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« La formation hors temps de travail est négociable »

Dossier | publié le : 01.04.1999 | Sandrine Foulon

Le diagnostic du secrétariat d'État à la Formation professionnelle privilégie des pistes plutôt que des solutions clés en main.

« Élue de province », à Bayonne pour être précis, « sans réseaux parisiens », comme elle aime à le répéter, Nicole Péry, secrétaire d'État à la Formation professionnelle, également chargée des droits des femmes, s'est attaquée au dossier de la formation continue avec pragmatisme. Il y a tout juste un an, lorsque Lionel Jospin confiait à cette ancienne prof de lettres, et parlementaire européenne, la responsabilité d'un secrétariat d'État à la Formation professionnelle nouvellement créé et le soin d'en mesurer la force et les faiblesse, Nicole Péry avouait ne rien connaître à cet univers. À l'issue de neuf mois d'enquête, d'études, d'immersion dans cette nébuleuse technico-financière, elle a présenté le 17 mars dernier devant le Conseil des ministres un pavé de 240 pages intitulé Diagnostic, défis et enjeux, prélude à une réforme qui devrait voir le jour en l'an 2000. La secrétaire d'État, qui préfère écrire elle-même ses textes « avec des mots simples », pour éviter le langage technocratique, y brosse un portrait critique de l'accès à la formation continue et revendique la création d'un « droit individuel à la formation, transférable et garanti collectivement ». Tout en renvoyant la balle dans le camp des partenaires sociaux, invités à construire, avec l'État, un système plus égalitaire.

Que reprochez-vous à la loi fondatrice de 1971 ?

À l'époque, elle était réellement novatrice. La France possédait même quelques longueurs d'avance sur le reste du monde. Nous étions le seul pays à avoir instauré l'obligation légale pour les entreprises de financement de la formation professionnelle. Mais cette loi a été conçue dans le contexte de plein emploi des années 70.

Notre réalité est fondamentalement différente. Ne serait-ce qu'en termes de mobilité. Il y a trente ans, une femme on un homme réalisait dans la plupart des cas l'ensemble de son parcours professionnel dans une même entreprise. Aujourd'hui, un salarié sur cinq change d'emploi tous les cinq ans. Le bilan de la loi de 1971 montre également une inégalité flagrante dans l'accès à la formation tout au long de la vie. Jusqu'à présent, elle a surtout profité aux cadres. Devant le Conseil des ministres, j'ai volontairement choisi d'illustrer le propos avec des exemples « extrémistes » mais frappants. Une femme, ouvrière, employée dans une PME de moins de vingt salariés géographiquement éloignée d'un centre de formation, possède 2,5 % de chance d'accéder un jour à une formation. En revanche, pour un homme, cadre dans une grande entreprise de plus de 2 000 salariés, donc très souvent proche d'une zone urbaine, les probabilités s'élèvent à 68 %. Et lorsqu'on sait que 80 % des employés et des ouvriers sont des femmes, on mesure l'ampleur des inégalités à combler…

Des faibles niveaux de qualification sont-ils perfectibles grâce à la formation continue ?

À ce jour, la loi de 1971 n'a pas non plus répondu à la nécessité de maintenir, voire d'améliorer le niveau de formation. Or, là aussi, les chiffres sont surprenants. En France, 40 % de la population active sort de l'école avec un niveau de formation initiale inférieur au CAP.

C'est évidemment une moyenne, mais tous ces actifs n'ont pas 58 ans ! Qu'on l'accepte ou non, l'exigence absolue de performance économique est si forte qu'il est devenu indispensable de conforter les qualifications, mais aussi de garantir l'adaptation, la remise à niveau des salariés confrontés aux mutations technologiques. Et cela dans un esprit de cohésion sociale si l'on ne veut pas se retrouver avec un pan entier de la population en situation d'échec et une courbe du chômage difficile à gérer.

Quelle piste proposez-vous pour y remédier ?

