Les syndicats, le Medef, l'État, les CCI… Tous approuvent la formation tout au long de la vie et militent pour que les acquis professionnels soient pris en compte. Beau consensus, mais reste à répartir les rôles. Qui reconnaît, valide et certifie ?Et, surtout, quelle sera la véritable valeur d'échange de ces certifications, aussi nombreuses qu'impénétrables ? À travers la préparation de la réforme de la formation professionnelle, 1999 pourrait apporter quelques réponses.
« La validation des acquis n'est plus ce beau jardin à la française dont les allées étaient tracées par le seul diplôme. Elle a laissé la place à un véritable maquis. Tout le monde certifie tout le monde. Et personne ne s'y retrouve. » Bernard Liétard, maître de conférences à la chaire de formation du Cnam et auteur de plusieurs articles sur la reconnaissance et la validation des acquis, ne reconnaît plus le décor planté il y a un peu plus de dix ans.
Et pour cause. Jusqu'en 1988, date de la parution du décret autorisant les premiers certificats de qualification professionnelle de branche (CQP), le diplôme régnait en maître sur l'univers des formations initiale et continue. L'État, via les ministères de l'Éducation nationale, du Travail, de l'Agriculture…, était le seul habilité à définir les contenus des diplômes, mais également le seul à les délivrer. Les CQP, nés de la volonté de répondre à un déficit de qualification dans des secteurs d'activité pointus, sont ainsi les premiers à égratigner le sacro-saint monopole. La validation de ces certificats n'incombe plus à l'Éducation nationale mais aux commissions paritaires nationales de l'emploi (CPNE). Dans un contexte économique de crise, les pouvoirs publics ne sont pas restés sourds aux critiques concernant l'inadaptation de certains diplômes, assimilés à des « tickets d'entrée à l'ANPE ». Le souhait de coller au mieux aux besoins du marché, de réussir l'insertion des demandeurs d'emploi et des jeunes (via l'apprentissage ou les filières professionnelles), mais aussi de maintenir le niveau de qualification et l'employabilité des salariés, pousse les acteurs à multiplier les certifications.
Mais, en marge des trois certifications officielles possédant une légitimité sociale – les diplômes que l'on peut obtenir par la validation des acquis professionnels, les titres homologués délivrés par la Commission technique d'homologation interministérielle et, enfin, les CQP –, une kyrielle de nouvelles certifications arrive en rangs serrés. Les CCI viennent de se lancer dans l'aventure via les certificats de compétences en entreprise (CCE), des accréditations européennes des compétences issues du Livre blanc commencent à émerger, les modèles voisins (type National Vocational Qualifications, les NVQ britanniques) sont observés à la loupe et parfois transposés… Quand ce ne sont pas les entreprises elles-mêmes qui échafaudent leurs propres référentiels et développent leur diplôme maison. Et, pour compléter le tableau, chacun utilise ses propres termes et mélange les genres.
« Dans le processus de reconnaissance et de validation des acquis, on distingue trois grands objets : les repères (ou les référentiels), les acquis des individus et les prestataires chargés de l'évaluation. Et lorsque l'on nomme ces fameux acquis, on a tendance à confondre les premiers avec les derniers », analyse Anne-Marie Charraud, détachée du Cereq à la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, sans doute l'une des seules en France à naviguer à son aise dans le labyrinthe des certifications.
« On ne peut pas non plus les positionner en concurrentes, poursuit-elle. Sur le fond, les certifications sont l'aboutissement de besoins très différents et seraient plutôt complémentaires. »
Mais la tendance actuelle consiste à faire l'amalgame entre le marché de la formation et celui des certifications. Des systèmes non concurrentiels le deviennent tout simplement parce qu'ils captent les mêmes financements. Il est, par exemple, possible d'obtenir un CQP en se formant par alternance. Selon le groupement national des CIBC, la majorité des CQP attribués entre 1988 et 1995 a concerné des jeunes en contrat de qualification.
