logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Débat

Comment rédiger la seconde loi sur les 35 heures pour doper les créations d'emplois ?

Débat | publié le : 01.04.1999 |

La seconde loi Aubry fait l'objet de nombreuses spéculations. Patronat et syndicats affûtent déjà leurs armes en vue du débat parlementaire qui se tiendra à l'automne. Le gouvernement devra alors élucider de nombreuses inconnues : smic, heures supplémentaires, sort des cadres, montant des aides… Mais à quelles conditions la seconde loi pourra-t-elle avoir un effet significatif sur l'emploi ? La réponse de trois experts.

« La réduction doit s'appliquer au plus grand nombre, dans des conditions financières équilibrées. »

DOMINIQUE TADDEI Professeur à l'université de Paris nord et membre du CAE

La première loi sur la réduction du temps de travail, malgré un mécanisme d'incitations financières moins favorable, aura déjà permis d'obtenir un plus grand nombre d'emplois créés que par la loi Robien.

De nombreuses entreprises ont, en effet, préféré anticiper le passage à une durée légale de 35 heures, démontrant que la loi, loin de s'opposer aux négociations, les favorise.

Mais, pour la grande majorité d'entre elles, le lien entre cette réduction et la création d'emplois reste encore à établir et c'est le sens principal de la seconde loi qui sera débattue à l'automne.

Pour cela, il convient que la réduction s'applique au plus grand nombre et qu'elle se fasse dans des conditions financières équilibrées. Afin d'être effective pour le plus grand nombre, la limitation des heures supplémentaires est évidemment la condition préalable : il n'y aurait aucune création d'emplois si les horaires effectifs restaient inchangés, comme l'a rappelé par l'absurde le pseudo-accord UIMM. De façon à laisser aux entreprises la souplesse nécessaire, les règles actuelles (25 % de surrémunération, plafond légal de 130 heures…) pourraient être maintenues. Pour obtenir le plus de créations d'emplois, le législateur pourrait prévoir leur paiement en repos compensateur, suivant des modalités qui seraient arrêtées par les partenaires sociaux.

Le temps de travail de tous les cadres doit être également réduit de 10 %, en tenant compte des difficultés d'évaluation hebdomadaire de leur activité. Pour la grande majorité d'entre eux, on doit pouvoir raisonner en jours par an, voire en semaines, sur deux ou trois ans, à l'aide du compte épargne temps. Le changement de nature du temps partiel subi en temps réduit choisi est sans doute la mesure la plus essentielle. Ceci suppose de réintégrer ces salarié(e)s dans les collectifs de travail, en soumettant les aides publiques à des accords collectifs. Ces derniers pourraient notamment prévoir les conditions de retour à une pleine activité, comme c'est le cas aux Pays-Bas.

On verrait alors se développer plus rapidement un temps choisi aux antipodes de la nouvelle pauvreté, qui concerne aujourd'hui principalement les smicardes à temps partiel.

La réduction doit se faire dans des conditions financières assurant à la fois le maintien des salaires et la compétitivité des entreprises. La stabilité du pouvoir d'achat des plus démunis impose une augmentation du smic horaire de 11,4 %. Le soutien apporté à la consommation est le meilleur garant de la poursuite de la croissance. De façon à ne pas nuire à la compétitivité internationale des entreprises, le régime des « ristournes publiques » permanentes devra concerner toutes les entreprises pratiquant les 35 heures ou moins par un dispositif unique du type 1 250 francs par heure au-dessous de 39, qu'elles aient réduit leurs horaires du fait de la loi Aubry, de la loi Robien ou de leur propre initiative. Ceci s'ajoutera à la modération salariale déjà mise en œuvre et aux gains de productivité obtenus par les réorganisations négociées.

À ces conditions, l'ensemble des deux lois ouvre la voie à la création d'au moins 200 000 emplois par an pour les années à venir. Mais la loi ne sera qu'un démarreur, ce sont les négociations collectives qui en seront le moteur.

« Les charges devront être allégées pour éviter une hausse du coût du travail. »

MICHEL DIDIER Professeur au Conservatoire national des arts et métiers

Le malentendu sur les 35 heures se poursuit. Il porte maintenant sur le nombre des emplois « créés ».

Il est prévu que la seconde loi tire les enseignements des accords conclus. Les pointages de la CFDT (qui incluent les accords Robien) montrent que la moitié des accords porterait sur la durée hebdomadaire, un peu moins de la moitié sur la durée annuelle. Il s'y ajouterait des congés supplémentaires et des semaines de quatre jours. La conclusion pour la seconde loi est qu'elle devrait reconnaître le droit à la diversité et donc, bien sûr, respecter les accords conclus.

Une deuxième question est l'imbroglio du croisement de la loi sur le smic et de la modification de la durée légale, qui souligne une fois de plus les incohérences auxquelles conduit une économie surréglementée. Il y a aujourd'hui un très large consensus des économistes sur l'idée que tout ce qui aboutirait à une hausse du coût du travail des salariés moins qualifiés serait particulièrement néfaste à l'emploi. La seule façon d'éviter ce risque est d'alléger les charges sociales. Mais il faut aussi éviter tout système complexe. C'est l'occasion d'instaurer un système simple et général de franchise de charges sociales.

