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« L'âge, facteur de discrimination, mais aussi critère de protection »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 23.02.2010 |

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« L'âge, facteur de discrimination, mais aussi critère de protection »

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La France est connue en Europe pour sa «culture de sortie précoce» du marché du travail. Or, la perception d'une discrimination liée à l'âge est en train d'évoluer, sous la pression du vieillissement de la population et de la nouvelle loi sur l'obligation d'emploi des seniors. De manière ambivalente, celle-ci réintroduit cependant un critère d'âge dans la gestion de l'emploi.

E & C : Vous avez publié une étude intitulée La lutte contre les discriminations liées à l'âge en matière d'emploi*. Vous constatez que cette lutte ne va pas de soi en France. Pourquoi ?

Elise Muir : Cela s'explique par un positionnement politique ancien, qui a considéré l'âge comme un critère naturel pour structurer différentes politiques publiques d'emploi et, par ricochet, les décisions des employeurs pour la gestion de leurs effectifs. Même les salariés ne s'offusquent pas des départs précoces qui ont pu leur être proposés via le mécanisme de retraites anticipées. Ils considèrent également comme normal de bénéficier, à partir d'un certain âge, d'une dispense d'emploi ou de recherche d'emploi. Certains experts parlent même de « culture de la sortie précoce » du marché du travail, qui distingue la France de la Grande-Bretagne ou des Etats-Unis, par exemple. Employeurs, employés et autorités ont, ainsi, depuis longtemps, utilisé des critères d'âge sans s'interroger sur la véritable légitimité de leur démarche. On ne parlait pas alors de discrimination, même si cela en était bel et bien.

E & C : Toutefois, l'appréhension du sujet a changé, comme l'évoquent Vincent Caradec et Alexandra Poli dans votre étude.

E. M. : Une certaine sensibilité émerge face à la différenciation et aux stéréotypes liés à l'âge, nouveau contexte démographique oblige. Ainsi, 46 % des Français interrogés sur leur perception de l'étendue des discriminations liées à l'âge dans leur pays répondaient, en 2008, lors d'une étude menée par la Communauté européenne, qu'ils considéraient celle-ci comme très étendue ou assez étendue. Cela place la France parmi les pays européens dont les ressortissants se sentent le plus affectés par ce type de discrimination. Faits à l'appui puisqu'une autre étude d'Adia-Observatoire des discriminations a conclu qu'un candidat de 48-50 ans recevrait trois fois moins de réponses positives à une offre d'emploi qu'un autre de 28-30 ans. Vincent Caradec et Alexandra Poli, quant à eux, datent la rencontre entre l'âge et la discrimination des années 1990. Deux éléments permettent, en effet, d'identifier un changement de logique dans notre pays : l'inflation d'articles dans la presse faisant référence à la notion de discrimination (mais essentiellement centrés sur les seniors) et la production institutionnelle rendant illégitime le critère d'âge.

E & C : La nouvelle obligation des entreprises de plus de 50 salariés, depuis le 1er février, d'avoir conclu un accord ou un plan seniors prévoyant le maintien dans l'emploi ou le recrutement de seniors ne réintroduit-elle pas l'âge comme variable ?

E. M. : Le critère d'âge est ambivalent. Les contributeurs de l'étude soulignent qu'il peut être non seulement facteur de discrimination, mais aussi critère de protection. Le cas du CPE illustrait l'ambiguïté du critère d'âge. Il s'agissait d'aider les jeunes à accéder à l'emploi en facilitant leur licenciement au moyen d'une période d'essai particulièrement longue. Le législateur français n'est pas le seul à avoir utilisé ce type d'approche. Les Allemands ont, en effet, rendu plus flexibles certains aspects du droit du travail afin que les employeurs ne soient plus réticents à l'embauche de travailleurs seniors. Il est délicat pour les autorités de s'attaquer à la gestion des âges sans utiliser des critères ad hoc. Pour autant, je pense qu'il est toujours intéressant et même incontournable de mobiliser les partenaires sociaux. Le débat doit avoir lieu. Reste à se positionner à plus long terme, car cet objectif socio-économique d'augmentation du taux d'emploi des classes d'âges défavorisées présente un risque : celui de laisser perdurer les préjugés et la stigmatisation à l'encontre des travailleurs selon leur âge.

E & C : Faut-il tendre au compromis ?

E. M. : Je m'interroge : ne va-t-on pas trop loin dans la lutte contre les discriminations liées à l'âge ? L'utilisation de critères d'âge est parfois utile. L'exclure totalement crée d'autres problèmes. Il faut nécessairement nuancer. Je n'ai pas encore LA solution. Mais je suis convaincue que les organes de contrôle des discriminations doivent accepter que l'âge peut être, dans certains cas, un critère utile, dès lors qu'il est appréhendé de manière raisonnée, transparente et mesurée dans une perspective à long terme. D'ailleurs, la directive européenne 2000/78 rendant les discriminations hors la loi prévoit toutefois la possibilité d'avoir recours à une liste de justifications permettant de légitimer non seulement une différence de traitement ayant un effet indirect sur une classe d'âge, mais aussi une différence de traitement fondée directement sur l'âge. L'article 6 du texte admet, ainsi, dans le cadre du droit national, des différences pour la fixation d'un âge maximum pour certains recrutements nécessitant, notamment, une période d'emploi raisonnable avant la retraite. Il évoque aussi certaines conditions minimales d'ancienneté. Un tel contenu traduit très clairement, à mon sens, une certaine inquiétude quant à une interdiction trop générale du recours aux critères d'âge, ainsi que la complexité de la lutte contre les discriminations liées à l'âge.

E & C : Quels autres critères pourraient concurrencer celui de l'âge ?

E. M. : Pourquoi ne pas utiliser des thématiques autour de la performance, de la compétence, de l'efficacité... Le tout devant être individualisé sans qu'il soit besoin de faire référence à une catégorie particulière de salariés. Le propos est, en effet, d'introduire des critères de distinction objectifs et neutres.

* Etude associant des contributions de chercheurs, sous la direction d'Elise Muir, Fondation pour l'innovation politique, juin 2009.

PARCOURS

• Elise Muir est chargée de cours en droit de l'Union européenne, à l'université de Maastricht (Pays-Bas). Docteure en droit de l'Union européenne (université de Londres, Queen Mary), elle a été chercheuse à la Fondation pour l'innovation politique, à la Columbia Law School, et à I'Institut universitaire européen.

• Elle a publié, dans la revue Mouvements, un article intitulé L'âge saisi par le droit communautaire (La Découverte, 2009).

LECTURES

Mémoires d'une jeune fille rangée, de Simone de Beauvoir, collection Folio, éd. Gallimard.

Dubliners, de James Joyce, éd. Ellipses

Marzi 1984-1987 : la Pologne vue par les yeux d'un enfant, de Sylvain Savoia & Marzena Sowa, éd. Dupuis, 2008.

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