Résultat de cet embrouillamini, aucune certification ne connaît, pour l'heure, le succès escompté. Du moins quantitativement. Encore une fois impossibles à comparer, les chiffres ne font pas état d'une « explosion » de l'un ou de l'autre dispositif. Le récent rapport de Jean-Paul de Gaudemar, recteur de l'académie de Toulouse, sur la formation continue du XXIe siècle, évoque, pour l'année 1995-1996, 5 600 demandes de dispense de titre ou de diplôme pour accéder à une formation (selon l'esprit du décret de 1985) et seulement 750 demandes de validation des acquis professionnels accordées au titre de la loi de 1992 (qui valide un diplôme au regard des acquis professionnels). Et le rapport d'enfoncer le clou : « La timidité des organes de formation continue dans le recours à la validation des acquis. » L'année dernière, quelque 5 000 personnes ont obtenu une validation des acquis professionnels (VAP) sur 300 000 stagiaires en formation continue dans les établissements d'enseignement supérieur. Pionnière, l'université de Lille I traite un millier de dossiers par an. Les autres universités oscillent entre zéro et la centaine. Du côté des CQP, on ne peut évoquer de véritable décollage puisqu'ils sont créés pour répondre à des besoins précis et ponctuels. En 1998, près de 7 000 CQP ont été délivrés, ce qui porte le total à plus de 18 400 depuis 1988, répartis dans les quelque 300 CQP développés par les branches (notamment dans la métallurgie, la plasturgie, l'agroalimentaire). Globalement, sur l'année 1996, dernière année de référence, les diplômes de l'Éducation nationale représentaient 77 % de l'ensemble des certifications, contre 16 % pour les titres homologués et 1 % pour les CQP.
La reconnaissance, la validation et la certification des acquis et des compétences pourraient toutefois passer à la vitesse supérieure. Ça bouge du côté de l'Éducation nationale, qui veut donner un coup de fouet à la VAP. « Il ne s'agit plus de vaines intentions, souligne Marc Michel, responsable de la formation continue à l'université de Strasbourg II et vice-président de la conférence des directeurs de formation continue universitaire. Le message est relayé par les présidents d'université. Et des engagements sont pris lors des négociations de contrats d'établissement. La VAP entre désormais dans les critères d'éligibilité des objectifs que proposent les établissements. Une université souhaitant ouvrir un DESS à la formation continue sans VAP a toutes les chances de se retrouver recalée. » En 1998, un concours lancé par Claude Allègre, le ministre de l'Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie, a récompensé treize universités soucieuses de développer leur offre de formation continue, et notamment la VAP. Cette année, le ministère réédite l'opération via un appel d'offres. « Toute la difficulté réside dans la capacité de traduire l'expérience et les acquis professionnels en savoir universitaire, ajoute Marc Michel. Nous avons intégré en licence d'arts plastiques un bûcheron des Vosges qui avait une réelle pratique artistique mais qui ne possédait pas le bac. On doit pouvoir mesurer les acquis d'un cadre commercial qui a vécu dix ans en Angleterre et qui souhaite passer une licence d'anglais… Dans la VAP, il y a deux bouts de chemin à parcourir : celui de l'université vers l'entreprise et celui de l'entreprise vers l'université. Longtemps, l'enseignement supérieur a ignoré le monde de l'entreprise, ce serait dommage que celle-ci rejette l'université au moment où elle vit une mue extraordinaire. »
Pour autant, cette voie sera-t-elle empruntée par le Medef ? Les Journées de Deauville, centrées sur la compétence, thème désormais indissociable de la qualification, ne le laissent pas présager. Sans signer l'arrêt de mort du diplôme, l'organisation patronale remet en cause la place de l'Éducation nationale dans la validation et la certification des compétences. « Le moment est venu de clarifier les rôles, souligne Alain Dumont, directeur du groupement de propositions et d'action formation au Medef. Il n'existe pas de véritables qualifications ni de travail sur les compétences sans les partenaires sociaux. Qui mieux que ces derniers peuvent construire des référentiels de métiers ? Et peu importe si ces qualifications sont obtenues par la formation initiale ou l'expérience en entreprise. L'école ne peut pas se déployer sur tous les fronts et encore moins sur la qualification professionnelle des salariés tout au long de la vie. »
