développement durable. Mais on reste encore dans la sensibilisation. Les entreprises ne sont pas rentrées dans le dur, elles travaillent très peu sur leurs pratiques professionnelles », estime Olivier Cassiot. Les rapports sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) regorgent pourtant de belles opérations vertueuses. Mais il s’agit, pour l’essentiel, d’actions citoyennes annexes, déconnectées du cœur du business, du type recyclage du papier de bureau ou mise en place d’un système de covoiturage. « On ne peut que saluer la promotion des écogestes. Mais, hélas ! leur mise en place ne révèle rien. Ils peuvent aussi bien marquer la première étape d’une démarche de RSE que servir d’alibi pour ne rien faire », insiste Anne-Catherine Husson-Traore.

Et même sur ce terrain-là, les pratiques sont souvent contradictoires. Ainsi de l’assureur AGF, qui se vante d’avoir souscrit dès 2005 au Fonds carbone européen, visant à réduire les gaz à effet de serre. Et qui, par ailleurs, propose à ses commerciaux méritants de troquer leurs primes contre des voitures de fonction plus puissantes. Un exemple parmi tant d’autres. « Certaines entreprises se croient exemplaires parce qu’elles trient leurs déchets. Alors que ce poste ne représente que 2 % de leurs émissions de gaz à effet de serre », illustre Laurence Gouthière, du département activités économiques de l’Ademe. Idem de celles qui encouragent le covoiturage après avoir déménagé en grande banlieue, loin de tout transport en commun. En matière d’écologie, la rupture n’a pas encore eu lieu.

QUESTION CROISÉE À… JEAN-PIERRE BOMPARD, CFDT, ET DAMIEN DEMAILLY, WWF
La réduction des émissions de carbone se traduira par moins de pertes que de créations d’emplois

Vous suivez le Grenelle de l’environnement pour votre organisation. Ne pensez-vous pas que les engagements pris sur la diminution des émissions de carbone vont jouer contre l’emploi ?

J.-P. Bompard. « Les lois sur le Grenelle de l’environnement ne seront pas neutres en matière d’emploi. La réduction recherchée des émissions de carbone sur les transports routier et aérien va coûter des emplois. Et les délocalisations seront nombreuses si l’Europe continue d’exiger de ses industriels la réduction des émissions de carbone sans être suivie par les États-Unis et les grands pays émetteurs. Dans ces conditions, nous réclamons avec la Confédération européenne des syndicats la signature d’un accord mondial pour éviter la concurrence déloyale sur ce point. Autrement, nous serions prêts à réclamer une taxe aux frontières de l’Europe pour protéger nos emplois. »

Damien Demailly. « Nous avons piloté une étude pour évaluer l’impact sur l’emploi si la France réduisait ses émissions de gaz à effet de serre de 30 % d’ici à 2020, par rapport à 1990, grâce à une stratégie axée sur la sobriété, l’efficacité énergétiques et les énergies renouvelables. Les producteurs d’énergie traditionnelle, comme le raffinage, le gaz ou le nucléaire, en souffriraient. Tout comme l’automobile. Mais ces pertes d’emplois seraient compensées par des créations dans des secteurs moins capitalistiques, comme le bâtiment, la géothermie, l’éolien ou le photovoltaïque. Finalement, cela se traduirait par 700 000 emplois en plus. »

La poubelle multibac

Elle est indispensable au recyclage du papier, qui représente plus des trois quarts des déchets dans les bureaux.

100 kilos par salarié et par an…

Le papier représente 80 % des déchets produits au bureau. Mais, en l’absence de réglementation contraignante, l’écrasante majorité des entreprises ne trient pas leurs corbeilles.

En croissance depuis des années, le marché du recyclage pâtit de la crise. « Depuis l’automne, les cours ont dramatiquement chuté, de l’ordre de 60 % », explique Didier Carpentier, directeur commercial de La Corbeille bleue (Groupe Paprec).

Résultat, recycler coûte plus cher aux entreprises citoyennes. De quoi retarder encore la généralisation de la poubelle de tri au bureau.

Auteur

  • Stéphane Béchaux