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Politique sociale

Les handicapés restent trop souvent à la porte de l'entreprise

Politique sociale | DECRYPTAGE | publié le : 01.03.2000 | Catherine Leroy

Les handicapés demeurent les parents pauvres du marché du travail. 4 % seulement des emplois leur sont dévolus, alors que la loi met la barre à 6 %. La croissance va-t-elle leur ouvrir la porte des entreprises ? Pas si simple. La frilosité des employeurs et l'inadaptation de la formation sont autant d'obstacles à leur embauche.

Tout près du but ! La société MGE UPS, une entreprise grenobloise qui compte 740 salariés, s'apprête à franchir un cap important en l'an 2000. Cette grosse PME spécialisée dans l'électrotechnique fait actuellement travailler 5,66 % de personnes handicapées (2,66 % en emplois directs, le reste en sous-traitance d'activité au secteur du travail protégé). Et elle devrait dépasser le seuil légal de 6 % à la fin de l'année. Avec une longueur d'avance sur le calendrier qu'elle s'était elle-même fixé. Son accord d'entreprise, signé en juin 1998, visait en effet à atteindre les 6 % en trois ans.

La performance est d'autant plus notable que la voie contractuelle, préconisée par les pouvoirs publics mais exigeante, est délaissée par les entreprises. Il n'existe en France qu'une centaine d'accords en cours d'application. « Pour une entreprise, l'intérêt d'un accord est qu'il permet de s'investir davantage et de rester mobilisé. Sans accord, je pense qu'on serait peu à peu retombé à des niveaux d'emploi inférieurs », souligne avec lucidité Robert Agustin, chargé du suivi de l'accord à la DRH de MGEUPS. Il ajoute : « Nous souhaitons profiter du flux d'embauches prévu cette année pour mettre le paquet sur l'emploi direct, tout en accentuant encore nos relations avec le secteur protégé. »

Sur les recommandations d'un cabinet-conseil en ressources humaines spécialisé dans l'emploi des personnes handicapées, MGE UPS a décidé dans un premier temps de privilégier l'intérim, qui permet une période d'adaptation réciproque avant l'intégration sous forme de contrat à durée indéterminée. Cette année, l'entreprise va tenter d'étendre les contrats en alternance (contrats de qualification et contrats d'apprentissage) aux personnes handicapées. Une tentative qui avait échoué l'année précédente, faute de candidats.

Car intégrer des handicapés dans les entreprises n'est pas toujours très simple. Les employeurs trouvent rarement les candidats dont ils ont besoin, avec le niveau de formation requis. C'est notamment ce qui explique la stagnation de l'emploi des personnes handicapées : autour de 4 % des effectifs depuis 1992. Loin de l'objectif de la loi du 10 juillet 1987, qui fixe à toute entreprise de plus de 20 salariés une obligation d'emploi de handicapés à hauteur de 6 % de ses effectifs. « Dans ce domaine, l'État ne se montre pas non plus un employeur exemplaire », observe Patrick Segal, délégué interministériel aux personnes handicapées.

Moins de handicapés au chômage

Mais cette stabilisation à 4 % est déjà, en soi, une petite performance. Car le chômage s'est nettement aggravé entre 1988 et 1998. « Le fait que le taux d'emploi des personnes handicapées dans les entreprises se soit maintenu à 4 % dans une conjoncture économique défavorable prouve que la loi a au moins joué un rôle de filet de sécurité », insiste Vincent Assente, président de l'Union nationale des polios de France (UNPF). Reste que l'Adapt, association pour l'insertion sociale et professionnelle des handicapés, redoute que le Medef, se fondant sur la stagnation du taux d'emploi des personnes handicapées, n'en profite pour demander une diminution des quotas ainsi qu'un abaissement des contributions des entreprises récalcitrantes à l'Agefiph (Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées). Car le défi est aujourd'hui de faire en sorte que les handicapés bénéficient, comme les autres catégories de salariés, de l'embellie de la conjoncture. Une première victoire a récemment été remportée sur le front de l'emploi des handicapés. En janvier, à l'occasion du Conseil national consultatif des personnes handicapées, Martine Aubry a en effet souligné que, pour la première fois depuis quinze ans, le nombre de demandeurs d'emploi handicapés a reculé de 152 000 à 147 000 entre mars et juin 1999.

