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Les entreprises s'entrouvrent aux littéraires

Les pratiques | publié le : 27.04.2010 |

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Les entreprises s'entrouvrent aux littéraires

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Chantier pour certains, faux problème pour d'autres, le recrutement des diplômés en sciences humaines reste l'exception dans les entreprises. Une situation qui commence à évoluer.

Souvent, on les compte sur les doigts de la main dans les embauches annuelles de jeunes diplômés. Les titulaires de diplômes en LSH (Lettres et sciences humaines) sont moins visibles des entreprises, plus coupées d'elles, et moins recherchés que les étudiants sortis d'écoles de commerce, d'ingénieur ou encore de filières scientifiques et techniques. Difficile cependant d'avoir des chiffres précis. Selon l'enquête Génération 2004 menée par le Centre d'études et de recherche sur les qualifications (Cereq), qui retrace le parcours professionnel de jeunes sortis diplômés cette année-là, le taux de chômage des diplômés en LSH, entre bac + 2 et bac + 4, est toujours légèrement supérieur à ceux des filières scientifiques, mais il tend à s'équilibrer aux niveaux master et doctorat. Un indicateur certes, mais qui ne répond pas à la question de leur intégration dans les entreprises.

Une logique de diversification

D'après les DRH, celle-ci serait de plus en plus à l'ordre du jour. Non pas que l'entreprise n'ait jamais fait de place à ce type de profils. Jusqu'ici, certains métiers (RH, communication) y étaient plus ouverts que d'autres, à condition souvent d'avoir une formation spécifique, en complément du cursus initial. Le changement réside dans la possibilité offerte aux littéraires par certaines entreprises de les intégrer dans des métiers traditionnellement réservés à d'autres diplômés, comme les postes commerciaux. Le tout dans une logique de diversification, et non pour anticiper une pénurie de recrutement, à l'exception du secteur de l'assurance. « Avec la crise, plus personne ne parle du choc démographique, souligne Vincent Merle, titulaire de la chaire Travail, emploi et acquisitions professionnelles au Cnam. Recruter ces profils ne relève donc plus d'une ardente nécessité, mais plutôt d'un investissement. »

Cette ouverture aux diplômés en lettres ou sciences humaines vise à répondre aux défis de transformation auxquelles sont soumises les organisations. De façon unanime, les DRH reconnaissent aux diplômés de sciences humaines d'évidentes qualités dans le domaine. « Ces jeunes sont appréciés pour leur culture générale, leur esprit de synthèse et leur capacité de rédaction », témoigne Michel Papin, DRH adjoint d'HSBC France. « La culture générale aide à prendre le recul nécessaire compte tenu de la complexité des entreprises et de leur évolution », renchérit Marie-Carole Lecercle, directrice du recrutement chez Axa France. Egalement citées, l'aisance relationnelle et la capacité à comprendre les relations humaines. Enfin, les recruteurs soulignent leur degré de motivation, lié, selon eux, à leur volonté de se réorienter.

Programmes dédiés

Rares cependant sont les entreprises qui mettent en place des programmes de recrutement ou de formation dédiés, pour accueillir ces jeunes diplômés. Depuis 2007, une dizaine se sont regroupées à l'initiative de PricewaterhouseCoopers au sein de l'Opération Phénix afin de favoriser ces recrutements. L'idée : ouvrir certains postes à de jeunes diplômés en master 2 décidés à changer d'orientation, en leur offrant au préalable une formation commune de 350 heures sur les fondamentaux de l'entreprise. Le programme associe, par ailleurs, une dizaine d'universités, chargées de valider les dossiers et de préparer les candidats. Plusieurs banques se sont engagées dans l'aventure, comme HSBC, qui propose, à l'issue du programme, des postes de conseiller commercial. « L'ouverture vers ces autres profils est intéressante pour la clientèle, mais aussi pour les managers et les équipes », témoigne Michel Papin. Dans ce cas, le cycle de formation est un peu plus chargé que pour les autres diplômés. « Nous ne voulons pas mettre ces jeunes en situation de risque au moment de la prise de poste », explique le DRH. D'autres entreprises font le choix de traiter de la même façon les nouveaux arrivants. « Nous n'avons pas ouvert de formation spécifique, et les postes que nous proposons aux diplômés Phénix existent en amont, souligne Marie-Carole Lecercle. Notre politique de mobilité fait que nos managers ont l'habitude de former de nouvelles personnes. » Chez Axa, les candidats Phénix ont majoritairement été recrutés sur des métiers support et d'expertise, c'est-à-dire d'un bon niveau.

