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Enquête

« La portabilité risque de tuer le DIF »

Enquête | publié le : 27.04.2010 |

Pour Thierry Vaudelin, responsable formation chez Manpower, le paradoxe est que la portabilité risque d'être fatale au DIF : les entreprises «passant le bébé» aux Opca qui n'ont pas les moyens de le financer.

E & C : Où en est votre pratique du DIF ?

T. V. : Les 4 000 salariés permanents de Manpower ont formulé très peu de demandes. 166 DIF financés en 2008, 222 en 2009. Les compteurs sont donc quasiment pleins. Selon nos calculs, si l'entreprise attribuait 20 heures de DIF par an, sur le temps de travail, par salarié permanent, cela représenterait un coût équivalent à 4 % de la masse salariale. Cela ne peut venir en surplus du plan. Les entreprises ne se sont pas empressées de dégonfler les compteurs.

E & C : Et du coté des intérimaires ?

T. V. : Nous comptons plus de 1 000 DIF intérimaires réalisés par an. Le secteur du travail temporaire a la particularité d'avoir signé un accord de branche spécifique dès 2002 instituant un DIF-intérimaires transférable en partie à l'intérieur de la branche, mais pas à l'extérieur. Cet accord implique que les entreprises versent 5 % de leur budget plan de formation pour financer ces DIF. Il prévoit également une formule de calcul aux droits qui aboutit à peu près à un doublement des heures de DIF, par rapport au DIF de droit commun inventé par la réforme de 2004. Ainsi, chez Manpower, en 2009, entre 15 000 et 20 000 intérimaires ont été ayant droits pour 40 heures de DIF. Au niveau de l'ensemble de la profession, c'est énorme. Si le DIF-intérimaires transférable dans la branche devait devenir un DIF portable de droit commun, je crains que les personnels intérimaires ne perdent des droits et que ce soit financièrement explosif pour les entreprises. Mais le débat existe dans la branche.

E & C : Quel est votre budget formation ?

T. V. : Il est calculé sur l'intégralité des masses salariales permanents et intérimaires. En matière de consommation, 80 % des fonds sont attribués aux intérimaires et 20 % aux permanents : soit environ 4 millions d'euros pour les permanents, et 20 millions d'euros pour les intérimaires ; 70 % des formations intérimaires portent sur des niveaux V et infra.

E & C : Que pensez-vous du principe de portabilité du DIF ?

T. V. : Paradoxalement, hélas, je crains que la portabilité du DIF ne mette fin au DIF ! J'ai le sentiment que la majorité des entreprises sont aujourd'hui avec des compteurs à 120 heures, que personne ne peut financer : ni elles, ni les Opca. Les entreprises ont donc intérêt à ne surtout pas vider les compteurs, car ils se réalimentent, et c'est un cercle sans fin. Certes, quand le salarié le demande, l'entreprise gère et l'accorde le plus souvent, éventuellement sur les fonds des Opca destinés à la professionnalisation ; mais, sinon, elle a intérêt à laisser le DIF à la portabilité. Le poids se reporte, donc, sur les collecteurs, qui risquent de ne pas avoir les moyens d'honorer la demande ; d'autant plus que leur budget est amputé, au profit du FPSPP, de 13 % des obligations légales versées.

Par ailleurs, la portabilité de ce droit d'initiative est quand même très complexe. Il faut gérer les DIF «sortants» de l'entreprise et ceux «entrants» dans l'entreprise durant deux ans. Deux compteurs DIF seront donc nécessaires durant deux ans : le compteur de l'acquis dans l'ancienne entreprise, et celui de l'acquis dans l'entreprise nouvelle depuis l'entrée. Ils ne sont pas cumulables, même si leur déclenchement et leur utilisation peuvent être simultanés. De ce point de vue, la réforme n'a rien simplifié du tout.

Enfin, quoi qu'il en soit, 120 heures maximum de DIF multipliées par 9,15 euros, ça ne fait jamais que 1 098 euros : que faire en formation avec une telle somme ? Le salarié va-t-il payer la différence de sa poche ? L'entreprise ? L'Opca ? Pôle emploi ?

De plus, socialement, que de nouveaux embauchés aient plus de droit en pratique que d'anciens salariés ne sera pas simple à gérer.

E & C : Etes-vous de ceux qui estiment que le DIF devrait systématiquement être utilisé lors des premières heures de formation du plan, quitte à ce que les heures non utilisées soit mieux valorisées financièrement ?

T. V. : Dans certaines entreprises, on assiste déjà à des négociations au cas par cas pour que les 20 premières heures de formation soient prises sur le DIF. Faut-il le systématiser ? Je ne sais pas.

Je pense que les Opca se fixeront des enveloppes et, quand elles seront consommées, ce sera fini. Mais ce financement ne peut profiter qu'à un très petit nombre de DIF portables.

Au final, si on cumule la crise + la complexité + la réduction des budgets des collecteurs et des entreprises, je crains que les moins formés dans les entreprises ne soient les premiers à pâtir de cette réforme, comparativement aux hauts potentiels qui seront toujours soutenus par leur entreprise. Alors que l'objet de la réforme est d'orienter les fonds vers ceux qui en ont le plus besoin, notamment les demandeurs d'emploi, les publics peu ou pas qualifiés...

E & C : Y voyez-vous un risque de bombe sociale ?

T. V. : La frustration devant le manque de financement risque d'être réelle, mais je ne vois pas de bombe sociale en gestation.

MANPOWER FRANCE

Activité : travail temporaire.

Effectifs : 4 750 collaborateurs permanents ; 115 000 collaborateurs intérimaires en poste chaque jour.

Chiffre d'affaires 2008 : 47,7 milliards d'euros.