Ces trois constats m'ont poussée à revendiquer un droit individuel à la formation, transférable et garanti collectivement. Chaque épithète prend toute sa signification. Individuel parce qu'il faut reconnaître à chacun le droit de se former, de demander un congé… Transférable pour se calquer sur la mobilité. Un salarié passe sept ou huit ans dans une entreprise. Si cette dernière ferme ses portes, il n'est pas question pour lui de perdre sa « progression », ses compétences acquises dans l'entreprise et de recommencer tout à zéro. Il doit pouvoir faire valoir son parcours et continuer à utiliser ses droits à la formation en cas de changement de statut et au moment où il le souhaite, qu'il soit en activité ou en période de chômage, ce qui nous amène à un droit garanti collectivement. Les acquis de l'expérience ne sont pas suffisamment pris en compte. Et tant qu'elle n'est reconnue que par l'entreprise intra-muros, la compétences ne permet pas à un salarié de se repositionner sur le marché du travail. Il n'a pour tout bagage que son diplôme de départ. Dans cette optique, j'ai invité les partenaires sociaux à réfléchir sur la construction d'un nouveau système.

Comment comptez-vous améliorer la validation des acquis professionnels, qui reste sous-utilisée ?

La loi de 1992 a ouvert quelques portes mais elle est sous-employée. 5 000 VAP comptabilisées en 1998, c'est encore trop peu. Les décrets d'application ont rendu l'utilisation de cette loi très complexe. Le dispositif reste trop méconnu des entreprises et des particuliers.

Mais nous travaillons avec le ministre de l'Éducation nationale, qui en a très bien saisi les enjeux. À l'avenir, il nous faut aussi inventer des équivalences avec les partenaires sociaux, créer ensemble des référentiels. Et arrêter cette guéguerre caricaturale entre formation initiale et compétences acquises en entreprise. Il n'existe pas de logique de diplôme opposée à celle de poste de travail. Nous devons progresser sur les outils de validation des acquis. De façon à obtenir cette fameuse reconnaissance sociale, quelle que soit la certification reconnue et quel que soit le « valideur ». Chacun devra pouvoir décrypter un CV et savoir lire derrière les certifications.

Vous reconnaissez-vous dans le discours qu'a tenu le patronat sur les compétences, à Deauville ?

Je ne suis pas allée aux Journées de Deauville. Ma présence ne pouvait que cautionner un discours à usage interne des entreprises, où la formation n'avait pas droit de cité. Mais, depuis, nous nous sommes vus, nous avons travaillé. Chacun a pris conscience que le moment était venu de construire quelque chose ensemble.

Les entreprises semblent prêtes à admettre qu'il faudra un regard extérieur pour valider la compétence, surtout si l'on se place sur le terrain du droit du salarié. À ce jour, je ne suis pas en mesure de proposer une solution clés en main. Je m'inspire de la méthode qu'avait employée Jacques Delors au moment de la préparation de la loi de 1971, lorsqu'il était à la fois au secrétariat général du Comité interministériel pour la formation professionnelle et la promotion sociale, et au cabinet du Premier ministre de l'époque, Jacques Chaban-Delmas.

Les accords interprofessionnels de 1970 ont précédé la loi de 1971. Je souhaite respecter la contractualisation et la négociation. Les actes législatifs viendront conforter les accords. Les principaux acteurs doivent se saisir du problème. Je ne dis pas qu'il sera aisé de dégager une majorité pour échafauder ce nouveau droit. L'État ne peut pas le faire à la place des partenaires sociaux, syndicats et patronat, qui sont tous beaucoup trop attachés à la gestion paritaire de la formation professionnelle. À nous de remettre à plat le système existant et de jouer le rôle d'aiguillon.

Allez-vous créer un service public pour aider les salariés à se repérer dans le dédale des certifications ?

Je ne souhaite pas dévoiler de mécanismes précis. Nous avons des idées mais le principe est de travailler de concert avec les différents acteurs, de ne pas imposer. Dans les semaines à venir, nous entamerons une période de concertation. Nous allons également mener des expérimentations avec les régions et les branches professionnelles (1). Nous planchons notamment sur l'accès à la formation des salariés de PME qui ne peuvent être remplacés pour des questions de disponibilité ou qui se trouvent éloignés d'un centre de formation.

