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« La génération Y est demandeuse d'un encadrement spécifique »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 20.04.2010 |

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« La génération Y est demandeuse d'un encadrement spécifique »

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Contrairement aux idées reçues sur la génération Y, ces jeunes salariés décrits comme individualistes et impatients souhaitent en fait s'impliquer dans une communauté de travail. L'entreprise doit pouvoir répondre à ce paradoxe par un management spécifique. Une démarche qu'elle n'a pas encore intégrée.

E & C : Selon une étude que vous venez de publier relative au recrutement des candidats de la génération Y, leur supposé faible degré d'engagement dans l'entreprise semble remis en cause. Qu'en est-il ?

Catherine Glée : Notre étude a été réalisée auprès de 59 DRH et responsables du recrutement d'entreprises de toutes tailles*, essentiellement dans le secteur des services et de l'industrie. Dans plus de 80 % des cas, leur population de salariés jeunes est inférieure ou égale à 40 %. L'étude révèle que les perceptions sont conformes au discours dominant, à savoir que les personnes de la génération Y auraient pour principales caractéristiques l'impatience et l'individualisme ainsi que l'interconnexion. On retrouve bien ce portrait généralement brossé : une génération zapping, individualiste, et always on - toujours connectée et occupée à faire plusieurs choses à la fois : téléphoner à ses amis et répondre à ses mails tout en téléchargeant des podcasts... Mais, dans le même temps, les entreprises répondantes identifient de fortes attentes sur le sens donné au travail. Elles perçoivent également des besoins en termes d'autonomie, la volonté de donner son avis, de travailler en groupe... Autant de demandes qui expriment l'inverse d'un faible engagement et indiquent, au contraire, la volonté de s'investir au sein de la communauté de travail.

E & C : Vous évoquez des paradoxes dans la façon dont les entreprises gèrent cette nouvelle génération. Quels sont-ils ?

C. G. : Il y a par exemple un écart entre le souhaité et le réalisé : si pour 67,6 % des entreprises interrogées, l'intégration des moins de 30 ans requiert des programmes spécifiques, elles ne sont en réalité que 27,8 % à avoir mis en place de tels programmes. De même, si les entreprises tendent à considérer comme des «défauts» certaines caractéristiques telles que l'individualisme ou l'impatience, leurs programmes d'intégration et les mesures d'accompagnement mises en place - tutorat, coaching, aide à la gestion de la vie privée -, lorsqu'ils existent, demeurent très individualisés. Ce qui contribue à renforcer ce qui est reproché ! L'étude révèle, par ailleurs, que l'accompagnement laisse de côté la question centrale revendiquée par les jeunes de la génération Y : la question du sens, de la réalisation de soi. Autrement dit, les entreprises cherchent à mobiliser par la motivation extrinsèque - distribution d'avantages matériels -, alors que, dans le même temps, elles entendent les besoins de motivation intrinsèque exprimés par les jeunes.

Enfin, que penser de ce décalage entre, d'une part, les attentes des entreprises envers la génération Y, à l'opposé d'une attente de conformisme, à savoir une demande d'innovation, de capacité à anticiper et à être force de propositions - pour 73,2 % d'entre elles - et, d'autre part, l'accompagnement à l'intégration qui, lorsqu'il est réalisé, vise à renforcer le «formatage» à travers des politiques d'acculturation. La demande de non-conformité est exprimée par les entreprises elles-mêmes, mais ce qu'elles proposent va à l'encontre de cette demande. Dans ces conditions, il est sans doute malaisé pour les jeunes recrutés de laisser libre cours à leur créativité, d'oser sortir des sentiers battus pour inventer, imaginer des solutions originales.

E & C : Comment les entreprises devraient-elles former et gérer la génération Y ?

C. G. : L'étude fait apparaître une génération qui, loin d'être «ingérable» et imprévisible, semble plutôt demandeuse d'encadrement, mais d'un encadrement qui appelle un management spécifique. Face à l'exigence des jeunes sur le sens de leur travail, les entreprises ont tout intérêt à favoriser un management de proximité, interactif et informel, qui sache créer des situations perçues comme des défis à relever, où le goût du risque et des responsabilités puisse s'exprimer, ainsi que la créativité, l'originalité. Ce type de management doit permettre de répondre aux comportements de zapping souvent reprochés, de suivre les évolutions et les attentes au plus près pour répondre à ce qui semble être un manque d'investissement ou de concentration, mais qui relève davantage d'une exigence à comprendre la finalité des actions entreprises. Repenser le management conduit à repenser l'emploi, c'est-à-dire un emploi devenu expérience de vie et non pas seulement un endroit où l'on gagne sa vie pour la vivre et la dépenser ailleurs.

E & C : Faut-il réadapter la formation pour cette population ?

C. G. : Il importe de remonter en amont afin d'interroger les dispositifs pédagogiques actuels pour valoriser les étudiants dans ce qu'ils sont aujourd'hui et non pas dans ce qu'ils ont pu être par le passé. Cela suppose de mobiliser leur capacité à être interconnectés, leur demande de responsabilités et d'autonomie en les impliquant sur des projets à enjeux forts, en s'appuyant sur les nouvelles technologies. Plus que jamais, il semble important de les former, certes sur des compétences techniques, en termes de savoir et de savoir-faire, mais aussi sur des compétences relationnelles telles que l'écoute, la persévérance, la patience, le contrôle de soi. On retrouve ici, finalement, le «connais-toi toi-même» au coeur de la philosophie grecque.

* 56 % ont plus de 250 salariés et 19 % ont entre 50 et 249 collaborateurs.

SON PARCOURS

• Catherine Glée est maître de conférences à Lyon-3, directrice du Master RHO (ressources humaines et organisation) de l'IAE de Lyon et membre de l'équipe Orem (organisation et relation d'emploi) du Centre de recherche Magellan-IAE. Parmi ses principaux thèmes de recherche : projets professionnel et personnel ; sécurisation des parcours professionnels ; gestion des carrières ; ruptures et transitions professionnelles...

• Elle vient de publier un article intitulé La création d'entreprise comme réponse au destin dans l'ouvrage collectif Entrepreneuriat et insertion (éd. Bruylant, mars 2010).

SES LECTURES

Pouvoir, finance et connaissance, Olivier Weinstein, La Découverte, 2010.

L'idée de justice, Amartya Sen, Flammarion, 2010.

Travailler plus pour gagner moins. La menace Wal-Mart, G. Biassette ; L. J. Baudu, éditions Buchet-Chastel, 2008.

Moine des Cités : de Wall Street aux quartiers-Nord de Marseille, Henry Quinson, Nouvelle Cité, 2008.

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