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Vie des entreprises

A Birmingham, Rover s'est mis à l'allemand intensif

Vie des entreprises | REPORTAGE | publié le : 01.03.2000 | Sabine syfuss-Arnaud

Longbridge, la plus ancienne usine de Rover, est l'une des moins productives du groupe. Repris par BMW en 1994, le constructeur britannique est soumis depuis un an aux méthodes managériales allemandes. Flexibilité et mobilité… la révolution a commencé au pays de la mythique Austin Mini.

Ne parlez plus de Longbridge. Dites désormais Rover Birmingham pour évoquer cette usine, symbole de l'industrie automobile britannique, qui a vu naître la mythique Austin Mini. « Longbridge est trop associée à l'image des grandes grèves des années 70 », explique d'emblée Vin Hammersley, porte-parole de ce complexe industriel de la banlieue sud de Birmingham, l'un des plus grands et des plus anciens du Royaume-Uni. « Nous faisons partie du groupe BMW Rover. »

Effectivement, le grand panneau d'entrée indique bien « BMW group, plant Birmingham n° 32 ». Nous sommes dans la 32e usine du constructeur munichois, qui a racheté Rover en 1994. Les nouveaux bâtiments construits depuis ont le look moderne et aseptisé des années 90. Mais derrière, dans ce véritable labyrinthe de 12 kilomètres carrés, qui comprend quatre usines, apparaissent aussi des hauts murs de brique rouge, caractéristiques des Midlands, cette région ouvrière du centre de l'Angleterre. Dans les hangars qui s'étendent à perte de vue, ils sont 9 024 à travailler, dont 7 000 à la production de moteurs et de voitures : la Mini, la Rover 25, la Rover 45, des MG. Certaines lignes ultramodernes tournent 24 heures sur 24. D'autres beaucoup moins. Sur celle de la Mini – qui s'arrêtera à l'automne 2000 après plus de quarante ans de bons et loyaux servi ces –, la direction reconnaît que les méthodes de travail sont « archaïques ».

C'est d'ailleurs le gros problème de BMW. En six ans, le constructeur allemand a investi beaucoup d'argent pour moderniser la marque au drakkar. Sans obtenir les résultats escomptés. Surtout pour Rover Birmingham, qui porte les stigmates d'une histoire longue et mouvementée. Longbridge a appartenu à Austin jusqu'en 1952, puis à British Motor Corporation (BMC), fruit de la fusion avec Morris. En 1968, BMC s'allie à Leyland et à Rover pour de venir British Leyland Motor Company (BLMC). Ces premières décennies sont marquées par un management « woollardien », du nom de l'ingénieur Franck Woollard. Caractéristique de cette organisation : des ouvriers assez polyvalents, responsabilisés, payés à la pièce. Ce modèle très performant avant-guerre ne l'est plus dans les années 50. Au sein de chaque usine les shop stewards, délégués syndicaux, dirigent le travail. Les syndicats font la pluie et le beau temps. Les grèves et les pertes s'accumulent. En 1975, l'État nationalise BLMC. En moins de quatre ans, le gouvernement conservateur de Margaret Thatcher réduit le personnel, introduit le salaire au mois, lamine les syndicats et interdit aux shop stewards d'intervenir dans l'organisation quotidienne de la production.

Méthodes de travail à la nippone

En 1979, un accord est signé avec Honda. Les méthodes de travail à la nippone sont introduites. On parle de juste-à-temps et de qualité totale… La coopération durera quinze ans, au cours desquels des modèles seront construits en commun, et des cadres britanniques iront se former au Japon. En 1988, l'État vend Rover à l'entreprise nationalisée British Aerospace. En 1992, un compromis est signé qui encourage, selon Andrew Mair, professeur à l'université de Londres (1), « la mobilité interne et la participation à l'amélioration de la qualité ». « Les négociations sur les salaires et les conditions générales de l'emploi sont centralisées. L'organisation du travail est, quant à elle, discutée au sein des usines et des ateliers. Chaque salarié devient polyvalent et peut être affecté à des postes différents selon les besoins de l'entreprise. Le travail en groupe se développe. »

Quand, en 1994, BMW rachète Rover, les accords avec Honda cessent brutalement. C'est le traumatisme dans les usines. Professeur spécialiste de l'automobile à la Business School de Cardiff, Garel Rhys note : « Les Japonais avaient apporté davantage de variété dans la ligne de fabrication et associé les ouvriers à la production, tout en maintenant une atmosphère familiale dans les ateliers. » L'arrivée des Allemands inquiète. Du coup, le constructeur munichois hésite à appliquer brutalement ses techniques de management. D'autant que la méthode Rover mâtinée de Honda a ses avantages. Moins bien payés que leurs homologues allemands, les salariés britanniques sont réputés pour leur savoir-faire, assis sur une solide formation maison… Anglophile patenté, le président de BMW d'alors, Bernd Pischetsrieder, décide de ne rien changer. « J'ai fait partie de ceux qui l'encourageaient à aller doucement et à respecter les traditions du passé. À la réflexion, sans doute l'intégration BMW Rover aurait dû être plus rapide », reconnaît aujourd'hui Richard Burden, député travailliste de la circonscription de Birmingham-Northfield, dont dépend Longbridge.

