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Des salariés sous haute protection

Enquête | publié le : 06.04.2010 |

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Des salariés sous haute protection

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Alors que le risque juridique constitue une menace de plus en plus pressante, les entreprises réinterprètent leur devoir de protection à l'égard de leurs salariés envoyés à l'étranger. A l'appui : une politique de gestion des risques sanitaires et sécuritaires à l'international globale et exigeante pour certaines, sous-estimant encore certains chapitres pour d'autres.

Même à l'heure de la mondialisation, les déplacements professionnels à l'étranger sont devenus monnaie courante. Quant à l'insécurité sur certaines destinations, elle a toujours existé. Mais un nouveau risque pour l'entreprise, juridique cette fois, est de plus en plus présent. Avec lui, le devoir de protection à l'égard de ses salariés voyageurs est aujourd'hui revisité. Hier moral, le devoir est, en effet, devenu légal. Lisbeth Claus, professeure de gestion des ressources humaines internationales à l'Atkinson Graduate School of Management, a effectué, l'année dernière, une analyse internationale sur ce thème (lire l'entretien p. 29).

Responsabilité des employeurs

Un élément domine : dans tous les pays étudiés, la tendance est à une jurisprudence qui engage de plus en plus la responsabilité des employeurs, et ce, à toutes les étapes clés de la protection. « Sur 34 cas juridiques abordés par l'étude, 30 ont été jugés au bénéfice du salarié », constate la professeure. L'image de marque de l'employeur est alors écornée, et les conséquences financières sont importantes. Selon David Jonin, associé au cabinet Gide Loyrette Nouel, l'écart des coûts constaté en présence et en l'absence de prévention est de l'ordre de 1 à 20, voire de 1 à 200.

« Une prise de conscience est en cours », constate Xavier Carn, directeur sécurité d'International SOS. Pour Jean-Pierre Ferro, directeur de Geos Amérique Latine, « l'attentat de Karachi, le 8 mai 2002, qui avait coûté la vie à 11 salariés français et la condamnation pour faute inexcusable de leur employeur, la DCN, y a largement contribué. »

Apparition de nouvelles fonctions

Les entreprises sont, désormais, plus réceptives au problème de la gestion des risques à l'international et, du coup, la professionnalisent. Des fonctions de security manager ou de travel manager font ainsi leur apparition dans les organigrammes de grands groupes. En outre, les prestataires spécialisés sont de plus en plus sollicités. « Les demandes varient. Elles peuvent être motivées par un projet ponctuel et ciblé, comme la médicalisation d'un site. Lorsque l'entreprise dispose d'une procédure et de ressources internes, elle nous contacte pour l'auditer. Elle peut aussi choisir de sous-traiter la totalité de sa problématique médicale », indique Laurent Arnulf, directeur médical d'International SOS.

Manque de moyens pour les PME

Pour autant, cette démarche n'est pas encore généralisée à toutes les entreprises. « Les PME souffrent d'un manque de moyens et les entreprises de taille intermédiaire éprouvent des difficultés à disposer de vrais outils de gestion des risques », note Claude Mulsant, directrice générale du Cercle Magellan. Et quand une politique existe, elle se limite souvent à certaines destinations jugées dangereuses et à certaines menaces. Seulement voilà, les entreprises n'ont pas forcément une vision juste de celles-ci. « Spontanément, elles craignent les plus évidentes, liées au terrorisme ou au grand banditisme. Or, leur occurrence est faible comparée aux accidents de la route, première cause de blessures et de décès chez les expatriés. Elles vont aussi cibler le paludisme, quand les maladies sexuellement transmissibles seront à tort ignorées », signale Laurent Arnulf, qui plaide pour une couverture globale des risques comprenant la sécurité et la santé, le tout largement anticipé et porté au plus haut niveau de la hiérarchie.

Formations sur mesure

Cette gestion en amont passe par une cartographie exhaustive des dangers potentiels, présentés sans détour à la population concernée, expatriés et voyageurs d'affaires. En une journée, un travail approfondi de sensibilisation aux risques et aux comportements à tenir peut donc être opéré « à condition que le contenu des formations soit sur mesure pour intéresser vraiment les salariés à leur propre sécurité et qu'il fasse l'objet de piqûres de rappel régulières pour parer aux habituelles baisses de vigilance », prévient Jean-Pierre Ferro. Ces précautions sont, en général, bien accueillies par les salariés. « Ils sont même preneurs », constate Pascale Leblanc, DRH d'ADPI, filiale d'Aéroports de Paris spécialisée dans l'ingénierie et l'architecture des bâtiments aéroportuaires. Surtout les plus jeunes, qui trouvent normal que leur entreprise soit capable de leur parler lucidement des conditions d'expatriation, selon Jean Morère, responsable prévention de Sogea-Satom, filiale de Vinci Construction sur le continent africain (lire p. 26). « Même ceux qui ont tout vu, tout vécu, se croyant à l'abri, acceptent l'exercice », ajoute Jean-Louis Blanchou, directeur de la sécurité et management des risques du groupe Aéroports de Paris, qui n'hésite pas à interpeller ces derniers à l'aide d'exemples vécus saisissants.

