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« Le présentéisme induit des coûts méconnus »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 27.04.2010 |

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« Le présentéisme induit des coûts méconnus »

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Le présentéisme recouvre tous les moments où un salarié est présent physiquement au travail, mais absent mentalement. Ce phénomène, souvent lié en partie au stress, est insuffisamment pris en compte, alors qu'il a un coût. La solution est dans la prévention globale de la santé.

E & C : Lors des conférences que vous animez, vous alertez les entrepreneurs sur un phénomène qu'ils méconnaîtraient : le présentéisme. De quoi parlez-vous exactement ?

David Gold : Contrairement à ce que l'on pense parfois, le présentéisme n'est pas le fait d'être présent sur son lieu de travail un nombre excessif d'heures. Ce mot qualifie plutôt ce qui se passe dans les moments de la journée où le salarié est présent physiquement, mais pas totalement sur le plan mental. Peu importe la récurrence de ces moments. Dès qu'il prend son poste alors qu'il est malade, déprimé, angoissé, épuisé ou encore stressé, il n'est pas productif à 100 %, mais peut-être à 5 ou 10 %. Ce « manque de présence » peut provenir de problèmes de santé, familiaux, mais aussi, souvent, professionnels ; dans ce cas, ils sont liés à une trop forte pression.

Si le phénomène est difficile à appréhender, on estime que le nombre de journées de travail ainsi perdues serait dix fois plus important que celles imputables à l'absentéisme. Dès que les indicateurs montrent une baisse de la productivité, il faut se poser la question du présentéisme et de ses causes possibles : outre les problèmes personnels, un manager peut se demander si le salarié a une trop forte demande sur les épaules, une forte charge de travail associée à un manque de contrôle sur ses missions et peu de soutiens sociaux, qui sont les trois facteurs majeurs du stress. La personne elle-même peut aussi repérer des changements dans son propre comportement : début d'une consommation de tabac ou d'alcool, apparition de troubles du foie, obésité... Chacun réagit différemment.

E & C : Ne s'agit-il pas de fluctuations dans l'implication au travail inhérentes à la nature humaine ? Quels sont les risques ?

D. G. : Un employeur devrait voir son salarié comme un investissement. Si celui-ci est présent sans être productif à 100 %, l'entreprise ne perd pas autant qu'en cas d'absence, mais elle perd tout de même. Si le présentéisme est souvent une conséquence du stress, il peut aussi en être une cause. Ainsi, lorsqu'un salarié se trouve dans cette situation, les collègues de son équipe doivent pallier ses manques et risquent d'être stressés à leur tour. Enfin, le présentéisme est dangereux pour la sécurité, car il peut générer des accidents du travail. Ceux-ci induisent à leur tour des coûts.

J'ai ainsi mis au point, en tant que haut-fonctionnaire au Bureau international du travail (BIT), le programme Solve (ou comment traiter les problèmes psychosociaux au travail) pour lequel j'anime toujours des formations dans de nombreux pays, comme récemment au Lesotho, dans le sud de l'Afrique. Il s'agit de traiter de manière globale les problèmes de stress, de consommation de drogues, d'alcool et de tabac, de violence et de sida. Sur le continent africain, le taux de personnes séropositives est élevé et la discrimination a une forte influence sur le présentéisme, voire sur la présence au travail : les malades pensent à leur maladie, sont souvent absents pour des soins, et leurs collègues ont peur de travailler auprès d'eux... malgré toutes les informations sur les modes de transmission. Tous ces problèmes ont un effet cumulatif et ne peuvent être abordés isolément.

E & C : En quoi consiste la prévention du présentéisme ? Quelle est la légitimité de l'employeur sur des sujets touchant à la vie privée ?

D. G. : Il est de la responsabilité de l'employeur de protéger la santé de ses travailleurs. Il doit donc agir en terme de prévention... même s'il ne pourra, bien sûr, jamais agir sur tous les problèmes, notamment familiaux. Mais il peut influer sur une bonne partie d'entre eux avec un programme de prévention santé et de bien-être au travail. Ces deux notions sont d'ailleurs liées dans la langue anglaise.

Le premier travail - et le plus efficace - relève de la prévention primaire : la diffusion d'un questionnaire aux salariés doit permettre de les faire réfléchir sur leur style de vie, leurs habitudes en matière d'alimentation, d'activité physique, de sommeil, de safe sex, leur état de santé, leur niveau de stress et leur manière de le gérer... Le dirigeant de l'entreprise peut aussi faire utiliser des aliments sains au restaurant d'entreprise ou encore proposer des moyens en faveur de l'activité physique : prise en charge de tout ou partie d'un abonnement à un club de fitness, temps accordé pour la pratique d'un sport, etc. Une heure de natation ou de course à pied diminue nettement le stress et rend, ainsi, plus disponible au travail. Un cercle vertueux s'enclenche alors.

Les employeurs américains ont clairement dix ans d'avance sur l'Europe en matière de prévention santé, car, jusqu'à présent, ce sont eux qui paient l'assurance santé de leurs employés. Il a ainsi été évalué que chaque dollar investi dans un tel programme apporte un retour sur investissement moyen de 3,50 dollars. Ce dernier est enregistré grâce à une augmentation de la productivité et à une baisse des coûts liés à l'absentéisme et au présentéisme. Tout le monde y gagne : l'entreprise, le salarié et la société.

En matière de prévention secondaire, c'est-à-dire de sensibilisation des personnes ayant déjà eu des alertes métaboliques (hypertension, cholestérol, prise de poids, etc.), un programme de sensibilisation peut leur éviter de développer un diabète de type 2 ou une maladie cardio-vasculaire. Enfin, la prévention tertiaire, auprès des malades chroniques, consiste en un accompagnement étroit et individualisé. Au quotidien, les managers peuvent aussi prendre cinq minutes le matin pour discuter avec leur équipe de la journée à venir. Ainsi, chacun des collaborateurs se sentira plus impliqué, détendu, et attentif à ce qui se passe. Tous les acteurs de l'entreprise doivent être vigilants face au risque de présentéisme.

PARCOURS

• David Gold a été, pendant vingt-trois ans, haut-fonctionnaire au BIT (Bureau international du travail). Il anime aujourd'hui des formations et conférences dans le monde entier.

• Il est titulaire d'un doctorat en ingéniérie de la sécurité et santé au travail (université de Tampere, Finlande) et d'une maîtrise en éducation professionnelle (université du New Hampshire, Etats-Unis).

LECTURES

Le stress au travail, Patrick Légeron. Editions Odile Jacob, Paris, 2003.

Gérer les problèmes émergents liés à la santé dans le monde du travail, Vittorio de Martiono, David Gold, Annette Schapp. BIT. Genève, 2006.