Semestre après semestre, les insuffisances de la gestion de Rover en général et de Longbridge en particulier éclatent au grand jour. Dans les usines, c'est l'attentisme. Les équipes dirigeantes n'ont pas changé. Les syndicats stigmatisent des directions « faibles et opportunistes ». Les hiérarchies sont pléthoriques, les lourdeurs nombreuses. Même si, officiellement, les ouvriers peuvent prendre des initiatives, les responsables des échelons intermédiaires les brident, par peur d'y perdre une partie de leur pouvoir. En 1998, la productivité de Rover est de 30 % inférieure à celle de BMW. À Birmingham, on produit 30 véhicules par an et par personne, contre une moyenne européenne de 50. Les voitures de Rover reviennent cher et se vendent mal. Face à la constante dégradation des comptes, Pischetsrieder finit par taper du poing sur la table. À l'automne 1998, il lance un ultimatum : à défaut d'un changement de méthodes de travail, d'une réduction de la masse salariale et d'une modernisation accélérée de la production, le groupe se désengagera de Rover et fermera l'usine de Birmingham. Un accord d'entreprise doit être signé dans les deux mois.

Négociation de la dernière chance

À Longbridge, les négociations sont vécues comme celles de la dernière chance par les 13 000 salariés de l'époque, comme chez les sous-traitants, qui emploient quelque 50 000 personnes. Dans la région de Birmingham, le chômage flirte avec les 8 %, contre 4 % au niveau national. Et la mairie de Birmingham a calculé que la disparition du complexe automobile ferait grimper ce taux à 13,2 %.

Même si l'emploi à vie n'est plus garanti à Longbridge, même si l'on n'y travaille plus nécessairement de père en fils comme dans les années 70, les salariés restent attachés à l'entreprise et à ses avantages. « Si j'y suis depuis près de trente ans, note Ray, un des contremaîtres de l'usine, c'est surtout parce qu'on y gagne bien sa vie et qu'on y a une bonne protection sociale. » Le site compte un centre médical, un dentiste, une salle de remise en forme, une crèche. Chez Rover, le congé parental est plus long que dans bien des entreprises, les indemnités maladie plus intéressantes, les efforts sur la formation très soutenus. « Et puis, souligne Richard, ouvrier à la chaîne, le quotidien n'est pas aussi difficile qu'on l'imagine. Certes, c'est très bruyant, mais beaucoup d'entre nous travaillent dans le high-tech. »

Tout à la fin de 1998, les syndicats de Rover et la direction de BMW trouvent un terrain d'entente. Duncan Simpson, secrétaire national du syndicat Amalgamated Engineering and Electrical Union (AEEU), s'est rendu à trois reprises à Munich pour négocier. « Notre chance a été de pouvoir nous adosser à la force de frappe des collègues allemands d'IG Metall. Ils ont incontestablement plus d'autorité que nous. D'abord à l'égard de leurs membres, puisque les décisions négociées sont immédiatement applicables à tout le monde, alors que nous, nous devons les faire accepter par un vote. Ensuite, à l'égard de la direction de l'entreprise. N'oubliez pas que Manfred Schoch, salarié et représentant d'IG Metall chez BMW, siège aussi au conseil de surveillance. » L'accord, directement inspiré de ce qui se pratique dans les usines de la firme munichoise, ancre définitivement Longbridge dans les méthodes allemandes. Bel exemple de donnant-donnant, il prévoit, en échange des 35 heures, une modération salariale, le départ de 1 700 personnes et, surtout, une plus grande flexibilité, avec annualisation des horaires et mise en place d'un compte épargne temps.

Des pauses-déjeuner flexibles

Dorénavant, les ouvriers ajustent leurs horaires aux fluctuations des ventes et au cycle de vie des produits. Il y aura des périodes creuses, et d'autres avec des journées de 9 heures de travail et des semaines de 47 heures ou plus. Les heures supplémentaires pour le travail de nuit et le samedi disparaissent, sauf si le compte épargne temps du salarié dépasse 200 heures. Les plannings de travail sont établis six semaines à l'avance au moins, sauf circonstances exceptionnelles. Les pauses-déjeuner deviennent flexibles. Le travail le samedi reste l'exception. Consultés par référendum, les trois quarts des ouvriers acceptent ces conditions. Entre les deux cultures, allemande et britannique, « BMW prend aujourd'hui le meilleur des deux », observe Garel Rhys. D'un côté, une main-d'œuvre amaigrie, moins chère, formée, attachée à l'entreprise ; de l'autre, flexibilité et mobilité, en contrepartie d'un temps de travail réduit.

