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Enquête

Peut-on mieux partager les profits ?

Enquête | publié le : 30.03.2010 |

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Peut-on mieux partager les profits ?

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Le partage des profits est, une nouvelle fois, inscrit par Nicolas Sarkozy à l'agenda social. La règle des trois tiers - investissements, actionnaires, salariés - semble difficile à imposer et le sujet a déjà fait long feu en 2009. Le Medef propose de le lier à la réforme du dialogue social. En attendant, certaines entreprises utilisent depuis longtemps la participation, l'intéressement, voire l'actionnariat salarié, pour redistribuer une partie de leurs résultats.

« Malgré des résultats négatifs, des millions d'euros sont provisionnés pour être distribués aux actionnaires, mais l'augmentation des salaires se limite à 1 % » : négociations tendues chez Thales, où des débrayages se sont multipliés depuis février. Forte mobilisation aussi chez Safran, où les organisations syndicales dénoncent la modestie des propositions salariales alors que les dividendes versés augmentent. Avance sur l'intéressement 2010 (à verser en 2011) chez Renault, pour restaurer la paix sociale dans les ateliers, alors que les augmentations générales ne dépasseront pas 0,7 % cette année. Plus tôt, Total ou Sanofi-Aventis, sur le point d'annoncer d'excellents résultats (et de licencier), avaient été confrontés à de sérieux conflits salariaux.

Vent de colère

Un peu partout, des NAO qui se poursuivent - ou des lendemains de négociation difficiles - continuent de faire souffler un vent de colère sur des braises vives. Car, au-delà des exigences d'amélioration du pouvoir d'achat, le mécontentement se cristallise sur des revendications de justice. Ainsi, chez Renault, les syndicats protestaient aussi contre l'octroi à environ 2 800 cadres d'une «prime performance groupe» de 10 000 euros en moyenne, soit 30 millions d'euros, alors que l'ensemble des salariés de Renault SAS devait toucher une prime de 500 euros. En janvier, les syndicats et les salariés de l'équipementier Visteon, à Charleville-Mézières, bloquaient l'usine après avoir découvert une ligne de 945 000 euros dans l'exercice comptable 2008, liée au paiement de divers avantages et indemnités pour quelques cadres. Ereintés par la crise, le gel des salaires, parfois par le surcroît de travail lié aux réorganisations, les salariés clament leur exigence d'un traitement équitable, en particulier vis-à-vis de l'actionnaire.

Intervention de l'Etat

« Les relations au sein des entreprises en sont devenues suffisamment désastreuses pour que Nicolas Sarkozy souhaite s'immiscer dans un cadre qui ne relève pas, normalement, de la sphère publique, mais qu'il a légitimement jugé clé dans la recherche d'une meilleure compétitivité et d'une meilleure productivité des entreprises », analyse Philippe Portier, avocat spécialiste de la gouvernance des entreprises, associé du cabinet Jeantet (lire l'entretien p. 29). Pour la deuxième fois, en février dernier, le président de la République a, en effet, inscrit à l'agenda social une discussion sur le partage des profits dans l'entreprise, sous la contrainte d'une loi faute d'accord dans les trois mois. Il avait agité la même menace l'année dernière, sans le moindre effet, le Medef freinant des quatre fers. Le syndicat des patrons a, cette fois, entrouvert une porte étroite en acceptant de loger la discussion dans la négociation sur la modernisation du dialogue social et la réforme des institutions représentatives du personnel.

Circonspection syndicale

Même certains syndicats entrent avec circonspection dans le débat tel qu'il est posé : le slogan présidentiel d'une redistribution des profits en «trois tiers» (une part égale à l'investissement, aux actionnaires et aux salariés) ne leur semblant guère pertinent. Selon le rapport Cotis, les profits sont aujourd'hui redistribués à hauteur de 57 % en investissements, de 36 % en faveur des actionnaires et de 7 % en direction des salariés via participation et intéressement.

« S'agissant des profits, cette répartition par tiers ne nous semble pas crédible, car cela reviendrait essentiellement à réaffecter une part destinée aux investissements vers les salariés, indique, par exemple, Gaby Bonand, secrétaire confédéral de la CFDT. Par ailleurs, nous ne souhaitons pas que cette répartition soit faite en faveur de l'intéressement. Il ne faut pas déformer la structure des rémunérations au détriment des salaires fixes, en transférant le risque sur le salarié. Sur le long terme, le versement de l'intéressement se traduit par une stagnation ou un recul des salaires et des cotisations sociales qui y sont liées. »

Pour la CFDT, les questions de gouvernance fournissent, en revanche, une bonne entrée dans ce sujet complexe. Elle souhaite que les IRP soient obligatoirement consultées sur les grands choix d'affectation de la valeur ajoutée et sur la rémunération des dirigeants, avant les comités de rémunération, celle-ci devant être liée pour partie à des critères sociaux.

