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La question des sanctions est toujours posée

Enquête | publié le : 16.03.2010 |

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La question des sanctions est toujours posée

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Malgré l'obligation légale, les entreprises négocient peu sur l'égalité professionnelle. Les partenaires sociaux et le gouvernement réfléchissent aux leviers pour activer cette négociation. Parmi eux, les sanctions financières.

Il y aura une nouvelle loi sur l'égalité professionnelle cette année. Xavier Darcos, ministre du Travail, l'a promis à plusieurs reprises. Il a donné jusqu'à la fin du mois d'avril aux partenaires sociaux pour se concerter sur le sujet, après quoi, le gouvernement présentera un projet de réforme au second semestre. Voilà pour le calendrier. Quant au contenu de cette future réforme - la septième en quarante ans -, il reste flou, car la concertation préalable n'a rien produit pour le moment. « Dans le courrier qu'il a adressé aux partenaires sociaux le 23 décembre, Xavier Darcos estime que nous pourrions négocier sur le travail à temps partiel, le temps partiel familial, la mise en place d'un entretien de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, les négociations collectives prévues dans le Code du travail conduisant à traiter des questions d'égalité professionnelle et la représentation des femmes dans les IRP. Depuis, on attend », déclare Ghyslaine Richard, responsable du dossier à la CGT.

Des lois mal appliquées

L'un des points qui fera débat devrait être celui des sanctions à l'encontre des entreprises qui ne remplissent pas leurs obligations de négocier sur l'égalité professionnelle. Les spécialistes sont d'accord pour dire que les écarts entre les femmes et les hommes au travail ne se réduisent plus (voir les indicateurs p. 22), que l'arsenal normatif n'a pas besoin d'être étoffé, mais que cet arsenal est peu efficient. Car, s'il est vrai qu'il y a des lois (lire p. 22), elles sont mal appliquées. « Les négociateurs négocient peu, sauf dans les grandes entreprises. Les contrôleurs contrôlent peu. Les juges jugent peu », constatait Brigitte Grésy dans son rapport préparatoire à la concertation entre les partenaires sociaux, remis le 8 juillet 2009.

Négociations en panne

De fait, la négociation collective sur l'égalité professionnelle et salariale dans les entreprises, principal outil pour la réduction des écarts hommes/femmes, est limitée et produit peu d'accords, dont certains sont assez formels. Les entreprises ont trois obligations principales en la matière : négocier sur l'égalité professionnelle (accès à l'emploi, à la formation professionnelle, à la promotion...); pour ce faire, produire un rapport de situation comparée (RSC) contenant des indicateurs et négocier sur la réduction des écarts de salaires. Le législateur a, en effet, confié à la négociation collective le soin de supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes d'ici au 31 décembre 2010 (loi du 23 mars 2006). C'était également une promesse de Nicolas Sarkozy.

Or les entreprises s'acquittent mal de leurs obligations, pour autant que les statistiques permettent d'en juger. Seules 7,5% de celles ayant un délégué syndical ont signé un accord d'égalité professionnelle en 2007, et moins de la moitié produisent un RSC, rappelle le rapport Grésy. En mars 2009, l'Orse recensait 159 accords sur l'égalité professionnelle; une dizaine ont été signés depuis. Il n'existe pas de statistiques sur la négociation pour réduire les écarts de rémunération. L'observation de la vie des entreprises montre que les pratiques innovantes, les accords avec du contenu, fixant des objectifs réalistes, dotés de moyens, sont réservés à une minorité de sociétés pionnières (lire p. 24 à 28).

Rien ne laisse présager un regain d'intérêt des entreprises pour l'égalité professionnelle. « Celles du CAC 40 ont déjà abordé la question, mais du côté des PME, c'est l'attentisme. Certaines grosses PME ont bien commencé à s'interroger sur l'égalité hommes/femmes, mais, prises par la question des seniors, elles ont retardé le dossier », explique Jean-Paul Richon, avocat associé au cabinet Fidal. « Les entreprises sont entrées en ébullition sur les seniors, parce que les pouvoirs publics avaient prévu des sanctions lourdes, en revanche, elles sont peu actives sur l'égalité professionnelle », confirme Caroline André-Hesse, avocate associée chez Altana.

Des contraintes relatives

« Les contraintes en matière d'égalité professionnelle sont relatives. En fait, tant qu'il n'y a pas de contraintes financières, le DRH n'a pas l'oreille du Codir », analyse Stéphanie Stein, avocate associée du cabinet Eversheds. Du reste, selon elle, l'égalité hommes/femmes est une question de société avant d'être du ressort des entreprises, pour ce qui est de la féminisation de certains métiers.