Un autre dispositif a vu le jour, à la même époque, grâce aux efforts de Sciences Po et du Cnam. Le dispositif Elsa (Etudiants en lettres et en sciences humaines en alternance) vise à inciter les entreprises à proposer des contrats de professionnalisation à de jeunes diplômés en LSH, de niveau licence, masters 1 ou 2. Chaque parcours, qui contient 250 heures de formation, est bâti sur mesure en fonction de l'étudiant et du poste ciblé. « Les entreprises comprennent que les parcours en alternance constituent la meilleure façon d'intégrer les jeunes diplômés », indique Vincent Merle, pilote du dispositif pour le Cnam.

Méconnaissance réciproque

Mais quel que soit le dispositif, les chiffres parlent d'eux-mêmes : en quatre ans, 92 jeunes ont été recrutés via Phénix, et 45 contrats signés via Elsa. Une goutte d'eau au regard des centaines de jeunes diplômés recrutés chaque année par les entreprises. Et cette proportion est la même à des niveaux de formation plus élevés. « Très peu d'entreprises intègrent les sciences humaines dans leur pôle R & D, explique Amandine Bugnicourt, cofondatrice d'Adoc talent management, un cabinet spécialisé dans le placement des docteurs. Un chercheur sur cent en entreprise est issu d'une formation en sciences humaines. » Souvent pointée du doigt, la méconnaissance réciproque entre diplômés de filières LSH et recruteurs explique en partie cette situation. « Beaucoup de candidats potentiels n'imaginent pas qu'ils peuvent postuler dans nos entreprises, souligne Stéphane Roussel, DRH monde de Vivendi. Ils n'en connaissent pas les codes et n'y sont pas préparés ; certaines formations sont encore trop déconnectées du monde de l'entreprise. » Titulaire d'un diplôme de psychologue, le DRH milite pour une reconnaissance des parcours personnels, au-delà de « la tyrannie des diplômes », tout en soulignant le faible nombre de candidatures issues des formations LSH.

Reste cependant à engager dans les entreprises un travail d'explication. « Au-delà des discours, quand il faut prendre une décision de recrutement, il y a souvent un repli sur les vieux réflexes », témoigne Vincent Merle. « Il est vrai que sans l'Opération Phénix, nous n'aurions pas pensé à retenir la candidature d'une personne diplômée en histoire médiévale pour un poste en protection juridique », reconnaît Marie-Carole Lecercle chez Axa. « La communication va plus vite que les faits dans les entreprises, mais les mentalités évoluent », résume Amandine Bugnicourt. La preuve, un groupe de travail ad hoc sur la question a été lancé par le Ministère du Travail.

L'essentiel

1 Quelques entreprises commencent à recruter des diplômés en lettres et sciences humaines sur des postes traditionnellement réservés à d'autres profils, notamment commerciaux.

2 Les recruteurs leur reconnaissent des compétences spécifiques, comme les qualités relationnelles, l'aisance à l'écrit ou la culture générale, qui leur permettent de diversifier les profils de l'entreprise.

3 Néanmoins la proportion d'embauches des littéraires reste marginale, à cause d'une méconnaissance réciproque entre les entreprises et les jeunes diplômés de ces filières.