Un avis que ne partage pas l'Éducation nationale et encore moins Nicole Péry, secrétaire d'État à la Formation professionnelle, qui vient de publier son diagnostic. L'un des grands enjeux de la réforme à venir concerne justement la reconnaissance des acquis professionnels (voir interview). « Je comprends la revendication du Medef, rétorque Marc Michel. L'entreprise est effectivement la mieux à même de valider des acquis professionnels mais par rapport à elle seule. » Les titulaires d'un CQP peuvent-ils revendre leur « passeport » à l'extérieur ? Et les universitaires de plaider pour la reconnaissance sociale du diplôme et, surtout, pour la collaboration entreprise-enseignement supérieur dans une optique à long terme. « La richesse de l'université est de posséder des enseignants chercheurs », poursuit Marc Michel. Et de citer les réussites de la Silicon Valley ou de l'université de Karlsruhe (Allemagne) où les entreprises côtoient les campus.
Dans la lutte de pouvoir qui va opposer l'Éducation nationale au Medef, les syndicats restent pour leur part vigilants. « Nous ne privilégions pas la VAP ou les CQP, avance Jean-Michel Martin, responsable du secteur formation à la CFDT. Nous sommes surtout attentifs à garantir des droits aux salariés. La VAP (loi de 1992) n'est pas intégrée au Code du travail. Or cela aurait pu ouvrir des droits aux salariés. Les CQP reconnus dans les classifications des conventions collectives ne fonctionnent pas selon des directives précises. Un flou entoure leur contenu. » À la CGT, même souci de mettre à plat le système existant et de trouver des complémentarités. « Pas question d'inventer une machine de guerre contre les diplômes, souligne Jean-Michel Joubier, animateur du secteur formation initiale et continue. L'enjeu social de la certification est de se faire reconnaître pour ce qu'on est et pour ce qu'on vaut. Qui valide, qui garantit ? Et comment restructure-t-on de nouvelles grilles qui offrent des assurances aux salariés ? » Pour l'heure, le chantier est à construire. « Impossible de désigner un seul acteur qui trancherait. De nouvelles complémentarités, un langage commun sont à trouver, souligne Anne-Marie Charraud, qui plaide pour davantage de lisibilité. Et, surtout, il est urgent de mettre en place un service public d'orientation sur les certifications qui permettrait aux salariés de se repérer et d'opter, selon le cas de figure, pour le meilleur dispositif. »
Difficile de trouver plus consensuel que Christian Cogez, responsable de la formation à Cerplex, une société d'outsourcing bureautique et informatique à Neuville-en-Ferrain (Nord). « D'une activité production – Cerplex a racheté une ancienne unité de production de Xerox en 1996 –, nous avons évolué vers le service. Cela a supposé la mise en place d'un plan de formation sur quatre ans (financé par le FSE et le capital temps-formation). Nos personnels possédaient des compétences en électrotechnique et en électromécanique. Et nous avions besoin de les compléter par la micro-informatique et l'électronique. Nous avons ainsi réfléchi au type de formation et de validation que l'on souhaitait mettre en place sans privilégier l'un ou l'autre des dispositifs. » Cerplex a ainsi jeté son dévolu sur des formations lourdes et diplômantes et des CQP selon les populations. « L'objectif était d'adapter les contenus de formation les plus pertinents à nos besoins à court et à moyen terme. On ne connaissait pas toujours avec précision le produit spécifique de nos clients. Nous avons donc décidé d'anticiper en formant des salariés aux techniques de base en électronique, via des BTS par exemple. Quitte, ensuite, à ajouter une petite formation complémentaire sur tel ou tel produit. »
Se former pour être plus employable
Cerplex a proposé à ses opérateurs et à ses agents techniques de production le CQP de la métallurgie de réparateur en électronique. Les techniciens ont pu passer un brevet professionnel en électronique. La VAP a été utilisée pour les BTS en électronique. « De nombreux techniciens parlent anglais, ils ont donc été dispensés de cette matière », poursuit Christian Cogez, qui a noté une forte motivation des salariés (tous volontaires) lorsque le diplôme se trouve à la clé.