A l'entreprise de s'assurer de la bonne compréhension des consignes et de leur application sur le terrain, et ceci alors qu'elle peut éprouver une réticence à imposer à ses salariés des règles strictes. « Ainsi, dans certains pays, nous préconisons le recours à un chauffeur, non pour une question de standing mais de sécurité. Pour de nombreux employeurs, il peut y avoir intrusion dans la vie privée », avance Xavier Carn.

Devoirs de l'employé et responsabilité de l'employeur

D'autres sont moins embarrassés. Un futur expatrié qui refuse, par exemple, une vaccination se verra déclaré inapte par le médecin du travail, dans certaines entreprises. Cette sévérité doit également s'appliquer à ceux qui ne respectent pas la sécurité sur place, selon Me Carla di Fazio-Perrin, associée du cabinet Racine. « La hiérarchie se doit de réagir sans tarder. Le salarié peut être, dans un premier temps, convoqué pour un rappel des consignes. Si son attitude désinvolte perdure, il devra être mis à pied, rapatrié, convoqué pour un entretien disciplinaire, voire licencié. Une prise de risque peut engager d'autres salariés et l'image de l'entreprise auprès des autorités locales. » A l'inverse, un salarié se sentant en danger lors d'une mission peut faire valoir son droit de retrait, même à l'autre bout du monde.

Quoi qu'il en soit, l'employeur engage sa responsabilité civile et pénale qui, en matière de sécurité et de protection de ses salariés, est soumise, par le Code du travail, à une obligation de résultats. D'où la nécessité pour l'entreprise de conserver les preuves des démarches effectuées. Il faut aussi pouvoir attester que le salarié a eu connaissance des recommandations et des interdictions. Jean-Louis Blanchou fait ainsi signer des «portés à connaissance», que les salariés doivent retourner avec accusé de réception. « L'entreprise peut aussi insérer ces informations dans un avenant au contrat de travail ou dans le contrat de détachement, sans qu'il soit utile d'y évoquer les sanctions déjà énoncées dans le règlement intérieur et induites par le pouvoir disciplinaire de l'employeur », conseille Me Carla di Fazio-Perrin.

Organisation de la gestion des risques

Enfin, une véritable gestion des risques à l'international concerne également l'organisation de la maison mère puisqu'elle exige un dispositif de reporting et de traçage efficace. A tout moment, l'entreprise doit savoir où sont ses collaborateurs. « L'inscription sur le «Registre des Français établis hors de France» auprès des consulats est un préalable indispensable pour les expatriés. Ensuite, je vois souvent les entreprises se tourner vers le service chargé des réservations de billets d'avion », évoque Claude Mulsant. Celle-ci convient que, si le suivi des expatriés est souvent rodé, il est plus aléatoire pour les voyageurs d'affaires, moins encadrés, plus difficiles à localiser, dont les déplacements ne font pas systématiquement l'objet d'une information à la DRH. C'est sur ce point que pèche la gestion des risques à l'international, dont la responsabilité se dilue encore trop souvent entre de multiples services.

L'essentiel

1 Soumises à une obligation de résultats en matière de sécurité, les entreprises élaborent ou renforcent leur gestion des risques à l'égard des expatriés et des voyageurs d'affaires.

2 Un contentieux consécutif à une sous-estimation du principe de précaution est quasi systématiquement favorable au salarié victime.

3 Les procédures abouties, surtout dans les groupes internationaux, prévoient une phase de prévention et de formation, puis l'accompagnement sur le terrain et le reporting à la maison mère.

Des risques divers : histoires vraies

• Un Français voyageant fréquemment par avion est victime d'une crise cardiaque en plein vol. Son employeur, par souci d'économie, avait exigé que ses employés se déplacent en classe économique.

• Une femme d'affaires américaine atterrit à Londres après un vol de nuit, prend le volant de sa voiture de location pour se rendre à une réunion de travail programmée dans la matinée. Fatiguée par le voyage et n'ayant pas l'habitude de conduire à gauche, elle est impliquée dans un accident grave de la route.

• Un ingénieur danois, à la suite d'un retard de son avion, rate sa correspondance et arrive en Inde avec un jour de retard. Entre-temps, l'hôtel de Bombay dans lequel il devait séjourner est attaqué par des terroristes. En l'absence de procédure de reporting, son employeur a été incapable de le localiser pendant plus de vingt-quatre heures.

• L'épouse d'un expatrié en Thaïlande souffre d'une douleur au bras et d'une subite infection aux yeux. Quelques mois plus tôt, elle avait été mordue par un chien. Le salarié et sa famille n'avaient pas été vaccinés avant de quitter leur pays d'origine.

• Un Européen est arrêté à l'aéroport aux Etats-Unis pour avoir utilisé son téléphone portable dans un périmètre protégé de la zone de l'immigration et des douanes, il n'avait ni remarqué les consignes affichées ni tenu compte de l'avertissement verbal de l'agent.

• A son arrivée à l'aéroport dans un pays d'Asie, un ingénieur engage un chauffeur de taxi pour le conduire dans un chantier à une centaine de kilomètres. En route, il lui demande de s'arrêter pour utiliser les toilettes d'un établissement. Revenant à la voiture, il découvre que le taxi a disparu avec tous ses effets, y compris son passeport et son téléphone portable. Ayant contacté la police locale, il est mis en détention pour défaut de papiers d'identité.

(Source : International SOS)