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Quand les entreprises recrutent en banlieue

Enquête | publié le : 20.04.2010 |

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Quand les entreprises recrutent en banlieue

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A la suite des émeutes de fin 2005, par esprit citoyen et par intérêt bien compris, beaucoup d'entreprises ont voulu recruter davantage dans les banlieues. Leur engagement donne des résultats quantativement faibles, mais au moins a-t-il permis de créer des outils et d'enclencher une dynamique... aujourd'hui menacée par la détérioration du marché de l'emploi.

Ambiance feutrée, ce 2 avril, au forum «Emploi et diversité» organisé dans les locaux de L'Oréal à Aulnay-sous-Bois (93), sous l'égide de l'association IMS-Entreprendre pour la Cité. On est loin des énormes salons où une multitude de candidats se pressent pour simplement déposer leur CV dans un brouhaha pénible. Ce jour-là, 180 candidats à 200 postes en stage, en alternance, ou à des jobs d'été, rencontrent les recruteurs de 16 grandes entreprises de l'industrie, de la banque, des assurances, de la grande distribution ou de l'agroalimentaire.

Les candidats ont rendez-vous avec deux ou trois entreprises maximum ; ils ont le temps de se présenter, parfois dans des box aménagés à cet effet. Alertés par annonce ou proposés par les missions locales ou par Michael Page Junior, ils ont été présélectionnés par IMS (355 avaient postulé) qui les recontactera dans quelques mois pour faire le point, y compris, et surtout, avec ceux qui n'ont pas été retenus.

L'année dernière, la même opération avait permis à 70 jeunes d'être recrutés. Les organisateurs affirment que ce type de forums proposant ce type de postes permet d'atteindre un taux de recrutement de 40 %, contre 20 % pour un forum classique. Du cousu main, donc, pour ces jeunes diplômés sans expérience, titulaires d'un bac + 2 jusqu'à un bac + 5, venus pour la plupart de Seine-Saint-Denis et dont beaucoup sont visiblement issus de la diversité.

Multiplication des initiatives

Il y a quelques années, la rencontre entre les grandes entreprises et ces jeunes relevait de l'improbable. Aux a priori des premières répondait l'autocensure des seconds : les deux mondes ne se fréquentaient pas. Depuis, les entreprises ont multiplié les initiatives et les engagements en direction des banlieues. Cela donne les forums «Emploi & Diversité» d'IMS ; «Emplois et Divers'Cité» de la CCIP ; «100 chances, 100 emplois» conçu par Schneider Electric ; «Nos quartiers ont des talents» par le Medef 93 ; le «Forum pour l'emploi des jeunes des quartiers populaires» de la CFDT... Auxquels s'ajoutent des initiatives propres à certaines entreprises : «Cari jeunes» ; «Forum emploi diversité» de GE ; «Palacités» des hôtels Meurice et Plaza Athénée ; «Projet Jeunes» mené par Zara... (lire p. 24 à 27).

Quelques entreprises pionnières, comme Casino, sont engagées en banlieue depuis longtemps, mais l'événement qui a déclenché un mouvement de masse a été celui des émeutes fin 2005. Une prise de conscience soudaine de leurs responsabilités citoyennes, mêlée à la poursuite d'intérêts bien compris pour la cohésion sociale dans le territoire d'implantation, un souci d'image, de performance économique, de réponse à un manque de main-d'oeuvre, dans un contexte de valorisation de la diversité, ont donné aux entreprises l'envie d'agir.

Accompagnement renforcé

Les incitations des pouvoirs publics, via leur politique en faveur de l'insertion - dont le public dépasse cependant les seules Zones urbaines sensibles (ZUS) - ont également été déterminantes. Notamment à travers le contrat d'autonomie, qui propose un accompagnement renforcé et une bourse aux jeunes des ZUS, ou à travers la clause d'insertion pour les entreprises concourant à des marchés publics, qui a bénéficié à 12 560 personnes au cours des six premiers mois de 2009, dont 71 % habitent les quartiers concernés par les programmes de rénovation urbaine, selon le dernier bilan de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru).