Et ce ne sont pas les risques de procès en discrimination qui pourraient faire changer d'avis les directions, les femmes elles-mêmes paraissant peu enclines à faire valoir leurs droits. En 2009, les réclamations adressées à la Halde au motif de discriminations sur le sexe ne représentaient que 6,5 % du total. Les avocats cités rapportent quelques contentieux émanant de salariées, mais qui interviennent après une rupture du contrat de travail. Isabelle Taraud, avocate pour les salariés au barreau de Versailles, évoque un contentieux collectif sur un régime de retraite porteur de discriminations indirectes, mais la plainte émane des syndicats.

L'heure des sanctions

D'où l'idée, qui émerge, qu'après des années de pédagogie, de valorisation des bonnes pratiques, d'éloge de la diversité créatrice de richesses - ce qui semble avoir échappé aux acteurs rationnels!-, le moment est venu de manier aussi la sanction. Le principe est défendu par les syndicats, soutenu par le rapport Grésy, et Xavier Darcos y était encore favorable au mois de novembre. Le Medef réserve ses positions pour la concertation sociale.

Mais quelle(s) sanction(s)? Deux pistes émergent : frapper les entreprises dans leur réputation, ou, plus classiquement, au portefeuille. Dans le premier cas, le levier, récent en France, est celui du «name and shame», qu'on pourrait traduire par «mise à l'index». C'était le principe de la publication en ligne des listes d'entreprises n'ayant pas négocié sur le stress, finalement retirées au bout de 24 heures par le ministère du Travail.

Volonté politique

Le rapport Grésy, quant à lui, envisage soit une sanction financière s'élevant à 1% de la masse salariale, sur le modèle de ce qui se fait pour les seniors, soit une réduction des allègements de charges, rendue possible par la loi en faveur des revenus du travail. Dans l'interview qu'elle nous a accordée, Brigitte Grésy explique pourquoi la première solution est la plus réaliste (lire p. 29).

Sa mise en oeuvre est ensuite question de volonté politique. Dans son rapport, Brigitte Grésy n'est pas très optimiste. Elle constate que « le contrôle de la mise en oeuvre des obligations légales en matière d'égalité professionnelle n'est pas un thème reconnu comme majeur par l'administration du travail » (lire p. 23 «Peu de contrôles, pas de sanctions»). L'égalité réelle attendra encore un peu.

L'essentiel

1 Les entreprises ont l'obligation de négocier sur l'égalité professionnelle et sur la réduction des écarts de rémunérations entre les hommes et les femmes.

2 Peu d'entre elles s'acquittent de ces obligations et seules quelques pionnières le font avec un réel souci de réduire les inégalités.

3 Afin de développer la négociation sur ce thème, et alors que les écarts entre les hommes et les femmes ont cessé de se réduire, émerge l'idée de mettre en place des sanctions.

Un arsenal normatif complet

f NAO sur l'égalité professionnelle dans l'entreprise L 2242-5 : « L'employeur engage chaque année une négociation sur les objectifs d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans l'entreprise, ainsi que sur les mesures permettant de les atteindre. Cette négociation s'appuie sur les éléments figurant dans le rapport de situation comparée [...] Lorsqu'un accord comportant de tels objectifs et mesures est signé dans l'entreprise, la périodicité de la négociation est portée à trois ans. » Sanction : un an d'emprisonnement et 3750 euros d'amende au titre du délit d'entrave (L.2243-1 et L.2243-2).

f Rapport de situation comparée (RSC) : L2323-57 : « Chaque année, dans les entreprises de 300 salariés et plus, l'employeur soumet pour avis au comité d'entreprise ou, à défaut, aux délégués du personnel, [...] un rapport écrit sur la situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation des femmes et des hommes dans l'entreprise. »

f Négociation sur les écarts de salaires entre les hommes et les femmes L2242-7 : « La négociation sur les salaires effectifs que l'employeur est tenu d'engager chaque année [...] vise également à définir et à programmer les mesures permettant de supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes avant le 31 décembre 2010. » Sanctions : les accords sur les salaires effectifs ne peuvent être enregistrés par la DDTEFP qu'accompagnés de l'accord sur la suppression des écarts ou du procès-verbal de désaccord (L2242-10).

f La loi du 3 décembre 2008 (article 26) « en faveur des revenus du travail » réduit les allègements de charges des entreprises de plus de 50 salariés qui n'ont pas négocié sur les salaires.

f Circulaire du 19 avril 2007 concernant l'application de la loi du 23 mars 2006.

f Décret n° 2008-838 du 22 août 2008 relatif aux indicateurs figurant dans le rapport annuel sur la situation comparée.

f Jurisprudence En application du principe «à travail égal, salaire égal», l'employeur est tenu d'assurer l'égalité de rémunération entre tous les salariés, de l'un ou l'autre sexe, pour autant qu'ils soient placés dans une situation identique (arrêt Ponsolle, cass. soc., 29 octobre 1996, n° 92-43 680).

Guide de réalisation du rapport de situation comparée (RSC) et modèles de RSC pour les entreprises de moins de 300 salariés et pour celles de plus de 300 salariés, disponibles sur < www.travail-solidarite.gouv.fr >, rubrique «femmes/égalité», puis «rapport de situation comparée».

