La part des réseaux sociaux externes professionnels dans le recrutement, de type LinkedIn et Viadeo, n'atteindrait que 2 % aujourd'hui. Avec, toutefois, une projection à 10 % en 2011 (1). Les réseaux sociaux qui révolutionnent la sphère privée se font-ils une place dans la sphère professionnelle ? « Les chasseurs de tête, par exemple, n'utilisent plus que les réseaux sociaux, sans forcément le dire », observe le sociologue Stéphane Hugon, responsable du groupe de recherche et d'études sur la technique et le quotidien (Gretech) à l'université René-Descartes-Paris-5, et cofondateur de la société Eranos. Et Yahoo France, comme le cabinet de conseil KLB Group, ont estimé, eux, qu'environ 15 % de leurs recrutements étaient réalisés grâce à ces plates-formes (lire pp. 24 et 25).

Impossible d'ignorer aujourd'hui que 15 millions de Français sont présents sur Facebook. Le réseau professionnel LinkedIn, le plus vaste du monde, réunit plus de 55 millions de membres, dont 1 million en France. Avec 25 millions de membres dans le monde, dont plus de 3 millions en France, Viadeo accueille plus de 1 million de nouveaux adeptes par mois et recense plus de 2 millions de profils consultés et 100 000 mises en relation par jour. Le réseau Weavlink, qui fédère 25 000 membres, essentiellement des étudiants et des jeunes diplômés de grandes écoles et universités, facilite, lui, la mise en relation des employeurs adhérents avec cette population spécifique.

« Stratégiquement, les DRH ont intérêt à s'y intéresser », affirme Olivier Fécherolle, directeur général de Viadeo France. « Ils peuvent utiliser ces réseaux pour le sourcing de candidats, pour développer leur marque employeur et pour créer des sous-réseaux d'anciens collaborateurs », énonce David Guillocheau, directeur de la société de conseil Talentys. « Ils sont aussi, aujourd'hui, un élément indispensable dans la panoplie du recruteur », constate Jacques Froissant, fondateur du cabinet de recrutement Altaïde, spécialisé dans le recrutement 2.0.

Les réseaux sociaux proposent, en effet, aux DRH, une série de services de mise en relation et d'outils de recherche de profils. « Avec Viadeo, un recruteur peut sélectionner 100 profils qui l'intéressent et adresser un message direct aux membres du réseau ; il peut aussi chercher un profil sans passer d'annonces », explique Olivier Fécherolle. Le premier service est facturé 510 euros et le second varie de 3500 à 10 000 euros par an. LinkedIn propose également une suite de solutions pour les professionnels du recrutement, talent advantage, qui regroupe, notamment, des fonctionnalités de recherche pour identifier des profils, avoir un accès illimité à la messagerie directe, diffuser viralement des offres et cibler les candidats potentiels.

Ce n'est pas un hasard si l'Apec, qui concentre 90 % des offres cadres, s'est associée en novembre 2009 à Viadeo, premier réseau sur le territoire français. Un partenariat jugé « naturel » par Elisabeth Shemtov, directrice générale adjointe de l'Apec, « car, depuis très longtemps, nous insistons sur la nécessité d'anticiper sur son évolution de carrière et de faire jouer son réseau ». Il y a deux ans, un partenariat avait été monté avec LinkedIn, qui n'a pas recueilli le succès escompté, notamment du fait de son orientation internationale.

Aujourd'hui, on dénombre 39 282 comptes Apec/Viadeo, qui permettent aux cadres de visualiser des informations relatives aux employeurs présents sur Viadeo et aux entreprises clientes de Viadeo d'accéder aux offres Apec. De plus, une communauté Apec sur le site de Viadeo - destinée à conseiller les candidats et à présenter des métiers - réunit 1 523 membres. La publication d'offres sur Viadeo par un recruteur client de l'Apec est accompagnée d'une remise tarifaire de 10 %.

Autre intérêt des réseaux : leur coût. « Nous pouvons aider nos clients à réduire le temps et le coût de leur recrutement. C'est un procédé bien plus efficace que de passer une annonce dans la presse écrite ou en ligne, en espérant qu'un candidat y répondra », argumente Ariel Eckstein, responsable des solutions entreprises de LinkedIn. « Le sourcing est plus rapide et plus efficace », abonde Jacques Froissant, exemple à l'appui : pour la recherche d'un cadre commercial dans la grande distribution, avec les réseaux sociaux, il a identifié, en dix jours, 5 candidats correspondant exactement au profil recherché, alors qu'il y a dix ans, il lui aurait fallu deux mois. « Par rapport à une CVthèque classique, l'avantage pour l'employeur est d'accéder à des profils qui ne sont pas spécialement en recherche d'emploi, et dont les données sont actualisées », avance Thomas Delorme, directeur général de l'agence de communication TMP Neo. Les réseaux sont aussi utiles pour identifier des profils très pointus (lire p. 23).

Certains DRH commencent à modifier leur pratique de recours aux cabinets de recrutement. Sur les réseaux sociaux, « l'entreprise peut faire son marché, remarque David Fayon, coauteur avec Christine Balagué de l'ouvrage Facebook, Twitter et les autres... (2), et leur développement peut aboutir à la suppression d'intermédiaires comme les cabinets de recrutement », si l'entreprise décide de réinternaliser la recherche de profils. En complément, les DRH peuvent toutefois décider d'envoyer des candidats pré-identifiés pour une évaluation dans les cabinets, et faire appel à leur réseau spécifique pour certains profils.

« Il faut avoir une vraie méthode pour gérer sa présence en ligne », considère David Fayon. La Société générale a fait, par exemple, le choix original de privilégier Facebook et Twitter, des réseaux grand public, afin de toucher les plus jeunes.

Pour accompagner les DRH, un nouveau métier se développe, celui de community manager. C'est le dernier service lancé par Viadeo : la possibilité pour une entreprise de créer une communauté sur sa politique RH, ses métiers, dans l'objectif de diffuser son image employeur. Chez Weavlink, ce type de prestation peut consister à recréer l'environnement visuel de l'entreprise sur une page Fan de Facebook et à l'animer, selon Jean Mariotte, cofondateur de la société. Enfin, un petit nouveau, Huzz.com (1900 utilisateurs en France), dont les TPE et PME sont le coeur de cible, se démarque par un accueil personnalisé par un community manager.

Selon le site américain CareerBuilder.com, 45 % des employeurs américains cherchent des informations concernant les candidats sur les réseaux sociaux. Toujours selon cette enquête menée par Harris Interactive, « 38 % des recruteurs interviewés affirment avoir rejeté le CV en raison des informations lues sur le réseau social du candidat », rapporte David Fayon dans son ouvrage. « Les dérives ne sont pas négligeables, car il devient difficile de savoir où commence la vie privée et où s'arrête la vie professionnelle », note François Lecombe, consultant d'Entreprise & Personnel, spécialisé dans les SIRH. Il se félicite, à cet égard, de l'initiative de l'association A Compétence égale, suivie par les acteurs majeurs du recrutement (lire p. 27), qui s'engagent à ne pas utiliser les réseaux sociaux pour collecter des informations personnelles. La charte était une « évidence », pour Hymane Ben Aoun, administratrice de Syntec Conseil en Recrutement : « Pour nous, des réseaux comme Facebook ne sont pas des outils de travail, et nous avons toujours mentionné le respect de la vie privée dans nos statuts. »

Signe des temps, une proposition de loi, présentée par les sénateurs Yves Détraigne et Anne-Marie Escoffier, adoptée le 23 mars au Sénat, introduit la notion de droit à l'oubli numérique.