logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Débat

Faut-il un financement public des syndicats ?

Débat | publié le : 01.03.2000 |

Faible et divisé, le syndicalisme français a bien du mal à boucler ses fins de mois. En mettant au jour un système de financement occulte des syndicats par le groupe de retraite et de prévoyance CRI, l'Igas a révélé un secret de Polichinelle : les syndicats ne vivent pas de leurs seules cotisations. Faut-il aller jusqu'à instaurer un financement public, comme pour les partis politiques ? La réponse de trois experts.

« Il faut inciter les syndicats à tirer davantage leurs ressources des adhésions. »

JEAN-FRANÇOIS AMADIEU Professeur à l'université de Paris I Panthéon-Sorbonne, auteur des « Syndicats en miettes », Le Seuil, 1999.

Les conséquences de notre système de financement de l'action syndicale sont dévastatrices. La faiblesse et le déclin des adhésions ont conduit les syndicats à chercher des ressources ailleurs. Ils se sont certes appliqués à accroître le nombre des adhérents, mais ils n'ont pas entrepris de se regrouper afin d'économiser des ressources amoindries et d'offrir un meilleur service aux salariés. En raison de leurs sources de financement, les syndicats sont dans une position de dépendance à l'égard du pouvoir politique et du patronat. Ils ont par ailleurs une légitimité et une représentativité de plus en plus contestées. Certains d'entre eux, soucieux de maintenir leurs moyens d'existence, n'ont d'ailleurs pas insisté pour que l'on organise partout des élections permettant de vérifier leur représentativité. En outre, une partie des ressources leur échéant sont détournées de leur objet, ce qui crée un « climat d'affaires » nuisible à l'image du syndicalisme.

Enfin, le lien entre les salariés et leurs syndicats s'est distendu progressivement puisque la sanction financière d'un déclin électoral ou des adhésions ne joue plus guère.

Les organisations syndicales ont donc tout intérêt à assainir la situation et à mettre sur pied une réforme de leur financement. Les moyens humains et pécuniaires devraient être attribués en fonction de la représentativité réelle des organisations. À cet effet, des élections, dans lesquelles s'exerce dès le premier tour une libre concurrence, doivent être généralisées et tenues régulièrement, en particulier dans les organismes paritaires. Elles pourraient être organisées, au même moment, pour l'ensemble des branches, dans le secteur privé et les fonctions publiques.

Et permettre, en aménageant le mécanisme électoral, de dégager des majorités. Il s'agirait ainsi d'éviter le saupoudrage actuel des financements, qui provient d'élections à la proportionnelle. Une telle démocratisation conforterait les partenaires sociaux et les délégués syndicaux élus.

Faut-il aller au-delà et prévoir une aide publique aux syndicats pour éviter les financements occultes ? Une « loi de financement des syndicats » qui consisterait à lier le financement aux seuls résultats électoraux présenterait l'inconvénient de ne pas inciter les syndicats à rechercher des adhérents. Ceux-là adopteraient un fonctionnement partisan qui les éloignerait des salariés et affaiblirait leur démocratie interne. Il est donc souhaitable d'inciter nos syndicats à tirer davantage leurs ressources des adhésions. On pourrait tenir compte non seulement des scores électoraux, mais également des adhésions lors de la répartition des aides publiques. On peut aussi penser à un système d'abondement par les employeurs pour chaque cotisation, un chèque syndical lié à une adhésion effective et non simplement à un choix exprimé par le salarié, comme chez Axa. Pourquoi ne pas lier l'adhésion et le bénéfice de certains avantages des conventions collectives ?

Il faudra qu'une autorité indépendante puisse vérifier la réalité des adhésions, mettant fin à une tradition d'opacité bien française. Quoi qu'il en soit, une relance significative des adhésions est le pendant nécessaire à la restauration des mécanismes électifs et à une « loi de financement » syndical.

« Le meilleur service à rendre aux syndicats est de leur enlever aides, privilèges et prébendes. »

DOMINIQUE LABBÉ Enseignant chercheur à l'Institut d'études politiques de Grenoble.

On discute actuellement en France d'un mode de financement public des syndicats. Mais ce financement existe déjà : à plus des deux tiers, et à tous les niveaux des organisations, leurs ressources proviennent des administrations, des caisses de la formation et de la Sécurité sociale, des collectivités locales et des grandes entreprises publiques et privées. Ces aides sont dispersées et souvent à la limite de la légalité. Si elles étaient remplacées par un financement unique et clair, on aurait accompli un progrès certain. Mais on peut parier que, comme pour les partis, ces fonds seront accordés sans aucun contrôle et viendront s'ajouter aux ressources « grises » sans les supprimer. Les conséquences seront les mêmes que pour les partis : départ des derniers adhérents, montée de la démagogie chez les dirigeants en quête de suffrages, combats entre cliques au sein d'organisations réduites à l'état de groupuscules et livrées aux trafics, scissions et aggravation de l'impopularité des syndicalistes.

