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«A travail égal, salaire égal». Différence de catégorie professionnelle : les inquiétants développements de la jurisprudence

Enjeux | Chronique juridique par AVOSIAL | publié le : 16.02.2010 |

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«A travail égal, salaire égal». Différence de catégorie professionnelle : les inquiétants développements de la jurisprudence

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Une salariée est licenciée pour motif économique. Elle saisit la juridiction prud'homale pour contester la légitimité de son licenciement. A cette occasion, elle demande un complément d'indemnité conventionnelle de licenciement et d'indemnité compensatrice de préavis en se fondant sur le principe de l'égalité de traitement.

En vertu de la convention collective, les cadres de l'entreprise bénéficient de trois mois de préavis et d'une indemnité de licenciement égale à un mois de salaire après trois ans d'ancienneté, à laquelle s'ajoute 1/3 de mois par année supplémentaire, alors que les non-cadres bénéficient de deux mois de préavis et d'une indemnité de licenciement déterminée selon des règles moins avantageuses.

Le conseil de prud'hommes déboute la salariée de sa demande et cette dernière fait appel.

La cour d'appel de Montpellier (4 novembre 2009, Coopérative l'Occitane) décide que « la seule différence de catégorie professionnelle ne peut en elle-même justifier, pour l'attribution d'un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives et pertinentes ».

La cour d'appel reprend l'attendu de principe de la Cour de cassation des arrêts du 20 février 2008 (Cass. soc. 20 février 2008, n° 05-45601) et du 1er juillet 2009 (Cass. soc. 1er juillet 2009, n° 07-42675,) concernant l'égalité de traitement et les différences de catégorie professionnelle. Elle applique cette solution aux indemnités conventionnelles de licenciement et à l'indemnité compensatrice de préavis, procédant, ainsi, à un singulier élargissement du principe d'égalité de traitement.

Cette jurisprudence est-elle fondée, dans la mesure où l'existence même des catégories professionnelles est reconnue par le Code du travail : dans le domaine de la négociation collective (articles L. 2221-2, L. 2261-22 ou L. 2241-6) ou des élections professionnelles (article L. 2314-21), par exemple ?

En outre, les salariés concernés se trouvent dans des situations différentes. En effet, cadres et non-cadres n'effectuent pas un travail de « valeur égale » (pour reprendre la terminologie habituelle des arrêts de la chambre sociale). Leurs fonctions et leurs responsabilités ne sont pas les mêmes. Le principe «à travail égal, salaire égal» ne devrait donc pas s'appliquer. En réalité, si un salarié non cadre effectue un travail de même valeur qu'un salarié cadre, le problème n'est pas celui de l'égalité de traitement, mais celui de la classification. La solution de la jurisprudence est donc très critiquable.

Pour la Cour de cassation et la cour d'appel de Montpellier, lorsqu'il existe une différence de traitement, celle-ci doit reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence, au regard de l'avantage considéré. En réalité, on peut s'interroger sur le principe même de ces justifications. Pourquoi et comment faut-il justifier une situation, par principe, différente ? Les cadres et les non-cadres n'effectuant pas un travail de valeur égale, il ne devrait pas être nécessaire de motiver la différence de traitement.

Néanmoins, l'employeur a tenté d'expliquer la différence de traitement en se fondant sur les différences de responsabilité et de qualification. De même, l'indemnité de licenciement, qui vise à indemniser une perte de salaire, est plus élevée pour les cadres car le préjudice subi est plus important.

Dès lors, la solution de la cour d'appel est critiquable : la performance, l'expérience, les tâches, la technicité, les responsabilités et les diplômes ne sont pas les mêmes pour les salariés cadres et les salariés non cadres.

A notre avis, l'évolution jurisprudentielle vide de son sens le principe «à travail égal, salaire égal» et, plus généralement, celui de l'égalité de traitement. En outre, elle remet en cause le fondement même de l'ensemble des conventions collectives interprofessionnelles (ex. retraites cadres) ou de branche. Il serait donc très utile que les partenaires sociaux et le législateur reprennent «la main» et cantonnent avec plus de précision et de raison le champ d'application du principe - au demeurant tout à fait légitime - «à travail égal, salaire égal».

Gérard Kesztenbaum, avocat au cabinet Fidal, membre d'Avosial, le syndicat des avocats d'entreprise en droit social.