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Vie des entreprises

Loi Aubry II : les tendances des accords de branche

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.04.1999 | Françoise Favennec-Hery

Quarante-trois accords de branche relatifs à la mise en œuvre de la loi Aubry, dix-huit accords ayant fait l'objet d'un arrêté d'extension, ce constat invite à faire un bilan provisoire de la négociation de branche dont les résultats devront inspirer le second volet de la réforme Aubry.

Le processus enclenché par la loi du 13 juin 1998 a opéré une relance modeste, lente, mais réelle de la politique contractuelle à l'échelon des branches. L'accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995 avait connu sur ce point un sévère échec. La dynamique de la réduction et de l'aménagement du temps de travail au niveau professionnel avait été rapidement court-circuitée par la loi Robien, dont la logique conduisait à l'adoption d'accords d'entreprise sans le préalable d'une négociation centralisée. Les branches n'avaient-elles donc rien à apporter sur ce terrain essentiel ? Ce serait là méconnaître le rôle de la négociation de branche qui vise tout à la fois à fixer un cadre aux accords d'entreprise, à élaborer des dispositions normatives, à suppléer les insuffisances de la négociation décentralisée. L'enjeu de l'adoption d'une nouvelle durée légale du travail donne tout son sens à l'intervention de la branche : être un régulateur de la concurrence.

Qu'en est-il ? Le constat est celui d'une diversité des types d'accords, mais d'une approche globale reflétant une évolution de la durée et de l'aménagement du temps de travail dans les branches professionnelles.

I. La typologie des accords de branche

Du simple accord de programme aux dispositions normatives immédiatement applicables, la portée et les caractéristiques des accords de branche diffèrent.

a) Leur portée

Elle varie tout d'abord selon la force impérative des accords de branche à l'égard des autres normes. La question est particulièrement cruciale entre le niveau de la branche et celui de l'entreprise dont l'articulation dépend du type d'accord conclu. On peut tout d'abord relever des accords de branche d'application directe dans l'entreprise. Il en est ainsi des dispositions immédiatement transposables dans les structures de moins de cinquante salariés (accords Capeb, industries et commerces de gros de viande, bijouterie-joaillerie-orfèvrerie, experts-comptables). Plus nombreuses sont les conventions de branche nécessitant un complément ; elles prennent alors la forme d'un accord-cadre qui pose les grands axes de la réduction et de l'aménagement du temps de travail et renvoie pour leur mise en œuvre à la convention décentralisée (coopératives laitières, coopératives cinq branches, coopératives bétail et viande, Mutualité sociale agricole – MSA –, banque ou transports urbains). Ces accords offrent souvent la possibilité de recourir au mandatement des salariés par les organisations syndicales. Dans cette relation entre les différents niveaux de négociation, la possibilité est parfois donnée à l'accord d'entreprise, par l'accord de branche, de déroger à ses propres dispositions (coopératives laitières).

L'accord de branche doit également s'articuler avec une convention collective de même niveau antérieurement conclue. La question est particulièrement importante au regard de la procédure de révision. L'accord constitue-t-il une simple annexe à la convention antérieure ou prend-il la forme d'un avenant susceptible de déclencher une procédure d'opposition ? C'est cette dernière mesure qui est le plus souvent retenue (coopératives laitières, coopératives cinq branches, coopératives bétail et viande, BTP, grande distribution alimentaire).

La portée des accords de branche dépend aussi de leur condition d'entrée en vigueur. Certains envisagent une application immédiate, d'autres une application différée, souvent subordonnée à l'obtention d'un arrêté d'extension (Capeb, industrie charcutière, coopératives cinq branches) ou d'un agrément (MSA).

b) Leurs caractéristiques

Les accords de branche se différencient par la chronologie qu'ils adoptent, l'inspiration qui les anime, les modes de représentation des salariés qu'ils entendent promouvoir. On peut tout d'abord distinguer les accords d'anticipation et les accords d'attente. Certains d'entre eux envisagent un passage immédiat ou proche à une durée hebdomadaire de 35 heures. Ils n'y attachent pas toujours, dès la date de l'accord ou de son extension, les effets d'une durée légale et ne pratiquent, jusqu'en l'an 2000, la majoration pour heures supplémentaires qu'après la 39e heure (coopératives laitières). D'autres accords procèdent par étapes, tel celui conclu dans l'industrie sucrière, qui opte successivement pour une durée de 37 heures, puis de 35 heures. D'autres, enfin, attendent l'échéance légale (grande distribution alimentaire, banque).

Plus généralement, les négociations de branche répondent à des finalités différentes : elles adoptent tantôt des logiques d'accompagnement de la réduction collective du temps de travail, tantôt des logiques de simple mise en conformité. Les accords du premier type se caractérisent par une réduction affichée de la durée du travail appréciée à la semaine ou à l'année (industrie sucrière) et par un engagement ferme en matière d'emplois sous forme d'embauches (Assurance mutuelle des fonctionnaires, coopératives bétail et viande, industrie de la charcuterie, MSA) ou d'actions de lutte contre le chômage (BTP, banque, transports urbains). Cette première catégorie d'accords fait largement appel à l'article 3 de la loi, et donc à l'aide publique (coopératives laitières, coopératives cinq branches, Capeb, propreté, Assurance mutuelle des fonctionnaires).