Veut-on réellement aider le syndicalisme à sortir de l'ornière ? Commençons alors par un peu de bon sens : pour qu'un syndicaliste puisse parler au nom des salariés d'une entreprise ou d'une profession, il est nécessaire qu'il entretienne avec ces salariés des liens étroits et qu'il ait leur confiance. En France, cette condition n'existe plus. Dans le secteur privé, moins d'un salarié sur cinq dispose encore d'une section syndicale dans son établissement, mais, la plupart du temps, il soupçonne ces syndicalistes d'agir pour des raisons politiques, de se servir du syndicat comme tremplin et, parfois, de ne pas être insensibles aux arguments sonnants et trébuchants. Ailleurs, des procédures scabreuses comme le « mandatement » aggravent plutôt les choses. Le malaise retentit naturellement sur la négociation collective et enlève beaucoup de force aux accords.

Comment regagner la confiance sinon en retrouvant le chemin des ateliers et des bureaux ? La collecte des cotisations était un excellent exercice : le militant devait écouter ses collègues, s'occuper de leurs problèmes personnels, tenter de résoudre au mieux les difficultés qui naissent quotidiennement au travail. Ce faisant, il gardait le contact avec son milieu social, sa profession, et pouvait valablement parler en leur nom. Ce travail de terrain, qui est encore le lot des syndicalistes dans les autres pays, a été oublié en France. Tout simplement parce que les syndicalistes français n'ont plus besoin des cotisations et que les derniers fidèles ont accepté le prélèvement sur leur compte chèques…

Dans cette optique, le meilleur service qu'on puisse rendre aux organisations syndicales consisterait à leur enlever les aides, privilèges et prébendes qui ont étouffé le syndicalisme français et qui en ont fait l'homme malade de l'Europe sociale. Mais combien de dirigeants d'entreprise souhaitent réellement avoir en face d'eux des hommes libres, socialement bien implantés et authentiques porte-parole de leurs salariés ?

« Il faut réserver le bénéfice des accords aux seuls adhérents des organisations signataires. »

HUBERT LANDIER Directeur de la revue « Management et Conjoncture sociale ».

Les organisations syndicales sont théoriquement financées par les cotisations de leurs adhérents ; or leurs effectifs cotisants ont diminué de moitié depuis le milieu des années 70 ; il a donc fallu rechercher d'autres sources de financement.

Sur le plan national interprofessionnel, on peut estimer que les aides et les subventions représentent aujourd'hui de 70 à 80 % des budgets confédéraux. Ces aides se répartissent en deux blocs principaux. D'une part, les contributions de l'État, qui figurent au budget de la plupart des ministères, ainsi que du Conseil économique et social. Elles sont souvent affectées à une tâche précise, notamment la formation, et prennent en partie la forme de mises à disposition de fonctionnaires. D'autre part, il faut compter les aides en provenance des organismes paritaires : caisses de retraite, mais également caisses de Sécurité sociale, Unedic, Apec, ANPE, etc.

À d'autres niveaux de l'organisation syndicale, enfin, il convient de tenir compte des aides apportées par les municipalités, les conseils généraux, sans compter les entreprises elles-mêmes.

Les dirigeants syndicaux ont en horreur que l'on évoque publiquement ces questions de financement, sur lesquelles les rapports d'activité rendus publics à l'occasion des congrès sont à peu près silencieux. Tout se passe comme s'ils cherchaient à maintenir la fiction d'organisations principalement, sinon exclusivement, financées par leurs adhérents. La vérité oblige à dire que les finances syndicales, à l'exception de celles de la CFDT, laissent apparaître un incroyable désordre. En bref, il n'existe pas, de la section syndicale à la confédération, de bilan consolidé comparable à celui des grandes entreprises.

Indépendamment de tout jugement de valeur sur le bien-fondé ou non des subventions aux organisations syndicales, il conviendrait avant tout d'en établir un état des lieux exhaustif. Ainsi, la Cour des comptes pourrait se voir confier la mission consistant à établir un inventaire complet des aides versées par l'État. De même, les financements accordés par la Sécurité sociale et par les organismes paritaires pourraient-ils, au-delà du cas d'espèce de la CRI, faire l'objet d'investigations venant de l'Inspection générale des affaires sociales. Autrement dit, il s'agirait d'abord de répondre à une exigence de transparence, même si cela chagrine certains dirigeants syndicaux : ils pourraient du reste facilement prouver leur bonne volonté en faisant appel aux services de commissaires aux comptes.

Alors seulement pourrait être raisonnablement posée la question du financement des organisations syndicales. L'une des solutions consisterait à maintenir en l'état, mais avec plus de transparence, le système actuel de subventions, qui pourrait être assorti, dans certains cas, de contrats plus précis quant à leur utilisation. Mais cela ne résout pas le problème majeur, celui du rapport entre les appareils syndicaux et leur base. Les syndicats français sont impécunieux parce qu'ils ont très peu d'adhérents, alors qu'ils rendent des services qui profitent à tous les salariés. Pourquoi alors ne pas réserver le bénéfice de certains avantages, notamment ceux qui résultent de la signature de conventions collectives, aux seuls adhérents des organisations signataires ?