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Enquête

PUBLIC-PRIVE LE GRAND ECART

Enquête | publié le : 01.04.1999 | Denis Boissard

Salaires, stabilité de l'emploi, durée du travail, retraites, pouvoir syndical… le fossé s'élargit de façon inquiétante entre les salariés du privé et ceux du secteur public. Au détriment des premiers.

Gros, très gros malaise lors du 46e congrès de la CGT, il y a deux mois à Strasbourg. Le débat d'ouverture débouche sur une empoignade inattendue entre délégués du secteur public et syndicalistes du privé. Pomme de discorde : la récente signature par la Fédération CGT du textile du délicat compromis élaboré dans cette branche sur les 35 heures. Dénonçant ceux qui, « pour gagner, sont prêts à s'allier avec tout le monde, avec le diable et sa grand-mère », Marie-Louise Dupas, du CHU d'Angers, assène : « Le stylo, laissons-le à d'autres ! » Riposte exaspérée de Kader Chigri, de l'entreprise Peaudouce : « Cette façon de montrer du doigt ceux qui se battent pour des concessions sur le terrain n'est pas acceptable. Il ne suffit pas de balancer des slogans sur le ton du « y'a qu'à, faut que ». Le discours dur, c'est la facilité. » Un choc de cultures. Et deux visions divergentes des relations sociales : front du refus contre syndicalisme de proposition.

Ce n'est pas tout à fait un divorce. Mais on est loin du climat consensuel de décembre 1995, lorsque les Franciliens effectuaient chaque jour un véritable parcours du combattant pour se rendre à leur bureau, sans manifester de mauvaise humeur contre les cheminots de la SNCF ou les conducteurs de la RATP en grève pour la sauvegarde de leurs avantages de retraite. Une solidarité de fait plutôt paradoxale de la part de salariés du privé qui avaient, deux ans auparavant, encaissé sans broncher une révision drastique de leurs conditions de départ à la retraite et du mode de calcul de leurs pensions. « Grève par procuration », avaient alors diagnostiqué les observateurs.

Depuis, quelques rapports officiels sont venus apporter divers bémols au plaidoyer un tantinet misérabiliste que développent encore beaucoup de syndicats de fonctionnaires.

Sur le thème : la stabilité de l'emploi garantie par le statut de la fonction publique n'est que la juste contrepartie de la modicité du salaire et de la pension des intéressés. Une étude annexée au projet de loi de finances pour 1999 montre qu'entre les revalorisations des plans Durafour, Jospin et Lang, les agents de l'État ont, depuis la fin des années 80, rattrapé une partie de leur retard salarial sur les salariés du secteur privé. Sauf chez les cadres supérieurs, l'écart est désormais faible pour les cadres moyens et les ouvriers, et l'avantage est à la fonction publique chez les employés. S'agissant de la durée du travail, le récent rapport Roché remet les pendules à l'heure : hors Éducation nationale, les fonctionnaires travaillent en moyenne de 35 à 37 heures par semaine. Soit, sauf exception, sensiblement moins que les salariés du privé. Enfin, les travaux de la mission Charpin sur l'avenir des retraites ont mis en évidence que les salariés du public sont mieux lotis que leurs homologues du privé, parce qu'ils bénéficient à la fois d'un départ à la retraite plus précoce et d'un taux de remplacement entre pension et dernier salaire plus favorable. En outre, l'écart devrait se creuser encore à l'avenir.

Un tel fossé peut-il perdurer, voire s'élargir un peu plus ? C'est tout l'enjeu de la réforme des retraites. Leur situation relative se dégradant, les salariés du privé sont aujourd'hui soucieux d'équité. Plus de 80 % d'entre eux estiment que les dispositifs de retraite du public doivent être alignés sur ceux du secteur privé, selon un sondage CSA-Espace social européen (55 % de leurs homologues du public sont du même avis, mais 36 % y sont opposés). Autrement dit, si un effort s'impose pour consolider le système de retraite, cet effort doit être partagé. Un message que l'État employeur ne peut ignorer s'il veut éviter la fracture.

Auteur

  • Denis Boissard