Débat surréaliste autour de la « cagnotte » fiscale. Comme si les 30 milliards de francs de surplus de recettes fiscales engrangés en 1999 correspondaient à un excédent budgétaire, à de l'argent indûment perçu qu'il conviendrait de redistribuer immédiatement. Comme si les comptes de la maison France n'étaient pas encore largement dans le rouge. Sagement, le gouvernement a décidé d'utiliser cette somme à réduire le déficit budgétaire. Mais, cette année et les années suivantes, c'est juré, la manne servira à réduire les impôts, nous promet-on, non sans arrière-pensées électorales. Car, à gauche comme à droite, toute la classe politique ou presque entonne désormais le même credo libéral : dépassant 45 % du PIB, les prélèvements obligatoires ont atteint un niveau insupportable. Ce taux place l'Hexagone très loin devant le Japon ou les États-Unis, et devant la moyenne des pays européens. Seuls le Danemark et la Suède font « mieux » que nous. Faut-il s'en offusquer ? Soyons provocateur, la réponse est non. Ou plutôt tout dépend de l'utilisation qui en est faite.
Les Français qui les jugent confiscatoires oublient un peu vite que leurs impôts et cotisations financent des dépenses d'éducation, de maternité, de soins, de retraite… qui – faut d'une prise en charge collective – reposent directement sur le budget des ménages dans des pays plus libéraux. En outre, le concept de prélèvements obligatoires est variable d'un pays à l'autre, ce qui limite considérablement la portée des comparaisons internationales. Un exemple : en France, c'est la loi qui rend obligatoire l'affiliation aux régimes complémentaires de retraite du secteur privé. En Allemagne, ce sont les conventions collectives. Les cotisations des salariés français aux caisses affiliées à l'Arrco et à l'Agirc sont donc comptabilisées dans les prélèvements obligatoires, tandis que ne sont pas considérées comme tels les cotisations versées par les salariés allemands à leurs caisses complémentaires. En réalité, le taux des prélèvements obligatoires est surtout un indicateur du degré de socialisation des services d'intérêt général et de la protection sociale dans un pays donné. Il varie en fonction du mode – public, semi-public, privé, légal ou conventionnel – de financement choisi. Un constat conforté par un récent rapport du Conseil national de l'information statistique : en France, la protection sociale est financée à hauteur de 85 % par des prélèvements obligatoires, mais elle ne l'est qu'à hauteur d'environ 70 % en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas.
La vraie question que la classe politique française devrait se poser n'est donc pas tant le niveau des prélèvements obligatoires que leur usage. Et c'est là que le bât blesse. Sans que les services rendus par l'État providence n'aient été significativement améliorés, les prélèvements obligatoires ont augmenté de pratiquement un tiers depuis 1992, alors que le PIB ne s'est accru que d'un petit quart. Autant dire que le pilotage n'est pas optimal et qu'il y a urgence à améliorer l'efficacité des dépenses publiques. Pour s'en convaincre, il suffit de consulter les rapports de la Cour des comptes : c'est une dénonciation en règle de la gabegie, de l'opacité et des dysfonctionnements de la gestion des services de l'État et des organismes sociaux.
Dans les mois à venir, trois échéances seront décisives. Premier rendez-vous : les 35 heures dans la fonction publique. Le gouvernement saura-t-il saisir l'occasion de cette négociation pour moderniser la gestion de ses ressources humaines, améliorer le service rendu aux usagers, procéder à un redéploiement des effectifs des administrations en surnombre vers les plus démunies ? Comme le souligne un rapport du Plan qui sera bientôt rendu public, les pouvoirs publics disposent aujourd'hui d'une « opportunité historique » pour rénover en profondeur la gestion des emplois publics : environ 45 % des agents de l'État partiront à la retraite d'ici à 2012. Est-il absolument nécessaire de tous les remplacer, s'interroge le rapport. Raté ! Dans ses discussions avec les fédérations syndicales de fonctionnaires, le gouvernement a consenti à ce que, entre 2001 et 2003, les départs en retraite soient globalement compensés par des embauches. Des déploiements seront néanmoins possibles. L'autre rendez-vous très attendu (et plusieurs fois repoussé) est l'annonce ce mois-ci des « grandes orientations » du Premier ministre sur les retraites. Et la seule question qui vaille est la suivante : aura-t-il le courage politique de s'attaquer au dossier des régimes spéciaux du secteur public ? Le dernier rendez-vous réunit patronat et syndicats au chevet du paritarisme, de l'assurance chômage, des retraites complémentaires, etc. La négociation-marathon ouverte par le Medef a évidemment un rôle-clé à jouer dans la modernisation de notre État providence. À défaut d'une sérieuse remise à plat, les baisses d'impôts promises seront un marché de dupes : elles ne survivront pas au prochain retournement conjoncturel.