logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

Les zones franches n'ont pas fait de miracle pour l'emploi

Politique sociale | DECRYPTAGE | publié le : 01.04.1999 | Éric Larpin

Polémique autour du nombre d'emplois effectivement créés, coût élevé des exonérations : les zones franches urbaines ne donnent pas satisfaction au gouvernement Jospin. La quarantaine de villes concernées parviennent pourtant à attirer des emplois dans les quartiers sensibles.

Une société provençale qui passe d'une zone d'entreprise à une zone franche pour profiter de nouveaux avantages ; une autre qui embauche des femmes de ménage pour quelques heures, ouvrant droit à exonération de charges sociales ; une clinique qui se scinde en plusieurs entités juridiques pour tirer parti des effets de seuil : parmi d'autres curiosités, voilà ce qui figure dans le bilan très mitigé des zones franches urbaines, fait par le ministre de la Ville, Claude Bartolone, devant les députés. Le moins que l'on puisse dire est que le gouvernement Jospin, qui a fait plancher pour l'occasion trois corps d'inspection, est loin d'adresser un satisfecit à son prédécesseur.

Les quarante-quatre zones franches urbaines, répondant au sigle barbare de ZFU, ont été conçues par un autre ministre de la Ville, Jean-Claude Gaudin, du temps d'Alain Juppé, pour doper l'emploi dans les quartiers difficiles, à coups d'exonérations d'impôts et de taxes. Pendant cinq ans, les établissements de moins de cinquante salariés existants ou nouvellement implantés sont dispensés de cotisations patronales, de taxe professionnelle, de taxe foncière sur le bâti et de l'impôt sur les sociétés. À condition que les habitants du quartier bénéficient de 20 % des embauches.

Constat décevant : deux ans après la création des zones franches urbaines, les emplois ne se bousculent pas au portillon. 6 500 en 1996, 9 000 en 1997, en incluant les délocalisations d'entreprises. Pour un coût relativement élevé : entre 150 000 et 200 000 francs par emploi, selon les pointages de l'État. Le rapport ad hoc commandé par Claude Bartolone n'est pas le seul à le dire. Celui rendu public en février 1998 par le maire d'Orléans, Jean-Pierre Sueur, arrive aux mêmes conclusions. Un désaveu que réfute l'Association nationale des villes en zone franche urbaine. « Il y a eu une montée en puissance l'an dernier, indique Christophe Barge, directeur de l'association. D'après notre propre décompte, nous arrivons à 20000 emplois créés au 1er octobre 1998. »

À Bordeaux, 420 emplois créés

Les défenseurs des zones franches ont de bons exemples à l'appui. La plus vaste des ZFU est celle de La Bastide et des Hauts de Garonne. Elle englobe une partie des communes de Bordeaux, de Cenon, de Lormont et de Floirac. En Gironde, fief d'Alain Juppé, ce qui n'a pas été sans susciter des commentaires acerbes. Même si ces 800 hectares, situés sur la rive droite de la Garonne, englobent à la fois la commune de l'ancien Premier ministre et trois communes socialistes. Créée en 1997, la zone franche girondine revendique aujourd'hui près de 400 créations et transferts d'établissements pour un millier d'emplois.

« Nous avons lancé notre dossier dès l'annonce du projet ZFU, explique Marlène Batz, directrice du développement économique à la mairie de Bordeaux. Car c'est une chance peut-être unique de rééquilibrer les deux rives. Bordeaux avait des terrains et les trois autres communes souffraient de chômage endémique. Les zones d'activité comme la future construction d'hôtels d'entreprise vont permettre d'améliorer l'embauche locale. » En janvier 1999, 420 emplois ont été créés dans le seul périmètre de Bordeaux. « Sans compter les entreprises qui se sont installées à proximité, se réjouit Michel Masdoumier, chef de projet politique de la ville à la préfecture de la Gironde. Comme si le quartier avait déjà changé d'image et bénéficiait d'un nouvel élan. »