« Cet accord n'aurait pas été possible avec les syndicats britanniques d'il y a vingt ans, concède Andy, permanent à l'AEEU. Nous avons adopté un principe de réalisme et de partenariat avec la direction afin de sauver le maximum d'emplois. » Un discours qui n'a plus rien à voir avec le temps où, nationalisé, Longbridge comptait 26 000 salariés et connaissait des grèves de plusieurs semaines…

Signe de la nouvelle collaboration entre BMW et Rover : la firme allemande a affrété des avions qui, chaque jour, effectuent deux navettes entre Birmingham et Munich pour transporter les cadres. De nouvelles habitudes se sont installées. Duncan Simpson, du syndicat AEEU, note que, « depuis fin 1998, tous les membres du conseil d'administration de Rover ont été renouvelés. Désormais, chaque usine du Royaume-Uni a un directeur allemand ». Celui de Birmingham est arrivé le 10 janvier 2000. Herbert Diess est entouré d'une équipe de 12 managers composée pour moitié de compatriotes. Selon Simpson, les salariés apprécient ce nouveau management « ferme, mais juste, qui encourage vraiment les initiatives de la base ».

Le nouveau millénaire s'ouvre sous de meilleurs auspices pour Longbridge. En un an, selon son porte-parole, Vin Hammersley, la production annuelle est passée de 30 à 50 véhicules par ouvrier. Herbert Diess, le directeur de l'usine, se félicite que l'an dernier les coûts aient baissé de 20 %. Et il annonce pour 2000 une hausse de 20 % de la productivité et un meilleur management dans les ateliers, facilité par des échanges croissants avec l'Allemagne, et entre la hiérarchie et la base.

De longs mois de turbulences

Les incertitudes sur l'avenir de l'usine (voir encadré ci-contre) continuent pourtant de tarauder le moral des troupes. Si BMW ne parle plus de fermer Longbridge, il hésite toujours à y lancer son nouveau modèle moyen de gamme. Ray, contremaître à l'usine, s'emporte : « Nous en avons fait des efforts ! » Près de 4 000 personnes sont parties en quatorze mois. Les comptes épargne temps, ouverts en 1999, gonflent à vue d'œil. « Comme il y a de moins en moins de monde pour autant de travail, on a du mal à prendre des jours de compensation », explique ce contremaître. Toujours au nom de la flexibilité, 300 salariés ont accepté, moyennant un bonus, de travailler trois mois durant, non plus à Longbridge, mais à Cowley, près d'Oxford, à une heure et demie en bus de Birmingham. Vin Hammersley, lui, se désole de l'effet dévastateur de ces longs mois de turbulence. « Jusqu'à l'an dernier, l'enquête annuelle du Times auprès des jeunes diplômés plaçait Rover parmi les premières entreprises où ils aimeraient travailler. Cette année, nous avons dégringolé dans le classement. »

Les dangers qui guettent Longbridge

En 1999, le complexe de Longbridge a produit 173 000 véhicules, soit 39 % de moins que l'année précédente. Depuis son rachat par BMW, Rover a fait une irrémédiable plongée dans le rouge. La production a dégringolé. Les nouveaux modèles se sont fait attendre et les clients ont boudé une gamme jugée trop ancienne. Le haut niveau de la livre a fini de décourager les acheteurs étrangers… Début 1999, Bernd Pischetsrieder, patron de BMW et artisan de l'acquisition de la marque au drakkar, a payé les pots cassés. Son directoire l'a débarqué au profit de Joachim Milberg. Pour cet ingénieur de formation, il n'est pas forcément question de lâcher Rover, ni Birmingham. L'usine de Longbridge fabriquera, sur une ligne flambant neuve, la nouvelle Mini, dont la sortie est prévue à l'automne 2000, au moment où fermera la chaîne de la Mini historique. En revanche, pour le nouveau modèle moyen de gamme que Rover doit lancer, l'allemand laisse planer un doute, ou il le fera construire à Birmingham dans des locaux ultramodernes qu'il accepte de financer si Londres met la main au pot, il se laissera tenter par les sirènes hongroises qui offrent des terrains plus proches de Munich, une main-d'œuvre qualifiée et bon marché et des réductions d'impôts alléchantes. En juin, Tony Blair débloque les subsides. Las, Bruxelles s'en mêle. À l'automne, la Commission lance une enquête pour savoir si les crédits promis sont conformes aux règles du marché européen. Sa réponse est attendue pour le printemps 2000. À Birmingham, on sait que si le commissaire à la Concurrence, Mario Monti, dit non, la nouvelle Mini à elle seule ne suffira pas à faire vivre 9 000 personnes, et Longbridge dépérira. En revanche, si le site est modernisé, la direction estime qu'il sortira du rouge en 2003 et produira à terme 450 000 véhicules par an.

(1) Coauteur de Quel modèle productif ? Trajectoires et modèles industriels des constructeurs automobiles mondiaux, La Découverte, janvier 2000.

Auteur

  • Sabine syfuss-Arnaud

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