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Les médecins font de la résistance

Dossier | publié le : 01.03.2000 | S. P.

Les pouvoirs publics contraignent les médecins à s'informatiser. Mais ceux-ci déplorent l'absence de réflexion d'ensemble, pointent les dysfonctionnements et, du coup, sous-utilisent le système mis en place.

Débordé, un cadre n'a pas le temps d'aller chercher les résultats de ses radios du dos réalisées par l'hôpital voisin, avant de se rendre chez un généraliste. Aucune importance. Deux simples clics permettent au praticien de se connecter à un réseau informatique et de récupérer les documents envoyés à son adresse électronique. Il demande au patient sa carte à puce personnalisée, qui contient tous ses antécédents médicaux, et, après analyse comparative avec une ancienne radio, diagnostique une sciatique. Quelques secondes lui suffisent ensuite pour envoyer par modem la feuille de soins à la caisse d'assurance maladie. La visite se règle tout simplement par carte bancaire. Scénario futuriste ? Non, pour les pouvoirs publics. Oui, pour les 120 000 médecins hexagonaux.

Il y a une dizaine d'années que les ordinateurs ont fait leur apparition dans les cabinets médicaux. « J'ai commencé à travailler sur informatique durant mes études, raconte Jean-Jacques Fraslin, médecin généraliste et responsable du site Web de l'Amgit 44 (Association des médecins généralistes pour l'informatisation et la télétransmission de Loire-Atlantique). Lorsque je me suis installé voilà huit ans, je me suis naturellement équipé d'un micro. » En 1995, seuls 15 % des médecins (soit environ 18 000) étaient dotés d'un ordinateur. Mais la réforme lancée en 1996 par le gouvernement Juppé va précipiter le mouvement.

Le casse-tête de la télétransmission

Cet ambitieux projet en trois phases vise à doter la France d'un système de santé performant, en informatisant toute la profession, du cabinet de médecin aux caisses d'assurance maladie. « Les deux premiers objectifs sont de faciliter la communication entre les professionnels de santé, en mettant à leur disposition des outils sécurisés de transmission d'informations (une carte professionnelle, un réseau), et de leur permettre d'accéder à des ouvrages médicaux, à des bases de données, à des serveurs spécialisés, à des formations à distance », résume Michel Villac, chef de la Mission pour l'informatisation du système de santé (Miss), mise en place en 1997 au ministère de la Santé.

Mais les pouvoirs publics ont entamé la réforme par le troisième volet, la télétransmission des feuilles de soins. Pour rationaliser la gestion des caisses d'assurance maladie, les médecins sont, depuis le 1er janvier 2000, théoriquement obligés d'utiliser ce mode de transmission. Ce dispositif doit permettre, par la suite, d'analyser les dépenses de santé et les pratiques thérapeutiques. « Nous avons commencé par ce volet de la réforme, car la télétransmission implique d'utiliser l'outil informatique », précise Michel Villac. Pressés par l'échéance de 2000 et incités par l'offre d'une prime de 9 000 francs, beaucoup de praticiens se sont effectivement équipés : aujourd'hui, 70 à 80 % d'entre eux possèdent un ordinateur. Mais on compte actuellement à peine 14 % de volontaires pour la télétransmission.

« Les caisses d'assurance maladie veulent nous faire faire une tâche technico-administrative sans nous avoir demandé notre avis, et sans que cette activité soit prise en compte financièrement », estime le docteur Richard Bouton, président de MG France, syndicat de médecins généralistes. « Je ne télétransmettrai jamais, même le couteau sous la gorge, martèle le docteur Christian Lehmann, généraliste à Poissy, informatisé depuis 1988. Je travaille déjà cinquante-six heures par semaine. Je ne veux pas passer quatre heures supplémentaires à faire le boulot des caisses et à gérer des bugs. » De fait, les problèmes techniques constituent un véritable frein.

Simple en théorie, la télétransmission se révèle en pratique un véritable casse-tête. « Les cartes des patients, qui permettent au médecin d'établir une feuille de soins électronique, puis de la télétransmettre, ne sont pas à jour », constate le docteur Jean-Jacques Fraslin, qui utilise la télétransmission depuis novembre 1998. « De plus, certaines situations n'ont pas été prévues : par exemple, les nourrissons sont pris en charge sur la carte du père. Or les visites obligatoires des premiers mois sont remboursées sur la carte de la mère. » Plus d'un an et demi après les premières expériences, une nouvelle carte, Vitale 2, devrait voir le jour. Reste que si la télétransmission des feuilles de soins à une caisse primaire d'assurance maladie ne pose plus véritablement de problème, le contact est encore difficile à établir avec d'autres caisses, comme celles de la police ou des enseignants, en raison de problèmes de compatibilité de logiciels. Car il n'y a pas eu de réflexion préalable sur une norme commune d'échange.

Résultat, les logiciels médicaux se multiplient : il existe environ 150 éditeurs, qui en ont des centaines en catalogue. Seulement 70 d'entre eux sont agréés par le ministère de la Santé. Pour corser le tout, les nouveaux logiciels ne sont pas compatibles entre eux. « Cela pose de gros problèmes si vous devez changer de produit, constate le docteur Dinorino Cabrera, président du Syndicat des médecins libéraux (SML). Dans la plupart des cas vous perdez toutes vos données ! » Difficile, également, de communiquer entre confrères. Enfin, pour limiter l'investissement, de nombreux médecins se contentent de systèmes de protection insuffisants – souvent un simple mot de passe.

En raison de tous ces bugs les médecins n'utilisent que partiellement leur ordinateur, alors qu'une exploitation poussée du système présente d'énormes avantages. « Mettre sur informatique les dossiers médicaux permet de réaliser d'importants gains de place et de temps, reconnaît le docteur Laurent Laubenheimer. On a toutes les données sous les yeux, sans avoir à fouiller dans une masse de papiers. » L'existence de dossiers informatiques évite aux remplaçants les petites erreurs commises par méconnaissance des particularités de chaque malade.

Autre avantage, la possibilité de hiérarchiser les informations et d'effectuer des recherches multicritères. Ainsi, quand un médicament est retiré du marché parce qu'il provoque des effets secondaires graves, il est très facile de retrouver la liste des patients à prévenir. Pour toutes ces raisons, il n'est guère imaginable que le corps médical français en reste à une utilisation de l'informatique limitée à la gestion courante ou à la messagerie.

(1) 40 centimes par feuille de soins télétransmise leur sont pourtant versés à titre de dédommagement.

Auteur

  • S. P.

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