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Repères

L'actionnaire, seul maître à bord

Repères | publié le : 01.04.1999 | Denis Boissard

« Un projet industriel ambitieux, porteur d'avenir, immédiatement et durablement créateur de valeur. » Présentant sa double OPE sur Paribas et la Société générale, Michel Pébereau, le PDG de la BNP, s'empresse de mettre en avant l'intérêt de l'opération pour… l'actionnaire. Pas un mot, ou presque, pour les clients et les salariés. Les clients ? Difficile de croire que la constitution de mastodontes, en situation prépondérante sur leur marché, soit bénéfique à la concurrence et au consommateur.

Les salariés ? Michel Pébereau le jure : il n'y aura pas de licenciement collectif dans les réseaux

Une promesse qui n'engage que ceux qui l'écoutent. Car les agences de la BNP doublonnent avec celles de la Générale sur la plupart des trottoirs des villes françaises. Si bien qu'entre la complémentarité banque d'affaires-banque de réseau, privilégiée par la fusion Paribas-Société générale, et les perspectives d'économies d'échelle ouvertes par l'opération SBP, les marchés ont vite tranché en faveur de la seconde.

La même semaine, le groupe Alcatel annonce simultanément un bénéfice de plus de 15 milliards de francs et un plan mondial de 12 000 suppressions d'emploi.

Échaudé par la dégringolade de l'action au mois de septembre (– 38 % en une seule séance), Serge Tchuruk entend donner des gages aux marchés. La Bourse applaudit, le titre Alcatel s'envole de plus de 5 %. L'actionnaire, là encore.

Au même moment, un millier de salariés défilent devant le siège d'Elf, à l'appel de l'ensemble des syndicats, pour protester contre la « dérive financière » du groupe pétrolier, accusé de privilégier la création de valeur au détriment de la politique industrielle et de l'emploi. L'actionnaire, toujours lui.

Les Trente Glorieuses avaient consacré le règne du producteur

c'est-à-dire du management et des salariés de l'entreprise. Le compromis fordiste combinait production de masse, de qualité assez médiocre, politique salariale extrêmement généreuse, permettant de doper la consommation, et actionnariat dormant. Les « vingt piteuses » qui ont suivi ont sacralisé le client : production en petite série, de bonne qualité, et compétitivité par les prix au détriment des salaires. La période qui s'ouvre s'annonce comme celle de la suprématie de l'actionnaire. Dès lors qu'elle a besoin de capitaux pour financer sa croissance, l'entreprise doit céder aux exigences de transparence et de rentabilité des nouveaux investisseurs financiers (fonds de pension, fonds spéculatifs, fonds de Sicav…).

Un signe : les notions d'amélioration de la qualité et de mobilisation des salariés sont désormais largement supplantés dans le langage managérial par les anglicismes return on capital employed (retour sur capital investi), economic value added (valeur ajoutée), ou mieux encore share holder value (création de valeur pour l'actionnaire). Autrement dit, priorité absolue à la rentabilité financière et au profit.

Inutile de se voiler la face, c'est une mauvaise nouvelle pour les salariés et l'emploi

Pour les salariés : les grands groupes n'ont de cesse de réduire la part des salaires dans la valeur ajoutée de l'entreprise pour accroître celle de la rémunération du capital. À côté d'une poignée de cadres à haut potentiel, choyés pour éviter qu'ils ne partent à la concurrence, la grande masse du personnel doit se contenter de voir son pouvoir d'achat végéter. Pour l'emploi : les maîtres mots des fusions actuelles sont économies d'échelle et externalisation des activités non rentables.

Face à cette domination sans partage de l'actionnaire, le moins que l'on puisse dire est que le syndicalisme a bien du mal à s'ériger en contre-pouvoir. Alors que le capitalisme français est engagé dans un mouvement de concentration sans précédent, il apparaît, lui, fortement morcelé. Et, prisonnier de ses vieilles lunes idéologiques, il est en passe de rater le train de l'actionnariat salarié. À l'instar de la fusion que viennent d'opérer les principaux syndicats britanniques dans le secteur bancaire, le mouvement syndical hexagonal aurait tout intérêt à se restructurer s'il entend se faire respecter des colosses de demain. Et il devrait utiliser l'essor de la participation du personnel au capital des sociétés cotées comme levier pour peser au sein du conseil d'administration – avec voix délibérative – sur les décisions stratégiques de l'entreprise.

Dernière suggestion : en cette période de modération salariale et d'envolée des revenus boursiers, pourquoi ne pas revendiquer une généralisation des stock-options à l'ensemble des salariés ? Plutôt qu'elles demeurent l'apanage d'un petit noyau de dirigeants.

Auteur

  • Denis Boissard