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Que reste-t-il des 35 heures ?

Enquête | publié le : 02.03.2010 |

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Que reste-t-il des 35 heures ?

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Malgré les coups de boutoir qui lui sont régulièrement assenés, la réforme des 35 heures paraît bien installée dans les entreprises. Souvent au prix d'une sclérose de l'organisation du travail qui ne permet pas d'intégrer au débat des questions telles que les risques psychosociaux ou l'emploi des seniors.

Difficile, alors que la loi «Aubry II» vient tout juste de fêter ses dix ans*, de tracer avec précision les contours d'une pratique française en termes d'aménagement du temps de travail. Depuis près d'un an et demi, la crise économique a bouleversé toutes les tendances, voire toutes les certitudes. Ironie de l'Histoire : c'est au moment où, à la suite de la loi Tepa, la loi du 20 août 2008 devait achever de «libérer» l'employeur de ses corsets que les entreprises redécouvrent les vertus défensives des «vieux» outils de la réduction du temps de travail - annualisation, solde des compteurs JRTT, chômage partiel - pour préserver l'emploi, parfois même en imaginent de nouveaux, tel le «compte épargne temps débiteur» qui permet de gérer l'emploi sur une échelle pluriannuelle (lire p. 27).

Portant sur 2008, quelques études statistiques laissaient entrevoir un début d'appropriation des outils législatifs issus des deux dernières lois relatives au temps de travail. Publié en juin dernier, le dernier bilan de la négociation collective fait état d'un certain « regain » de la négociation sur l'aménagement du temps de travail lié au vote de la loi du 20 août 2008, soit 73 accords signés au niveau des branches, contre 60 en 2007. De son côté, l'Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss) indiquait, à la fin de l'année dernière, que 59 % des entreprises avaient utilisé le dispositif d'exonération des heures supplémentaires en mars 2008, contre 38 % en octobre 2007. Selon la dernière enquête de l'organisation, publiée le 22 février, ce chiffre serait redescendu à 39 % au dernier trimestre 2009.

Les inconnues de la sortie de crise

« Les cartes ont été brouillées du fait de la crise, souligne Valérie Jaunasse, responsable des formations droit du travail et relations sociales à la Cegos. Imaginés dans un tout autre contexte, ces outils n'ont pas eu le temps de s'imposer. » Les inconnues sur le devenir de l'aménagement du temps de travail lors de la sortie de la crise sont donc nombreuses. Ce qui ne fait plus de doute, c'est que, du fait de la loi du 20 août 2008 (lire encadré p. 24), les employeurs désireux de remettre à plat leur organisation disposent d'un véritable boulevard. Vont-ils pour autant l'emprunter ? Rien n'est moins sûr. La réforme des 35 heures, bien que parfois mal vécue par certaines catégories de salariés, fait aujourd'hui figure «d'acquis social» difficile à mettre à terre. En témoignent les mouvements de grève essuyés par certaines directions promptes à se réinstaller à la table des négociations (lire p. 24). La dernière étude Réponse (Relations professionnelles et négociations d'entreprises), réalisée par le ministère du Travail et publiée en 2005, indique, ainsi, que le temps de travail est devenu la seconde cause de conflit dans les entreprises, juste derrière les salaires. Après avoir largement bénéficié des contreparties introduites par les lois Aubry en termes de flexibilité, les entreprises n'ont, de toute façon, jamais massivement souhaité revenir sur le sujet.

« Les entreprises aussi se sont accommodées des 35 heures, observe Jean-François Veysset, vice-président affaires sociales de la CGPME. Leur accord résulte d'un équilibre longuement recherché qu'elles ne tiennent pas à rompre. »

« Après le vote de la loi Tepa, nous avons étudié pendant six mois un projet de renégociation qui aurait permis un décompte du temps à la semaine et non plus à l'année, potentiellement plus avantageux pour les salariés, explique Laurent Pinède, DRH du pôle Qualitest Industrie du groupe SGS. Il est vite apparu que les partenaires sociaux n'avaient pas de réelle volonté de revenir sur notre accord. Depuis dix ans, le groupe bénéficie largement, d'autre part, de l'annualisation négociée à l'époque. »

Crispation

En dépit de l'importante ouverture juridique, les lignes de force pourraient donc être très difficiles à déplacer. Un constat que finit par déplorer Martin Richer, directeur général du cabinet Secafi : « La réforme des 35 heures a malheureusement abouti à une crispation autour de la question du temps de travail. Le sujet étant perçu comme très sensible, personne ne veut plus y toucher. C'est regrettable, car, comme la crise nous le prouve, il y a pourtant des façons intelligentes de faire évoluer la durée du travail, à la hausse comme à la baisse, dans l'objectif de préserver l'emploi. » Pour le directeur de Secafi, ces tensions ne permettent malheureusement pas d'attaquer de front une question comme celle des risques psychosociaux, intimement liée à l'organisation du temps de travail. Maître de conférences à l'université de technologie Belfort-Montbéliard, Matthieu Bunel partage cet avis : « Depuis dix ans, on traite le temps de travail sous le seul angle de dossiers particulièrement épidermiques, comme celui des compensations salariales. Des questions fondamentales comme la gestion des périodes de formation au cours de la vie professionnelle ou celle de la fin de carrière auront finalement été complètement évincées. » « Il semble que la réforme des 35 heures ait privé les salariés d'un débat sur le temps, avant que celui-ci ne soit à son tour confisqué par les directeurs financiers, conclut Didier Pitelet, Pdg de l'agence On the Moon. Les marges de manoeuvre sont devenues très étroites. »

* Promulguée le 19 janvier 2000, la loi «Aubry II» fixait à 35 heures la durée légale du travail hebdomadaire à compter du 1er février pour les entreprises de plus de 20 salariés.

L'essentiel

1 La loi sur les 35 heures vient de fêter ses 10 ans. Elle a connu, depuis 2002, de nombreux assouplissements.

2 La crise a permis aux employeurs de redécouvrir les vertus des outils de réduction du temps de travail.

3 Les renégociations d'accords 35 heures dans les entreprises n'ont souvent abouti qu'à un toilettage.

La loi du 20 août 2008 : la (vraie) fin des 35 heures ?

En autorisant à plusieurs occasions employeurs et salariés à s'affranchir, de gré à gré, des règles communes - extension des forfaits hebdomadaires ou mensuels à tous les salariés, possibilité pour les cadres de travailler jusqu'à 235 jours ou de renoncer à leurs repos -, la loi du 20 août 2008 inaugure un contournement nouveau de la négociation collective en matière de temps de travail. « Bien que réservée, pour l'heure, à des cas précis, cette nouvelle logique introduit une rupture dans le droit du travail, explique Jérôme Pélisse, maître de conférences en sociologie à l'université de Reims. Jusqu'alors, pour modifier le temps de travail dans une entreprise, il fallait trouver un interlocuteur prêt à signer. Or, qui dit négociation dit, normalement, contreparties. Le droit du travail est en train de perdre son rôle de protection collective des salariés pour devenir un outil de gestion individuelle du travail au service du management. »

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