Nous envisageons de développer les formations à distance, de recourir aux nouvelles technologies qui, bientôt, ne seront plus nouvelles d'ailleurs.

Comptez-vous profiter de la future réforme pour remettre à plat les circuits financiers de la formation ?

Lorsque j'ai abordé le dossier, j'ai été frappée par la noirceur des rapports parlementaires sur l'opacité des financements, voire les pratiques répréhensibles de certains acteurs. Je n'ai donc pas souhaité faire du volet financier un point d'entrée du diagnostic. Les systèmes, nébuleux, certes, ont tout de même permis de nettes avancées, et les dérives semblent résulter de l'absence de règles du jeu claires. L'une de nos missions sera de toute façon de préciser le rôle des différents acteurs (2).

Quelle va être la place de la validation des acquis dans le cadre des négociations sur les 35 heures ?

La formation continue relèvera-t-elle du temps de travail ou du temps libéré ? Tout dépend des négociations et de la seconde loi sur la RTT. Il faudra vérifier, lorsqu'on abordera le droit du salarié au travers des 35 heures, de ne pas mettre en péril son caractère individuel et collectivement reconnu. S'il relève d'un choix de l'entreprise, il me semble que le temps d'adaptation absolument nécessaire à un poste de travail doit s'inscrire dans le temps de travail.

En revanche, pour conforter ses connaissances, évoluer ou se préparer à un autre parcours professionnel, un salarié peut envisager de se former sur son temps libéré. Il y a place pour la négociation, sachant que le coïnvestissement, si l'on choisit ce terme, devra respecter, et j'y reviens, le droit individuel, transférable et garanti collectivement. Tant que nous n'aurons pas lutté contre les inégalités, retrouvé le sens de la formation professionnelle, toutes les mesures ne seront que des rustines, des replâtrages sur un système qui a aujourd'hui prouvé ses limites.

Quatre étapes importantes dans l'arsenal juridique

La loi du 16 juillet 1971 a repris les stipulations de l'accord national interprofessionnel du 9 juillet 1970, qui est le texte fondateur de la formation professionnelle. Elle institue, pour les employeurs de dix salariés et plus, l'obligation de participer au financement de la formation professionnelle continue. Par ailleurs, elle confirme le droit au congé individuel pour tous les salariés et précise le rôle des représentants des salariés en matière de formation. Ce texte ouvre un droit au congé individuel de formation pour les salariés titulaires de contrats à durée déterminée.

Le décret du 23 août 1985. Grâce à ses acquis professionnels, un individu peut demander des dispenses pour passer un diplôme de l'enseignement supérieur. Il peut ainsi passer une maîtrise sans avoir obtenu la licence. Seule une université peut lui accorder ce droit après examen de son dossier.

L'article L. 960-2 de 1988 du Code du travail ouvre aux branches la possibilité de définir et de valider des acquis professionnels. Les certificats de qualification professionnels voient le jour. La validation est placée sous la responsabilité des commissions paritaires nationales de l'emploi.

La loi du 20 juillet 1992 permet à un individu, grâce à la validation de ses acquis professionnels, de ne passer que quelques modules d'un diplôme de l'enseignement supérieur et de l'enseignement technique.

(1) Le secrétariat d'État envisage de mener avec les régions des « projets territoriaux de formation tout au long de la vie ». Il s'agit de mettre en réseau des services d'orientation professionnelle et de validation des acquis. Et de trouver les modalités de travail commun entre les services chargés de l'information et de l'orientation professionnelles, des bilans de compétences, de la validation des acquis et de l'aide à la construction d'un projet professionnel. Il se penche également sur la mobilisation croisée de différentes sources de financement en matière de formation des adultes (conseils régionaux, Opca, dispositifs destinés aux demandeurs d'emploi…) pour promouvoir des actions de formation qualifiante en direction des publics touchés par la précarité.

(2) Le Premier ministre a confié à Gérard Lindeperg, député de la Loire, la mission parlementaire d'analyser l'efficacité des partenariats institutionnels entre les acteurs de la formation.

Auteur

  • Sandrine Foulon

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