Pierre Zwierzak, gérant de la société Pierre A., spécialisée dans l'aménagement de locaux professionnels, a été l'un des premiers à s'installer dans la zone franche, en mars 1997, quelques jours après avoir eu le feu vert du tribunal de commerce pour reprendre la société dont il venait d'être licencié. « À 49 ans, je n'aurais pas retrouvé de poste de chef de chantier. Alors, j'ai repris l'unité de production. » Trois embauches ont pu être réalisées sur place, grâce à ce qu'il considère comme un coup de pouce. « L'exonération n'amène pas le client ! » Karl Alkemeier fait partie des trois nouveaux salariés de la société Pierre A. : « Je travaillais avec Pierre dans l'ancienne société. Mais j'étais resté au chômage technique. Je ne trouvais pas de travail quand il m'a appris que ma résidence se trouvait en zone franche à Cenon. Il m'a renvoyé la balle, sans quoi je n'aurai pas retrouvé un emploi aussi vite. »

Autre entrepreneur, Thibaud Bourdet est, à moins de 30 ans, le gérant de la société Prestatech, qui assure l'assistance technique sur des chantiers de construction de maisons en bois. Cet informaticien autodidacte qui aurait voulu développer un logiciel de gestion emploie actuellement dix-sept personnes, arrivées pour la plupart directement de l'ANPE. « Je n'avais pas les moyens suffisants pour monter une société. La ZFU a constitué une bonne occasion. Je cherche maintenant des locaux plus grands, toujours en zone franche bien sûr. Ça m'intéresse de m'engager sur le long terme. » À tel point d'ailleurs qu'il n'hésitera pas s'il trouve à acheter un appartement à proximité.

Peu de chasseurs de primes

Toutes les entreprises de la zone franche bordelaise ne sont pas issues de créations ou de reprises. Un tiers résulte de transferts d'activité. « Ce ne sont pas tous des chasseurs de primes, souligne Marlène Batz. Cela a surtout permis à des entreprises qui payaient des loyers trop élevés dans le centre de Bordeaux de se consolider. Nous n'avons pas non plus accepté de délocalisation d'établissements publics et nous avons évité le phénomène de boîtes aux lettres sur la zone. Pour moi, la ZFU est un dispositif qui coûte de l'argent mais qui reste efficace. » Surtout quand les structures décident de travailler en commun.

En Gironde, la chambre des métiers et la chambre de commerce et d'industrie coopèrent au sein d'une mission ville : « Nous voulons soutenir la création d'activités par des publics difficiles, notamment des RMIstes dans les quartiers sensibles, en travaillant avec les missions locales ou les plates-formes d'initiative économique », indique Bernard Coule, assistant technique au service des affaires économiques de la chambre des métiers. En Ile-de-France, l'équation reste la même. Simplement, le manque d'emplois dans les quartiers sensibles y est encore plus criant. La région compte huit ZFU, dont celle de la Grande Borne, qui recouvre les deux communes de Grigny et de Viry-Châtillon. « Quand j'ai voulu venir ici, après avoir été licencié d'une société de transports, se souvient Christian Parmeggiani, on m'a dit que je prenais un risque.

D'ailleurs, je n'ai pas eu de soutien des banques. » Aujourd'hui, son entreprise, LDM Services, qui effectue des livraisons à domicile pour les particuliers, compte une flotte de vingt-cinq véhicules. Un seul a été abîmé. « Cela aurait pu arriver ailleurs qu'à la Grande Borne. » Lui qui venait de la commune voisine de Savigny-sur-Orge, qui connaissait la réputation déplorable de la Grande Borne, a été étonné de pouvoir recruter du jour au lendemain tout le personnel nécessaire : des chauffeurs, des livreurs, des préparateurs. Aujourd'hui, dix-huit salariés sur trente-cinq habitent la Grande Borne, à deux pas des locaux de LDM Services, situés dans un ancien squat.

Pour faciliter le croisement entre les besoins des entreprises et les qualifications présentes sur place, un dispositif totalement différent de celui de la Gironde a été mis en place à Grigny (25 000 habitants). Sinon, la mécanique de l'embaucheaurait connu des ratés. Le quartier de la Grande Borne comptait 35 % de chômeurs de longue durée au moment du lancement de la zone franche. L'ANPE, la mission locale pour l'emploi et la plate-forme d'initiative locale ont créé une nouvelle structure, Initiative Emploi, qui permet notamment aux futurs embauchés de faire un essai d'une semaine en entreprise. Ce système va être consolidé avec l'aide du Fonds social européen, ce qui devrait pouvoir démultiplier le mécanisme d'incitations de la zone franche.