L'égalité professionnelle en 22 fiches, par l'Orse. Disponible sur < www.egaliteprofessionnelle.org >, rubrique «enjeux».

Peu de contrôles, pas de sanctions Des aides publiques peu utilisées

Le Code du travail prévoit des sanctions à l'encontre des entreprises qui ne respectent pas leurs obligations en matière d'égalité professionnelle (lire p. 22), mais, faute de contrôles de la part du ministère, ces sanctions ne s'appliquent pas. C'est ce que montre le rapport Grésy.

De mauvais élèves

Une campagne de contrôle des entreprises sur les obligations relatives à l'égalité professionnelle a bien été lancée en mars 2008, mais « seuls 415 contrôles ont été effectués au 14 mai 2009 sur les 1000 programmés, soit 41% ».

En outre, et surtout, les entreprises n'auraient pas dû pouvoir déposer leurs accords salariaux aux directions départementales du travail tant que ceux-ci n'étaient pas accompagnés d'un PV d'ouverture ou d'échec des négociations sur les écarts de salaires.

Or, « cela n'a pas été le cas. La DGT (Direction générale du travail), en effet, n'a pas donné d'instruction en ce sens, au motif que ce refus d'enregistrement aurait pu être interprété par l'entreprise comme une invitation à ne pas appliquer l'accord salarial ». Résultat, ces mauvais élèves échappent à la réduction des allègements de charges, prévue par la loi du 3 décembre 2008 sur les revenus du travail.

Le constat est le même en matière pénale. En se fondant sur les données de l'Observatoire des suites pénales, au 30 mars 2009, le rapport Grésy ne relève que 15 procès-verbaux sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes pendant la période 2004 à 2009. Conclusion : « Au vu des difficultés relevées et non surmontées, on peut donc dire que le contrôle de la mise en oeuvre des obligations légales en matière d'égalité professionnelle n'est pas un thème reconnu comme majeur par l'administration du travail. »

E. F.

L'aide financière des pouvoirs publics en direction des entreprises qui oeuvrent à l'égalité professionnelle prend quatre formes, décrites dans la circulaire du 19 avril 2007.

Dans le cadre d'un soutien à la GPEC, l'étude précédant l'élaboration du plan égalité, dans les entreprises de 300 salariés maximum, peut être financée pour moitié par les deniers publics. « De 2004 à 2007, près de 402000 entreprises représentant plus de 3,6 millions de salariés ont bénéficié directement ou indirectement de ce dispositif pour un engagement financier global estimé à près de 44 millions d'euros (dont près de 27,4 millions pour l'Etat) », relève le rapport Grésy.

Par ailleurs, il existe une aide au remplacement des salariés en congé de maternité ou d'adoption, réservée aux entreprises de moins de 50 salariés. Son montant est de l'ordre de 400 euros.

En outre, le «crédit d'impôt famille» permet de bénéficier d'un crédit d'impôt sur les sociétés de 25% des sommes engagées en faveur de certaines actions concernant l'équilibre entre la vie professionnelle et la vie familiale.

Enfin, l'Etat peut verser des aides dans le cadre du «contrat pour la mixité des emplois» et du «contrat pour l'égalité professionnelle».

Le premier est un contrat tripartite entre l'entreprise, une femme nommément désignée, et l'Etat. Le second est passé entre l'employeur et l'Etat. Ces contrats sont très peu utilisés : six contrats égalité et 98 contrats mixité ont été signés en 2008, selon le rapport Grésy. Du coup, les enveloppes ne sont jamais consommées jusqu'au bout : 519 860 euros consommés sur les 682 000 euros attribués aux contrats mixité en 2008; 55181 euros utilisés sur les 330000 euros dédiés aux contrats égalité la même année, toujours selon le rapport Grésy.

Ces contrats sont décrits, mais pas du tout mis en avant, sur le site du ministère du Travail*. Les entreprises doivent se rapprocher de leur Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte, ex-DRTEFP).

CÉLINE LACOURCELLE ET E. F.

*< www.travail-solidarite.gouv.fr > puis «informations pratiques»; «fiches pratiques»; «égalite professionnelle».

Les écarts demeurent

→ Ecarts de salaires inexpliqués en 2006 : 10 %. Salaire brut horaire : 16 %. Salaire brut moyen : 27 %.

→ Taux d'activité des femmes de 25 à 49 ans : 83 %. Taux d'activité des hommes de 25 à 49 ans : 95 %.

→ Taux de chômage des femmes fin 2008 : 8,3 %. Taux de chômage des hommes : 7,3 %.

→ Taux de chômage des femmes en début de carrière en 2008 : 14 %. Taux de chômage des hommes en début de carrière en 2008 : 16 %.

→ Proportion de femmes à temps partiel : 31 %. Proportion d'hommes à temps partiel : 6 %.

Sources : Dares 2008 ; rapport Grésy 2009 ; Insee 2010.