Le second type d'accords, plutôt réactifs, vise davantage à amortir les effets de la nouvelle durée légale du travail. Ils recourent à une augmentation des contingents d'heures supplémentaires sans autorisation (métallurgie, industrie textile, industrie charcutière, bijouterie, propreté), dont l'importance est souvent fonction de l'introduction dans l'entreprise d'un mode d'annualisation du temps de travail. Le choix s'opère ainsi entre répartition du temps de travail et amplitude de la durée du travail. Dans la mise en œuvre de ce contingent, les pratiques varient : tantôt la branche laisse une certaine latitude à l'accord d'entreprise (textile, grande distribution alimentaire), tantôt le contingent n'est majoré que pour un temps limité (banque, industrie charcutière)… Enfin, certains accords ont recours au repos compensateur de remplacement (métallurgie).

Le caractère réactif des accords de branche peut se manifester également par l'utilisation des forfaits d'horaires. Ceux-ci donnent lieu à des déclinaisons très différentes qui ne caractérisent pas toujours une volonté de tempérer les effets de la loi, mais révèlent une inadéquation de la notion de temps de travail à certaines fonctions. Les forfaits sur une base horaire (mensuelle ou annuelle) ou journalière appliquent, avec des nuances, un décompte de la durée du travail et prévoient des majorations éventuelles. En revanche, les forfaits sans référence horaire s'en dispensent. Mais ils varient tant dans leur champ d'application (cadres de direction mais aussi commerciaux, ingénieurs et même personnel non cadre) que dans leur degré d'exclusion de la réglementation de la durée du travail.

Dernière caractéristique : les accords de branche encouragent ou non la conclusion d'accords d'entreprise par la voie du mandatement. Certains font application de la loi du 12 novembre 1996 et ouvrent la voie, à titre expérimental, à une négociation avec les élus du personnel ou les salariés mandatés par une organisation syndicale (coopératives bétail et viande). Cette possibilité fait parfois l'objet d'un accord spécifique (grande distribution alimentaire).

II. Les apports en matière de durée et d'aménagement du temps de travail

L'analyse du contenu des accords de branche sur la durée et l'aménagement du temps de travail met en lumière quelques constantes qui devraient inspirer le législateur à la fin 1999. Elle révèle également un grand nombre de variables qui sont autant d'incertitudes pour l'avenir.

a) Les constantes

L'annualisation du temps de travail en est une. Elle est la contrepartie de la réduction de la durée du travail et du maintien des salaires. Rares sont les accords qui n'y recourent pas, même si certains d'entre eux en limitent l'usage (Capeb) ou optent pour la semestrialisation (propreté). L'annualisation s'exprime d'abord par la détermination d'un horaire annuel. Le passage à une nouvelle durée légale n'autorisant pas d'emblée le décompte annualisé du temps de travail, les accords empruntent la voie de la modulation, le plus souvent de type III, et l'entourent des garanties légales (grande distribution alimentaire). Ils admettent son application directe dans les entreprises en cas d'échec de la négociation spécifique (BTP). Ils recourent enfin au cycle (transports urbains) et au compte épargne temps (industrie sucrière, BTP, experts-comptables).

L'autre constante est l'adoption assez fréquente d'un décompte journalier de la durée du travail. Il s'agit de l'octroi de jours de repos, nouvelle forme de modulation dont l'utilisation est très largement encouragée. Les accords de branche ne réservent pas cette formule aux cadres (coopératives laitières, Capeb) et précisent les conditions de la fixation de ces jours, partie à l'initiative du salarié, partie à celle de l'employeur. Cette tendance se retrouve dans certains types de forfaits fondés sur le nombre de jours travaillés (commerces à prédominance alimentaire).

Enfin, la règle générale semble être le maintien du niveau des salaires. Les accords font souvent usage de primes différentielles (propreté). Cette compensation financière est doublée d'une moindre évolution des augmentations (coopératives bétail et viande, industrie sucrière), d'un gel des primes (MSA), parfois d'une disparition de certains avantages (industries et commerces de gros de viande).

b) Les variables

Elles tiennent tout d'abord au champ d'application de la réduction du temps de travail. Certains accords y associent les salariés à temps partiel (Capeb), d'autres prévoient de leur proposer un choix (métallurgie, experts-comptables).

La variabilité vaut également pour les cadres qui, suivant leur fonction, sont tantôt inclus dans le champ de l'accord (coopératives bétail et viande, industrie charcutière), tantôt soumis à un mode de calcul de la durée du travail qui leur est propre, tantôt considérés comme étrangers à tout horaire précis. Enfin, on observe de grandes disparités concernant l'élargissement du bénéfice de l'accord aux nouveaux embauchés (coopératives laitières, coopératives cinq branches).

Mais c'est la notion de temps de travail effectif qui offre le plus d'incertitudes. Non abordée par de nombreux accords, elle est parfois distinguée de notions connexes telles que le temps de formation. Celui-ci peut alors se trouver placé sur les jours de repos (industrie sucrière) ou hors du temps travaillé dans le cadre du coïnvestissement (grande distribution alimentaire). Certaines branches opèrent une différenciation entre travail effectif et travail itinérant ou travail autonome (experts-comptables). Enfin, la rédaction d'une convention de forfait sans horaire propose une approche du temps de travail contestée par le ministère du Travail, à partir de la seule définition de la mission ou de la fonction (industrie textile).

Les exemples pourraient être multipliés : présence ou non d'une clause de réexamen de l'accord, modes de contrôle de la durée du travail, amplitude de la semaine et travail du dimanche…

Au-delà des problèmes spécifiques à chaque branche révélés par ces accords, le législateur devra respecter deux impératifs : prendre acte des nouvelles formes de répartition de la durée du travail et répondre à la situation particulière des personnes travaillant non au temps, mais à la mission.

Auteur

  • Françoise Favennec-Hery