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L'activisme écologique, facteur de discrimination au travail?

Enjeux | Chronique juridique par AVOSIAL | publié le : 16.03.2010 |

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L'activisme écologique, facteur de discrimination au travail?

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Mon premier est souvent invoqué par les salariés devant les tribunaux ; mon second était l'occasion du Sommet de Copenhague ; mon tout est une évolution étonnante du droit du travail. Solution : les convictions d'un salarié relatives au changement climatique sont assimilées à une croyance religieuse. Son licenciement fondé sur ces convictions a donc un caractère discriminatoire (1).

Le responsable développement durable d'un groupe britannique contestait la rupture de son contrat de travail liée, selon lui, à ses « convictions philosophiques sur le changement climatique ». Chargé par son employeur de limiter les émissions de CO2 de son groupe, le salarié s'était heurté à une vive résistance du personnel et des dirigeants dans la phase de mise en oeuvre. Puis, à la faveur d'une réorganisation, il avait été licencié.

La juridiction britannique a d'abord recherché si l'importance donnée par le salarié au respect de l'environnement était susceptible de constituer une «conviction» (belief) au sens du droit anglais (2), donc assimilable à une croyance religieuse. En défense, l'employeur arguait du caractère scientifique des convictions du salarié, écartant tout fondement philosophique. Mais le salarié affirmait que loin de se limiter à l'expression d'une opinion, ses convictions exerçaient une forte influence sur sa vie (habitat, alimentation, loisirs). Le tribunal a assimilé les convictions du salarié à une croyance religieuse, par référence à cette notion dans la jurisprudence européenne : la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) applique le terme «convictions» à des vues atteignant un certain degré de force, de sérieux, de cohérence et d'importance ; elle utilise l'expression «convictions philosophiques» lorsqu'elles sont compatibles avec la dignité humaine et méritant respect dans une société démocratique (3).

Cette décision fait de l'activisme écologique un facteur de discrimination, au Royaume-Uni tout du moins.

Les entreprises françaises doivent-elles se préparer à l'éclosion de ce type d'argument ? A priori, oui. Car la France a fini par transposer en droit interne la directive européenne du 27 novembre 2000 (celle-là même qui a donné lieu à l'EERBR 2003* au Royaume-Uni (4). Au-delà des convictions religieuses, le droit français reconnaît, désormais, le fait de traiter une personne de manière moins favorable qu'une autre sur le fondement de ses «convictions» comme une discrimination directe.

Or, protection de l'environnement et discrimination ne cessent de monter en puissance parmi les préoccupations des Français : d'un côté, une large majorité d'entre eux sont sensibles aux questions environnementales (5). De l'autre, la Halde enregistre, chaque année, un nombre croissant de réclamations. Le domaine de l'emploi représente à lui seul plus de la moitié des réclamations : les salariés français sont de plus en plus nombreux à se dire victimes ou témoins de discrimination (6).

Une chose est sûre, la décennie 2010-2020 sera marquée par les contentieux de la discrimination. A la liste des facteurs de discrimination les plus fréquemment invoqués pourrait désormais venir s'ajouter l'activisme écologique.

Mais que dira la Cour de cassation d'un salarié sanctionné pour une insubordination provenant de ses convictions environnementales ? De celui qui refuse tout déplacement à plus de 10 km pour limiter ses émissions de carbone et demande la tenue de vidéoconférences ? De l'assistante qui n'imprime plus les e-mails pour « penser à l'environnement » ? Du salarié dans un open space qui coupe le chauffage pour économiser l'énergie, obligeant ses collègues à travailler en moufles ?

Aujourd'hui, la sanction de tels comportements semble possible. Notre Cour suprême précise que « s'il est exact que l'employeur est tenu de respecter les convictions [en l'occurrence religieuses] de son salarié, celles-ci, sauf clause expresse, n'entrent pas dans le cadre du contrat de travail et l'employeur ne commet aucune faute en demandant au salarié d'exécuter la tâche pour laquelle il a été embauché dès l'instant que celle-ci n'est pas contraire à une disposition d'ordre public » (7).

L'avenir dira si elle entend maintenir le cap. A condition que, d'ici là, le changement climatique n'ait pas définitivement eu raison de notre planète.

Stéfanie Oudard, avocate au cabinet Courtois Lebel, membre d'Avosial, le syndicat des avocats d'entreprise en droit social.

* Employment Equality (Religion or Belief) Regulations.

(1) Grainger Plc & Ors v. Nicholson, UKEAT/2009/0219_09_0311, 3 November 2009.

(2) Transposition de la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail.

(3) Campbell et Cosans c/Royaume-Uni, requête 7511/76 ; 7743/76, 25 février 1982.

(4) Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

(5) «L'opinion et les comportements des Français en matière d'environnement», rapport du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Credoc), juillet 2002.

(6) En 2008, 28 % de salariés se disaient victimes et 38 % témoins de discriminations, contre 25 % de victimes et 31 % de témoins en 2007.

(7) Cass. soc. 24 mars 1998, n°95-44.738, Azad c/Chamsidine M'Ze (en l'espèce, un boucher de confession musulmane avait refusé de traiter de la viande de porc).

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