La croissance économique va-t-elle aller de pair avec l'accès des personnes handicapées au marché du travail ? « Ce n'est pas sûr du tout. La loi de 1987 a des limites car elle légalise le système de la fiscalisation. Le chef d'entreprise qui ne veut pas embaucher de travailleur handicapé peut s'acquitter d'une contribution. Et il se sent citoyen quand il verse cet argent », déplore Philippe Velut, directeur de l'Adapt. La loi offre en effet aux employeurs différentes modalités pour faire face à leurs obligations : embaucher directement 6 % de personnes handicapées, passer des contrats de sous-traitance avec des ateliers protégés ou des centres d'aide par le travail, appliquer un accord de branche, d'entreprise ou d'établissement prévoyant des actions en faveur des travailleurs handicapés, ou verser une contribution annuelle à l'Agefiph.

Selon le directeur de cette association, Jean Louis Ségura, la moitié des 90 000 entreprises assujetties remplissent leur obligation d'emploi, l'autre moitié se contente de verser une contribution financière. Et un tiers des entreprises qui ne respectent pas le quota légal n'emploient aucun travailleur handicapé. « Ce sont généralement des PME de 20 à 100 salariés, avec lesquelles nous cherchons à monter des opérations très ciblées. » Reste que l'argent versé à l'Agefiph n'est pas perdu pour l'emploi puisqu'il « permet d'aider les entreprises qui le souhaitent à embaucher », observe Patrick Segal. Selon l'Agefiph, 62 % des embauches « primées » de personnes handicapées sont réalisées dans des entreprises de moins de 20 salariés, non assujetties à l'obligation d'emploi.

Tout comme l'Adapt, la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (Fnath) demande qu'une pénalisation financière plus forte soit appliquée aux entreprises qui n'emploient aucun handicapé.

Toutes deux dénoncent également un projet de modification du Code du travail qui permettrait aux employeurs d'inclure dans leurs quotas des stagiaires de la formation professionnelle. Cela constituerait, selon elles, un mauvais coup pour l'emploi direct. L'Adapt estime par ailleurs que les fonds de l'Agefiph – 1,9 milliard de francs distribués en 1998 – pourraient être mieux employés, en particulier pour l'adaptation des postes de travail et la formation professionnelle.

Car les obstacles à surmonter sont de taille : blocages d'ordre psychologique, information insuffisante des employeurs sur les dispositifs publics existants, comme les aides à l'aménagement des postes de travail. Selon une enquête réalisée en octobre 1999 par l'institut Louis Harris pour l'Adapt auprès de 257 chefs d'entreprise européens en Allemagne, en Espagne, en France, en Italie et au Royaume-Uni, 82 % des employeurs interrogés considèrent que le handicap physique est un frein important à l'embauche. Pourtant, 84 % des chefs d'entreprise ayant des salariés handicapés physiques estiment ne pas avoir rencontré de problèmes particuliers.

De jeunes sourds dans le BTP

Serge Miltcheff, directeur de Diffusélec, une petite entreprise de fabrication et de distribution de matériel électrique et électronique, en fait partie. Sur les 18 personnes qu'il emploie à Lissieu, dans le Rhône, 7 sont handicapées. « Il y a trois ans environ, je recherchais du personnel stable car je devais faire face à un fort turnover », explique-t-il. Désormais, le problème est réglé : « Les personnes handicapées ont un sens des responsabilités et une motivation que je ne trouvais plus auprès du personnel valide. » L'ambiance de travail est devenue plus « conviviale ». « Et l'entreprise gagne de l'argent. Ce n'est pas parce qu'on embauche des personnes handicapées que cela pénalise la société. »

Pour Versant, une entreprise de BTP de la région parisienne spécialisée dans les travaux d'accès difficile, comme le nettoyage de la Grande Arche de la Défense, le recours à des personnes handicapées est même un atout. Pour trouver des « cordistes », encore appelés « alpinistes du bâtiment », elle a formé, en relation avec le Greta de Die, quatre jeunes sourds, dans le cadre de contrats de qualification. « Nous travaillons sur des chantiers bruyants, avec une protection respiratoire qui rend la communication verbale difficile. La connaissance du langage des signes est un plus », souligne Jean-René Jalenques, promoteur de l'expérience. À l'issue de leur contrat, trois des jeunes handicapés se sont vu proposer un contrat à durée indéterminée. Préférant retourner dans leur région d'origine, deux d'entre eux ont retrouvé un emploi dans une entreprise similaire. Un fait à souligner, car il y a rarement adéquation entre les postes proposés et les candidats. Les demandeurs d'emploi handicapés sont souvent plus âgés que la moyenne des demandeurs d'emploi et ont un degré de formation et de qualification inférieur (16 % seulement ont le niveau bac, 43 % n'ont pas de qualification).

