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« La réforme en cours maintient l'offre de formation dans une «suspicion illégitime» »

Enquête | L'entretien avec | publié le : 23.03.2010 |

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« La réforme en cours maintient l'offre de formation dans une «suspicion illégitime» »

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E & C : Comment la réforme en cours aborde-t-elle la question de la qualité de l'offre de formation ?

J.-M. L. : Elle maintient l'offre de formation dans une «suspicion illégitime», et ouvre la voie à des logiques de labellisation qu'il faudra surveiller.

E & C : Qu'entendez-vous par «suspicion illégitime» ?

J.-M. L. : Le droit qui encadre l'activité des dispensateurs de formation peut être amélioré sur certains points : distorsion de concurrence entre offreurs privés et offreurs bénéficiant d'un statut public, relations avec les Opca... Mais ce n'est pas à l'offre, mais plutôt à la demande qu'il faut s'attaquer pour améliorer la qualité et l'efficience de l'offre de formation. Or, à la lecture de cette réforme, on constate que celle-ci n'a pas quitté la sellette sur laquelle elle est placée depuis plusieurs années : l'illégitime suspicion dont elle est victime n'a pas disparu.

E & C : Pourquoi ?

J.-M. L. : Les dispositions relatives aux prestataires de formation occupent neuf articles de la loi nouvelle. Sur ces neuf articles, deux - les plus longs- concernent le contrôle de l'activité de formation et les sanctions, et le dernier porte sur les obligations d'information vis-à-vis des stagiaires. Les seules dispositions relatives à l'achat de formation visent les formations longues et portent sur la signature par le salarié de la convention de formation. Il est discutable de considérer que c'est en empilant les contrôles administratifs et les obligations formelles que l'on permettra au secteur de la formation professionnelle d'apporter à ses clients et bénéficiaires les services souhaités et, au-delà, que l'on contribuera à la structuration d'un secteur clé du développement économique et social.

E & C : Vous pensez donc que l'amélioration de la qualité en formation devrait passer par un travail plus important sur la structuration de la demande, son professionnalisme ?

J.-M. L. : Oui, ce n'est pas l'excès de contrôle a priori, le sur-renforcement des obligations formelles et la multiplication des sanctions qui constituent les moyens pour développer la qualité de la formation. C'est comme si on estimait que celle-ci dépendait exclusivement de l'offre. Ni la dérive vers une profession réglementée, ni le monopole donné à un service public administratif dédié à la formation tout au long de la vie ne sont des réponses pertinentes.

Surtout, en France, c'est une logique du «tiers payant» qui agit sur le marché : l'entreprise achète pour les salariés, les Opca pour les entreprises et l'Etat pour les chômeurs. Ce n'est pas une logique d'«individu payeur-consommateur». Les entreprises, les Opca et l'Etat ont quand même su développer des pratiques d'achat professionnelles.

Mais, si le client ou le bénéficiaire ne sait pas exprimer sa demande, il sera en effet toujours possible de déplorer la prééminence d'une logique d'offre sur le marché de la formation.

E & C : Comment aider à structurer cette demande ?

J.-M. L. : La construction de la demande, bien en amont des procédures d'achat de la formation, est en réalité l'enjeu central d'une réforme de la formation, avec celui de la clarification de la gouvernance du système de formation. Et la construction d'une fonction «information-conseil-orientation tout au long de la vie» est un enjeu préalable à la construction de la demande. On trouve dans l'univers des Fongecif un savoir-faire incontestable en ce domaine.

E & C : La nouvelle loi fixe à l'Opca une mission d'information et de conseil, tant pour les salariés que pour l'entreprise, dont l'objet est d'éclairer leur choix face à l'offre de formation disponible aussi bien sur le plan de la qualité que sur celui du coût. Est-ce que cela va dans le bon sens ?

J.-M. L. : L'ANI du 7 janvier 2009 rappelait, dans son article 53, que l'Opca, sans se substituer à l'entreprise dans le choix de l'organisme de formation, pourrait veiller au respect des critères de qualité et notamment tenir compte de la labellisation de cet organisme. Le projet de loi a également préconisé le recours à la procédure de labellisation, en particulier pour l'orientation professionnelle. Mais la loi du 24 novembre 2009 ne reprend pas cette terminologie. Elle confie au Fonds paritaire de sécurisation des parcours professsionnels (FPSPP), ainsi qu'au nouveau délégué interministériel à l'orientation (DIO), la mission de promouvoir des normes de qualité dans leurs champs respectifs de compétences.

En conséquence, les choix méthodologiques et de procédures que fera le nouveau délégué interministériel à l'Orientation pour structurer par la labellisation les 700 opérateurs en charge de l'information, du conseil et de l'orientation tout au long de la vie représenteront un moment clé dans la régulation du système d'orientation. Il en va de même des choix qui seront opérés par le FPSPP, chargé de diffuser une charte de bonnes pratiques fondée sur l'approche qualité auprès du réseau des Opca.

E & C : Que serait-il souhaitable de faire, selon vous, pour que la question de la qualité en formation soit mieux appréhendée ?

J.-M. L. : Les partenaires sociaux, au plus haut niveau (négociateurs de l'ANI et du Comité paritaire national de la formation professionnelle), au lieu de contribuer à la suspicion ambiante pourraient utilement nouer des rapports de coopération avec l'ensemble des prestataires, publics et privés, via, par exemple, une conférence annuelle ou biannuelle débouchant sur un relevé de conclusions méthodologiques. Les questions de l'ingénierie et du financement des parcours pourraient figurer à son ordre du jour ; l'idée de «parcours» se substituant à l'heure/stagiaire comme unité de financement de la formation. Serait également abordé le rôle respectif des prestataires de services et des Opca dans la construction de la demande de formation.

* Coauteur de Droit et politiques de formation, éd. Demos, avec Jean-Pierre Willems et Valérie Grasset-Morel.

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