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« Le RSA renforce la précarité du travail féminin »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 16.02.2010 |

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« Le RSA renforce la précarité du travail féminin »

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En permettant le cumul du revenu d'assistance et de celui d'activité, le revenu de solidarité active (RSA) favorise les temps partiels courts. Ces «petits boulots», majoritairement occupés par des femmes, les maintiennent dans la précarité et l'emploi non qualifié.

E & C : Vous avez souligné* que la mise en place du RSA risquait d'accentuer la tendance au cantonnement des femmes dans le temps partiel. Pourquoi ?

Jean Gadrey : Le RSA est un complément de revenu. Ce n'est pas une aide directe aux entreprises comme cela a pu exister avec les aides au temps partiel, via les réductions de cotisations sociales. Mais il constitue une incitation indirecte, d'autant plus forte que le temps partiel proposé est court. En effet, et c'est cela le fait majeur, le complément de revenus est plus important pour les personnes accomplissant 10 heures par semaine plutôt que 25 heures. Cela peut pousser l'employeur à multiplier les «petits boulots à durée indéfinie» pour avoir une organisation du travail plus flexible. Comme 82 % des salariés à temps partiel sont des femmes, ce sont elles qui sont concernées au premier chef.

E & C : Le RSA représente-t-il donc un effet d'aubaine pour certains employeurs ?

J. G. : Il n'existe pas d'évaluation pour le moment. Quant à l'évaluation préalable à laquelle a été soumis le RSA avant sa généralisation, elle n'a pas pu, compte tenu des délais, examiner cet aspect. Mais, si l'on regarde comment les choses se sont déroulées lors de la libéralisation du temps partiel en 1981 ou, dans les années 1990, avec les aides publiques au temps partiel, à chaque fois, cela a été une aubaine pour certains secteurs et le taux de temps partiel a progressé. Mais, cette fois, c'est une aubaine particulièrement pour les secteurs tentés de pratiquer les temps partiels courts.

E & C : Le cumul temps partiel/RSA est aussi une aubaine pour les salariées : une femme isolée avec un enfant, qui travaille à mi-temps au Smic, perçoit 525 euros de salaire et 469 euros de RSA, selon le dossier de presse sur le bilan de mise en oeuvre du RSA à six mois...

J. G. : Une personne qui ne gagne que la moitié d'un Smic ne peut qu'apprécier l'aide publique. Mais la question est de savoir si on ne l'enferme pas dans ce statut d'assisté. Si l'on raisonne sur l'ensemble des personnes concernées, on a vraisemblablement une incitation à l'augmentation de tels petits boulots aidés.

E & C : RSA ou pas, la progression du temps partiel féminin n'est-elle pas une tendance lourde ?

J. G. : Non, car on constate qu'entre 2005 et 2007, le taux de temps partiel féminin n'a plus progressé. Cela a été dû, par exemple, à la mobilisation des salariés de la grande distribution, qui ont conduit des enseignes à proposer davantage d'emplois à temps plein, notamment aux caissières. De même, certaines grandes organisations de services à la personne se sont efforcées de faire passer leurs salariées à du temps partiel plus long. Ma crainte est que le RSA ne vienne contrecarrer cette tendance et que ne s'institutionnalise un «précariat» féminin subventionné par le RSA. Je ne vois pas, dans ce contexte de crise, pourquoi les employeurs n'y recourraient pas. Ce n'est pas le cas de tous. Une partie d'entre eux ont conscience qu'il faut offrir des temps pleins correctement rémunérés. Le morcellement excessif des temps de travail conduit d'ailleurs à une dégradation du climat social, ce qui représente un coût. Mais il y a tout de même des secteurs qui abusent.

E & C : Qu'aurait-il fallu faire ?

J. G. : Je pense qu'il aurait été plus efficace de consacrer les sommes dédiées au RSA à la lutte contre la précarité. Ce serait aussi rendre un service à l'économie. Comment peut-on penser apporter une réponse aux besoins de plus en plus importants des personnes âgées avec des petits boulots, des gens peu qualifiés et mal payés ? En Suède, les emplois d'aide aux personnes âgées sont effectués par un personnel qualifié et payé en moyenne 30 heures par semaine. Rien à voir avec la France, où la durée hebdomadaire moyenne de travail dans les services à la personne est d'environ 10 heures. Avec le RSA, on mélange lutte contre la pauvreté et aide au retour à l'emploi, et on n'aboutit pas très bien, ni sur l'un ni sur l'autre champ.

Il aurait fallu créer un RSA comme complément de bas salaire en appui transitoire à une politique de lutte contre les petits boulots. Le rapport Hirsch de 2005 - intitulé «Au possible nous sommes tenus» - affirmait pourtant clairement que la mise en place du RSA serait accompagnée d'une telle politique, mais cela ne s'est pas fait.

E & C : N'y a-t-il pas un consensus autour du temps partiel destiné aux femmes ?

J. G. : L'idéologie du salaire d'appoint, de la «conciliation», a présidé aux politiques d'emploi vis-à-vis des femmes. Mais ce n'est pas un consensus : c'est un objet de débat contradictoire. Le Bureau international du travail, par exemple, a élaboré des normes de travail décent et les petits boulots ne sont pas du travail décent.

Outre qu'il est aujourd'hui largement subi, le temps partiel associé au RSA ne constitue pas une solution d'avenir quand on sait qu'il concerne beaucoup de familles monoparentales qui n'ont que ça pour vivre ; dans 85 % d'entre elles, la femme est chef de famille, ce qui représente 1,7 million de femmes. Cela ne devrait être qu'une mesure transitoire s'inscrivant en reconsidération de l'emploi à temps partiel.

* «L'institutionnalisation du «précariat» féminin subventionné», in Travail, genre et sociétés, n° 22, novembre 2009.

PARCOURS

• Jean Gadrey est professeur émérite d'économie à l'université Lille-1 et membre du Cnis (Conseil national de l'information statistique).

• Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont En finir avec les inégalités (éd. Mango Littérature), et, avec Florence Jany-Catrice, Les nouveaux indicateurs de richesse (éd. La Découverte, 2005, réactualisé en 2007).

• Il publie régulièrement des articles ou tribunes dans Alternatives économiques, Les Cahiers français, Politis, Le Monde. Il tient un blog sur le site d'Alternatives économiques : <www.alternatives-economiques.fr/blogs/ gadrey>

SES LECTURES

Le changement climatique expliqué à ma fille, Jean-Marc Jancovici, Seuil, 2009.

Petit dictionnaire (illustré) des mots de la crise, Philippe Frémeaux, Les petits matins, 2009.

L'élégance du hérisson, Muriel Barbery, Gallimard, 2006.

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