Trop de rempailleurs de chaises

« On sait qu'il y a une explosion des centres d'appels et que c'est un métier accessible aux non-voyants. Si les associations, au lieu de former des rempailleurs de chaises ou des accordeurs de pianos formaient des conseillers téléphoniques, il y aurait de réels débouchés pour les handicapés », affirme Jacques Waeles, responsable du centre de vente par téléphone des 3 Suisses, à Lille, qui emploie 7 handicapés sur 50 salariés, soit 15 % de l'effectif. Dans ce centre, les aménagements de postes ont été pris en charge financièrement par l'Agefiph.

« Un chef de centre ne peut pas consacrer la moitié de son temps à l'intégration d'une personne handicapée comme je l'ai moi-même fait », constate cependant Jacques Waeles. Au dernier comité de pilotage de l'accord d'entreprise, qui prévoit l'intégration de 27 déficients visuels, il a tiré la sonnette d'alarme. « Si l'on veut faire vivre cet accord, il faut trouver une solution avec les associations pour que les personnes handicapées soient recrutées et formées en amont. »

Or c'est là que le bât blesse. Pour l'Adapt, les instances chargées de reconnaître les handicaps et d'orienter les personnes, les commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel (Cotorep, voir encadré ci-contre) portent une grosse part de responsabilité dans les difficultés d'insertion des handicapés : « Elles orientent vers des formations stéréotypées qui ne correspondent ni aux souhaits des personnes concernées ni aux postes offerts par le marché. » Une mission de modernisation et de rénovation des Cotorep a été mise en place en 1999 par Martine Aubry. Mais les « dysfonctionnements patents » qu'elle a rappelés lors du récent Conseil national consultatif des personnes handicapées sont connus et dénoncés depuis le début des années 90.

L'impossible réforme des Cotorep

« Si Toulouse-Lautrec et Beethoven étaient passés dans une Cotorep, ils se seraient sûrement retrouvés dans un centre d'aide par le travail », plaisante Patrick Segal. Derrière l'humour, un peu grinçant, du délégué interministériel aux personnes handicapées se cache une réalité que tout le monde connaît depuis des années : les Commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel, mises en place par la loi de 1975, fonctionnent mal. Débordées, mal encadrées, elles en sont venues progressivement à faire du chiffre, délaissant la qualité pour la quantité. Or « si les Cotorep fonctionnent mal, orientent mal, les personnes handicapées vont échouer dans leur insertion professionnelle », ajoute Patrick Segal. « Les Cotorep ont coutume d'envoyer les handicapés dans des centres de formation spécialisés à l'autre bout de la France plutôt que de prendre le temps de regarder ce qui existe dans le bassin d'emploi en termes de formation et de débouchés », indique Gilles Robert, de la Fnath, qui déplore que le monde de la formation, à commencer par l'Afpa ou le Greta, ait du mal à s'ouvrir aux personnes handicapées. Cette situation est d'autant plus difficile à comprendre que les faiblesses du système français d'évaluation et d'orientation des personnes handicapées sont connues de longue date.

Depuis le début des années 90, rapports et études alarmants se succèdent : rapport sur l'activité et le fonctionnement des Cotorep présenté au Conseil supérieur pour le reclassement professionnel et social des travailleurs handicapés le 8 décembre 1992 ; rapport Carcenac de 1993 ; rapport Lubeck et Laroque de juin 1998. Le gouvernement a prévu d'injecter 27 millions de francs cette année dans les Cotorep pour leur permettre d'offrir « un meilleur service aux handicapés (délais, accueil)», de faire « des évaluations plus précises, moins prédéterminées par l'offre institutionnelle, au plus près des besoins et des attentes des personnes ». Mais le milieu associatif a déjà indiqué que l'enveloppe n'était pas assez généreuse.

Auteur

  • Catherine Leroy