Le troisième problème concerne les fameux contingents d'heures supplémentaires ouvrant droit à un repos compensateur. Sur ce point, le malentendu risque d'être total. Les partisans du partage du travail (qui oublient presque toujours qu'il peut aussi y avoir moins de travail au total à l'arrivée) vont plaider pour un abaissement des contingents. Je pense, pour ma part, que les contingents légaux ont d'autant moins de fondement qu'il existe par ailleurs une durée maximale du travail, la seule qui ait un fondement social légitime.

Les contingents actuels pourraient être purement et simplement remplacés par l'instauration d'une durée « légale » annuelle du travail, ou au moins laissés à la négociation professionnelle.

Sur la question des cadres, là encore, l'uniformité nuit à l'emploi. La mesure de la durée du travail est de moins en moins significative pour une large partie des travailleurs, notamment des intellectuels ou des commerciaux. Il est certain qu'il y a des cadres qui ont aujourd'hui des horaires anormalement élevés dans des cabinets de services, mais il serait illusoire d'espérer une croissance « à l'américaine », fondée sur l'innovation et l'initiative, et de considérer qu'en France le dynamisme des porteurs de croissance doit s'arrêter chaque semaine à la 36e heure. Là encore, c'est moins la notion de cadre que la nature de la fonction et du travail qui sont en cause. La seconde loi devrait laisser le maximum de souplesse et de temps pour trouver des réponses adaptées à une réalité professionnelle diversifiée. Sinon, dans un monde très ouvert, le risque serait de voir les individus qui ne demandent qu'à réussir et à travailler aller là où sont réunies les conditions de la réussite. Or ces conditions sont aussi celles de la création d'emplois.

« La loi doit fixer la durée légale à 32 heures, qui est davantage créatrice d'emplois. »

PIERRE LARROUTUROU Président de 4 Jours-Nouvel Équilibre

Les 35 heures font la preuve de leur inefficacité. En 1997, le gouvernement affichait l'objectif de 700 000 créations d'emplois. Aujourd'hui, les députés socialistes n'en envisagent plus que 250 000. Pour tenter de masquer l'échec, les promoteurs de la loi incluent dans leurs statistiques les emplois générés par les accords Robien. Jusqu'où ira-t-on pour nier l'évidence ? Les 35 heures créeront peu d'emplois parce qu'il s'agit d'une demi-mesure techniquement inachevée et politiquement non assumée. L'extension de l'accord textile a démontré que le gouvernement ne s'opposait pas au passage du contingent d'heures supplémentaires de 130 à 175 heures dans les entreprises. Conséquences : une réduction du temps de travail de 12 minutes hebdomadaires et aucune création d'emplois. Ces signaux symbolisent la dérive des 35 heures vers les 38 heures payées 39.

Il est donc urgent de changer de cap pour ne pas reproduire l'erreur de 1982 et montrer que la gauche s'est enfin modernisée. Aux Pays-Bas, la durée moyenne du travail ne s'élève plus qu'à 31,7 heures. En France, elle demeure à plus de 37 heures, alors que pour produire 1,6 fois plus qu'en 1974, il faut 12 % d'heures de travail en moins (34 milliards d'heures en 1998, au lieu de 38 milliards en 1974).

Pour répondre enfin à cette évolution structurelle, la seconde loi doit fixer la durée légale à 32 heures et réduire fortement le contingent d'heures supplémentaires. Les 200 entreprises passées à 32 heures sur quatre jours dans le cadre de la loi Robien ont accru leurs effectifs de 17 % en moyenne. Un accord 32 heures se révèle deux fois plus créateur d'emplois qu'un accord 35 heures. Or les incitations financières du dispositif Aubry découragent le passage aux 32 heures.

Pour financer un mouvement général vers les 32 heures, les 7 milliards de francs mis sur la table par le gouvernement en 1999 ne sont évidemment plus suffisants. Il faut donc revenir à une idée de bon sens défendue notamment par la CFDT : l'activation des dépenses passives de l'Unedic. Mieux vaut utiliser une partie substantielle des 120 milliards de francs de l'Unedic pour remettre les allocataires au travail que de financer le non-emploi. Une négociation entre l'État et les partenaires sociaux devrait s'engager rapidement sur ce point. Nous proposons, pour lancer le débat, une idée simple : que les entreprises passant à 32 heures et embauchant 10 % de personnel supplémentaire en CDI soient exonérées de cotisations Unedic sur l'ensemble de leur effectif. Cela revient à diminuer définitivement les charges de 8 % !

Compte tenu des gains de productivité générés par la réorganisation du travail, le coût pour l'entreprise s'élève à 3 %. C'est à la négociation engagée dans chaque entreprise de répartir ce surcoût entre les acteurs. Pour la faciliter, l'État pourrait utiliser les 7 milliards de francs initiaux pour garantir les revenus à hauteur de 9 000 francs.

Voilà ce que le gouvernement pourrait proposer aux partenaires sociaux après un grand débat national. Seule une réduction massive et intelligemment financée peut casser la spirale du chômage, améliorer sensiblement la qualité de vie des salariés et relancer la citoyenneté.