« Accepter une formation requiert un investissement personnel important. C'est presque un choix de famille. Mais qui garantit l'employabilité. Et le diplôme, à tort ou à raison, reste une monnaie d'échange sur le marché du travail. » Même si, confrontés au choix de suivre un BTS ou une certification Microsoft, certains salariés ont opté pour la seconde, jugeant qu'elle était davantage monnayable.
La Fnaim fait partie des adeptes de la VAP. La fédération a tablé sur le diplôme pour former des directeurs d'agence. L'année dernière, en partenariat avec l'Essec, mais aussi avec l'Edhec, l'EM Lyon, l'IAE de Poitiers et l'ESC Nantes Atlantique, la fédération de l'immobilier, qui compte 7 000 patrons (dont la moitié dans des microstructures de trois salariés), a monté un DESS qui s'appuie largement sur la VAP. « Tirer la profession vers le haut constituait l'un de nos objectifs prioritaires, explique Jean-Louis Labau, président de la commission formation professionnelle de la Fnaim. Nombre de directeurs d'agence possèdent des connaissances techniques et professionnelles acquises sur le terrain. Il fallait les mettre au diapason des nouveaux managers, souvent diplômés, leur permettre d'évoluer et de diriger des équipes plus importantes. » Plus de 500 cadres ont déjà été formés. Grâce à la VAP, le système offre une certaine souplesse, accentuée par les modalités de la formation via les nouvelles technologies (CD-ROM, visioconférences…).
Le souci de revalorisation de la profession a également incité la CGEA (filiale de Vivendi) à mener une politique d'apprentissage avec les branches professionnelles et l'Éducation nationale. En 1994, l'entreprise spécialisée dans le transport de personnes, les déchets et le nettoyage industriel a opté pour des CAP accessibles en formations initiale et continue, via la VAP. « Le diplôme a été conçu par et pour des professionnels, souligne Françoise Cirot, responsable du développement social du groupe. Dans un contexte réglementaire de plus en plus strict avec des métiers en évolution, nous avons besoin de salariés formés à ces nouvelles exigences. Et, pour une population d'ouvriers, le diplôme garantit la reconnaissance sociale. » Aujourd'hui, plus d'une centaine d'opérateurs sont en passe d'obtenir leur CAP via la VAP. Leur nouvelle qualification ne donne droit à aucune revalorisation salariale mais joue, selon Françoise Cirot, comme un accélérateur de carrière. « Le diplôme leur redonne confiance. »
Les beaux jours du coïnvestissement
Mais nombreuses sont les entreprises qui n'ont pas le temps de se pencher sur l'ensemble des dispositifs et qui misent sur les plans de formation internes. À l'image d'Unimétal, 1 250 salariés. La filiale d'Usinor s'est lancée dans une démarche compétences depuis cinq ans. « Nous avons créé des référentiels et nous pratiquons des entretiens professionnels tous les dix-huit mois qui débouchent sur des parcours d'évolution de carrière, souligne Guy Rouvière, directeur du développement des RH. Cette méthode offre de la souplesse et permet à toutes les populations de l'entreprise, hormis les cadres et les ingénieurs – soumis à des objectifs –, de se faire “valider” une compétence et de progresser. Cette logique de poste s'avère beaucoup plus enrichissante. » Libre sans doute aux salariés de prendre sur leur temps de loisir s'ils souhaitent compléter, ou acquérir, une formation susceptible de les faire rebondir. Le coïnvestissement, voire l'investissement tout court du salarié, a de beaux jours devant lui.