Deux guides en donnent un aperçu*, même s'il n'existe aucun recensement exhaustif de toutes les initiatives des entreprises, ni encore moins un bilan. Il est cependant clair que celui-ci est quantitavement faible. Comme le constate Anne Dhoquois, auteur de Quand les entreprises s'engagent en banlieue* et ex-chroniqueuse au Business Bondy blog, « le recrutement en banlieue ne s'est pas banalisé » (lire son interview p. 27 et l'article ci-contre).

Si des émeutes éclatent de nouveau, les entreprises pourront faire valoir qu'elles ne sont pas restées les bras croisés, mais force est de constater que toutes leurs initiatives n'auront guère permis de faire baisser un taux de chômage de 16,9 % en moyenne dans les ZUS en 2008 - 25 % chez les jeunes -, selon le dernier rapport de l'Observatoire national des ZUS (Onzus).

Cependant, ces initiatives n'auront pas été vaines. Les entreprises qui se sont engagées en banlieue ont appris que la chose était possible. « La diversité est devenue une politique d'entreprise structurée », déclare ainsi Valérie Glory, responsable emploi et diversité à la DRH d'HSBC, dont le poste a été créé en 2004. Aujourd'hui, « HSBC est prêt à accueillir la diversité », estime-t-elle.

Des outils et des méthodes pour recruter

Des outils et des méthodes ont vu le jour qui sont maintenant à la disposition des entreprises qui veulent recruter en banlieue : CV anonyme, recrutement par simulation, formations des salariés aux enjeux de la discrimination et de la diversité... De nouveaux acteurs ont également émergé, susceptibles d'être l'interface entre les entreprises et les candidats, de fédérer les efforts des premières ou de leur prodiguer des conseils, et d'accompagner les seconds avant et après l'entretien de recrutement : APC recrutement, Mozaïk RH, Afip, Diversity source manager, IMS-Entreprendre pour la cité, Association française des managers de la diversité (AFMD)... pour n'en citer que quelques-uns. Les entreprises soulignent qu'il est important de recourir à ces acteurs, pour qu'ils les aident non seulement à recruter le candidat qui correspond à leurs besoins, mais aussi à s'orienter dans la multitude des dispositifs publics.

Mobilisation des acteurs

Les services publics ont également modifié leur approche pour mieux répondre aux attentes des entreprises. Sur le site d'Alliance Villes Emploi, (< www.ville-emploi.asso.fr >) se trouvent, par exemple, les annuaires des facilitateurs des clauses sociales, des maisons de l'emploi, des plans locaux d'insertion par l'emploi, ou des missions locales.

Enfin, la mobilisation des acteurs a enclenché une dynamique ; la question est maintenant de savoir si elle survivra à la crise. Ainsi, IMS a dû adapter ses forums de recrutement à un marché de l'emploi dégradé. Celui-ci n'a pas d'impact négatif sur les volumes de recrutement (110 en 2009 contre 77 en 2007), mais sur la nature des contrats proposés. L'association alterne désormais des forums proposant des CDI et des CDD et ceux proposant des stages, de l'alternance et des jobs d'été. Au moins, les entreprises gardent-elles un pied en banlieue.

* Quand les entreprises s'engagent en banlieue, Anne Dhoquois avec IMS-Entreprendre pour la cité, Autrement, 2008. Tous gagnants. Réussir ensemble l'intégration et la professionnalisation des jeunes en entreprise, ministère de l'Economie, 2010, accessible sur < www.emploi.gouv.fr/jeune >.

L'essentiel

1 La situation de l'emploi demeure catastrophique dans les banlieues en difficulté, malgré la multiplication des initiatives des entreprises et des pouvoirs publics pour recruter les personnes qui y vivent.

2 Leur engagement, enclenché à la suite des émeutes de 2005, n'est cependant pas inutile car il permet de créer des outils et d'instaurer une dynamique.

3 L'enjeu est de maintenir cette dynamique malgré la crise économique.

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