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Les pratiques

Dix-huit mois de refondation sur fond de grève

Les pratiques | Retour sur... | publié le : 16.02.2010 |

La direction de Keolis Lyon met en place unilatéralement une nouvelle organisation du travail, alors que la renégociation des accords de l'entreprise n'a pas abouti.

Le 4 janvier, Keolis Lyon, gestionnaire des transports urbains lyonnais, a appliqué une nouvelle organisation du travail. Cette décision, «unilatérale», intervient un an et demi après la dénonciation des 300 accords, usages et pratiques de l'entreprise. Et à l'issue de négociations difficiles.

En juin 2008, pourtant, quand il avise les partenaires sociaux du démarrage d'un processus de dénonciation, Bernard Tabary, le directeur général de cette entreprise de 4 300 salariés, veut « redynamiser un dialogue social infructueux » et casser « l'empilement d'accords parfois contraires à la législation, voire sources d'inéquité ». Avec ce dispositif de refondation sociale, baptisé «Edifis», « il s'agissait aussi de reprendre la main sur le management », commente Patrice Van der Eecken, DRH.

Méthode violente

« La méthode était violente », juge Alain Auroy, délégué CFDT. Yves Gélibert, délégué CGT, admet aujourd'hui que « certains accords étaient obsolètes... Mais on aurait pu les renégocier petit à petit, plutôt que de faire table rase de soixante-dix ans d'histoire ! »

Dès le 27 juin, un mouvement spontané s'organise, avant une grève plus large, en septembre. Le ton monte, mais le processus s'engage. En novembre, la direction et l'intersyndicale (CGT, CFDT, FO, Autonome-Unsa, CGC-FE) signent un accord de méthode qui établit quatre thèmes de négociation - organisation du travail, rémunération, protection sociale, droit syndical - et fixe un calendrier. Il attribue des moyens aux OS et reporte les élections à novembre 2009. Les deux premiers thèmes doivent être bouclés au printemps, le troisième en juin et le dernier, en octobre.

Discussions reportées

Pourtant, malgré 43 réunions au 1er semestre, les discussions sur la protection sociale sont plusieurs fois reportées et le texte sur «l'organisation du travail et la rémunération», prêt à l'été, n'est pas signé par les OS. L'accord achoppe sur un sujet sensible : les conditions de travail des conducteurs (60 % des salariés), en particulier la gestion des récupérations. « La direction préfère les rétribuer, assure Yves Gélibert, mais, pour les conducteurs, qui ont des horaires si compliqués, il est capital d'avoir du temps libre. » En juillet 2009, « malgré un blocage extrême », la CFDT accepte de négocier «en bilatéral». Elle est exclue de l'intersyndicale.

A l'automne, le processus se poursuit, dans un contexte de grèves et d'élections internes. Le mouvement social, plus dur en septembre, s'amenuise suite à l'incendie criminel d'un dépôt de bus*. Les élections, en novembre, enregistrent une avancée de 8,9 % de la CFDT (24,97 %) et un recul de 2 % de la CGT, qui reste majoritaire (32,26 %). Début décembre, de nouvelles grèves ne parviennent pas à paralyser la fête des Lumières, à Lyon.

Dans le même temps, les discussions sur le droit syndical (4e thème d'Edifis) échouent. C'est un retour au Code du travail pour les institutions représentatives du personnel (IRP), « avec, commente Alain Auroy, 1 500 heures de délégation en moins chaque mois, moins d'élus et de représentants syndicaux au CE et, surtout, 9 membres au lieu de 23 au CHSCT ». La CFDT, divisée, ne signe pas les textes sur l'organisation du travail (3e version).

Faute de signataires, la direction opte alors, en janvier, pour une «application unilatérale», qui emprunte à la fois aux mesures négociées et à la convention collective. Ainsi, l'annualisation du temps de travail souhaitée par la direction est remplacée par une organisation en séquences de 12 semaines.

Mais, qu'est-ce qui a bloqué à Keolis Lyon ? « Cette entreprise vit dans une culture du conflit depuis des décennies », regrette Patrice Van der Eecken. « La faute aux mauvaises conditions de travail, rétorque Alain Auroy. Dans ce processus, on sentait aussi que la direction avait peu de marge, tenue par des enjeux financiers. » Yves Gélibert met en avant la prépondérance du Sytral, l'autorité organisatrice des transports lyonnais : « Avec la refonte du réseau de bus prévue en 2011, la nouvelle organisation du temps vise aussi à économiser de 250 à 300 emplois. »

Le tribunal en vue

Après une dernière grève, peu suivie, le 7 janvier, le cégétiste annonce « une vigilance qui peut aller jusqu'au tribunal, pour faire respecter les droits des travailleurs ». A la CFDT, Alain Auroy a le sentiment « d'une rupture réelle entre les salariés et les dirigeants ». Mais il compte quand même pouvoir « renégocier les accords sur l'organisation du temps de travail et installer une commission de suivi ». Reste aussi le dernier thème d'Edifis, la protection sociale. « Nous avons travaillé avec les syndicats pour définir un cahier des charges et choisir nos prestataires », affirme Jean-Marie Joly, directeur des relations sociales. Le débat reste ouvert. Mais dans quel climat social ?

(*) Cet incendie, qui a détruit 34 bus le 29 septembre 2009, est condamné par la direction et les syndicats. L'enquête n'a pas encore abouti.

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