Utilisation optimisée de la participation

Jean-Michel Haas, nouveau secrétaire national CFE-CGC chargé de l'économie, souligne que la participation pourrait être plus largement utilisée, alors qu'elle ne couvre que la moitié environ des travaileurs du secteur privé, notamment parce qu'elle n'est obligatoire qu'au-delà du seuil de 50 salariés. « Si la part des salaires a globalement peu varié dans le partage de la valeur ajoutée, complète-t-il, l'inégalité des salaires a, elle, explosé. Pour permettre à l'Etat de jouer son rôle de redistribution et s'il est nécessaire de légiférer, c'est en matière d'imposition, en supprimant le bouclier fiscal et en créant une tranche supplémentaire pour les très hauts revenus. »

Si les chances d'un accord interprofessionnel avant trois mois sur le sujet semble minces, certaines entreprises mettent déjà en oeuvre, depuis longtemps, une forme ou une autre de partage plus équitable des bénéfices.

Pour les Scop (sociétés coopératives et participatives) ce partage est inscrit dans leurs statuts. Outre une réserve d'un minimum de 16 % de l'excédent net de gestion en fin d'exercice, dédiée à l'investissement, ces sociétés doivent affecter une «part travail» aux salariés, d'un minimum de 25 %. « Dans la pratique, explique Pascal Trideau, directeur général de la Confédération générale des Scop, la participation s'élève chaque année à plus de 40 % des résultats, toutes Scop confondues ; 98 % des Scop ont un accord de participation alors même qu'une large majorité, avec un effectif inférieur à 50 salariés, n'y est pas tenue. » Le reste est affecté à la rémunération du capital, c'est-à-dire, dans le cas des Scop, à tout ou partie des salariés qui sont aussi détenteurs de parts sociales de leur entreprise. Quant à la gouvernance, elle s'exerce selon la formule «une personne, une voix», quelle que soit la part détenue. Des principes qui n'entravent pas la compétitivité, comme l'illustre, par exemple, l'une des plus grosses Scop de France, UTB, dans le secteur du bâtiment (lire p. 25).

Préceptes gaullistes

Le secteur privé plus traditionnel compte aussi quelques militants de la participation. Par exemple, le groupe Dassault, dont le patron, fidèle aux préceptes gaullistes de 1967, fait partie de ceux qui ont soufflé la formule des trois tiers à Nicolas Sarkozy : participation et intéressement peuvent représenter quatre mois de salaire dans cette entreprise (lire p. 27).

Un autre instrument a pour vertu d'estomper les frontières entre capital et travail : l'actionnariat salarié. Bouygues est le groupe qui l'a le plus développé : 80 % des salariés y sont actionnaires de leur société (lire p. 28).

Mais l'épargne, y compris par l'actionnariat salarié, ne résout pas la question du pouvoir d'achat : ainsi, dans le groupe Safran, où plus du tiers des salariés sont actionnaires et détiennent la plus forte part du capital d'une entreprise en France (avec Eiffage), le conflit porte sur les salaires, et les organisations syndicales stigmatisent les distributions de dividendes au détriment de la feuille de paie.

L'essentiel

1 Lors du sommet social du 15 février, le président de la République a donné aux partenaires sociaux trois mois pour négocier sur le partage des profits, sous peine de légiférer.

2 En 2009, le rapport Cotis indiquait que la part des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises n'a pas varié depuis une dizaine d'années, après avoir décru dans les années 1980.

3 Les syndicats ne veulent pas déséquilibrer la structure des rémunérations au détriment du salaire fixe. Mais, ils réclament, notamment, une évolution des règles de gouvernance d'entreprise.

Profits, valeur ajoutée, trois tiers, de quoi parle-t-on ?

Dans ses discours, en 2009 et en 2010, Nicolas Sarkozy a mentionné la valeur ajoutée et les profits : il s'agit d'éléments comptables bien différents.

La valeur ajoutée est, grossièrement, la valeur qu'une entreprise ajoute aux matières premières qu'elle achète, grâce au travail des salariés et à la mise en oeuvre de machines de production financées par des actionnaires. Cette valeur ajoutée sert à rémunérer les salariés (salaires et charges sociales), à payer l'impôt (TP, impôts fonciers), subventions déduites. Il reste l'excédent brut d'exploitation, qui, une fois déduits les intérêts des prêts et l'impôt sur les bénéfices, constitue le profit.

La part des salaires dans la valeur ajoutée représente, encore aujourd'hui, bien plus de la moitié (après avoir atteint son point culminant à plus de 67 % au début des années 1980).

Le rapport Cotis (directeur de l'Insee) commandé par l'Elysée en 2009 éclaire le sujet, tout en permettant des lectures différentes : le Medef retient que la part des salaires dans la valeur ajoutée n'a pas été modifiée depuis une vingtaine d'années, ni même depuis les années 1950 ; les syndicats ou Attac lisent plutôt que cette part avait augmenté jusqu'en 1982, pour chuter ensuite jusqu'en 1990, après quoi elle s'est stabilisée, et que, par ailleurs, les dividendes n'ont cessé de croître. Autre enseignement du rapport : une disparité croissante des salaires.

Concernant les profits, leur répartition actuelle, précise Jean-Philippe Cotis, est la suivante : 57 % pour l'investissement ; 36 % pour les actionnaires ; 7 % pour les salariés (intéressement, participation).

En outre, le besoin en réinvestissement est, bien sûr, très différent selon les secteurs et les types d'activité, plus ou moins capitalistiques.

G. L. N.