Avant sa création, les débouchés étaient rares pour les jeunes, même diplômés. En 1998, Andria Razanaparany, 27 ans, a trouvé un premier emploi, après un BTS agroalimentaire et une kyrielle de stages de formation commerciale. Son employeur est la société Kema, qui fabrique et exporte des pièces pour l'automobile. Une entreprise fraîchement installée dans la ZFU. « J'arrivais à une période charnière, raconte Andria. Ce travail à temps partiel d'agent de fabrication me permet de compléter mon CV. Sur place, je n'avais pas d'autres propositions. » Tous les salariés de Kema, même les techniciens en électromécanique ou les qualiticiens, étaient auparavant au chômage.

Bilan complet en 2002

Il faut dire qu'à Grigny Coca-Cola, avec ses 200 salariés, est l'arbre qui cache la forêt. Dans cette commune de l'Essonne qui compte 3 500 emplois, il en faudrait le double pour que le taux de chômage soit conforme à la moyenne nationale. « Nous attendons de la zone franche qu'elle donne un coup de fouet aux entreprises désireuses de venir s'implanter, estime Michel Arsendeau, responsable à la mission de développement économique de Grigny. La ville a testé tous les dispositifs en faveur de l'emploi. Je dis bien tous sans exception ! Mais je pense que la ZFU a des atouts parce qu'elle mélange les préoccupations : au développement économique, elle lie ce qui a trait au logement, à la sécurité, à l'aménagement et aux transports. Reste à convaincre tout le monde, entrepreneurs et habitants, de son intérêt. »

Si la majorité des intervenants semble avoir été conquis par les avantages des zones franches, le gouvernement n'est pas aussi enthousiaste. Cette déception ne va pas jusqu'à la remise en cause totale du dispositif, mais augure des aménagements, notamment en matière d'exonération de charges sociales. « Nous voulons favoriser les entrepreneurs qui créent vraiment des emplois nouveaux, précise Claude Bartolone. Mais il ne faut pas se leurrer : pour certains quartiers, il n'y a pas et il n'y aura pas d'arrivée miraculeuse d'activités sans aides de l'État. L'État va donc se porter garant du dispositif jusqu'à son extinction, en 2006, en accompagnement des futurs contrats de ville. » Un bilan complet sera fait à l'issue de la période dérogatoire de cinq ans. Car l'État, qui a engagé 760 millions de francs en 1997, 800 millions l'an dernier et 1,5 milliard cette année dans les zones franches, entend faire les comptes.

Une expérience abandonnée au Royaume-Uni

C'est un gouvernement conservateur qui a lancé, en 1981, des zones franches (« enterprise zones ») au Royaume-Uni. Un dispositif abandonné par ses promoteurs à partir de 1991.Cette année-là, elles étaient au nombre de vingt-cinq et fonctionnaient en gros comme les zones franches françaises, sur la base d'exonérations de taxe foncière locale et de certaines cotisations sociales. Mais elles ne comportaient pas de clause d'embauche locale, ce qui est illégal au Royaume-Uni. Elles étaient situées en bordure des villes et dans les régions industrielles en crise et destinées à fournir de l'emploi aux « blue collars ». Les Docklands, à Londres, en font partie. Pour Michael Parkinson, directeur de l'European Institute for Urban Affairs de Liverpool, les zones d'entreprises ont été critiquées, parce que « les emplois créés sont les plus chers parmi toutes les initiatives prises en la matière » et qu'au lieu d'emplois nouveaux on a simplement transféré des emplois de la proximité. « Je ne pense pas que cette approche sera renouvelée, poursuit-il, parce que le principe de dérégulation est une mauvaise idée pour aider à la création d'emplois. » Les expériences tentées aux États-Unis (« empowerment/enterprise zones ») ainsi qu'aux Pays-Bas (« opportunity zones ») n'ont pas été plus concluantes.

Auteur

  • Éric Larpin