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L'entreprise s'adapte aux nouvelles règles

Enquête | publié le : 09.02.2010 |

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L'entreprise s'adapte aux nouvelles règles

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Les entreprises semblent plutôt bien s'accommoder de la réforme de la représentativité syndicale. Les zones d'ombre de la loi du 20 août 2008, sources d'insécurité juridique, se réduisent progressivement. Mais la résistance s'organise du côté des syndicats qui ont perdu leur représentativité ou qui risquent de la perdre.

Les entreprises s'adaptent plutôt bien aux nouvelles règles de la démocratie sociale ; les syndicats, un peu moins. Un an et demi après l'adoption, le 20 août 2008, de la loi «portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail», le bilan d'étape de cette réforme, qui doit aboutir à une recomposition du paysage syndical en août 2013, diffère fortement selon que l'on se place du point de vue des DRH ou de celui des syndicats.

La plupart des craintes exprimées par les premiers ne se sont pas concrétisées. Les implantations de nouveaux syndicats, rendues possibles par l'ouverture du premier tour des élections aux organisations non représentatives, sont rares. « Nous ne constatons pas de créations massives de syndicats, du fait de la faiblesse du vivier de militants », constatait Charles-Louis Molgo, chef du bureau des relations collectives du travail à la Direction générale du travail du ministère, au cours d'un colloque organisé en janvier par l'Association française des relations professionnelles (Aferp).

Blocage des négociations

Certains craignaient que la négociation collective ne se grippe, voire se bloque, après l'application - le 1er janvier 2009 - des nouvelles règles de validité des accords d'entreprise, désormais conditionnée à une double majorité d'engagement (signature par des syndicats pesant 30 % des suffrages) et de non-opposition (50 %). Le prochain bilan de la négociation collective du ministère du Travail, publié en général en milieu d'année, devrait donner les premières indications.

Deux précisions sont, cependant, à noter. Le droit d'opposition, qui existe depuis 2004, n'a pas fait baisser le nombre d'accords d'entreprise signés chaque année. Par ailleurs, les cas d'entreprise où la signature d'accords est impossible, du fait que les syndicats représentatifs ne pèsent même pas 30 %, parce que le paysage syndical est complètement éclaté, ne peuvent qu'être rarissimes, même si cette situation est possible arithmétiquement.

Impact

Reste la question de l'impact du nouveau système, organisé autour des élections, sur la culture de négociation des syndicats. « Les organisations syndicales ne vont-elles pas privilégier une approche de court terme ? », s'interroge, ainsi, Philippe Lemauff, DRH de Teleperformance.

Doctrine sécurisante

Les DRH craignaient également que la loi du 20 août, avec ses nouveautés perturbantes et ses multiples zones d'ombre, crée de l'insécurité juridique. La production rapide et en vagues successives d'une doctrine sécurisante a réduit ces zones d'ombre. Les DRH ont, ainsi, pu s'appuyer sur la circulaire du 13 novembre 2008 de la Direction générale du travail, qui a éclairci de nombreux points techniques.

De son côté, la Cour de cassation a rapidement répondu à des questions laissées en suspens par deux séries d'arrêts, le 8 juillet 2009, puis le 13 janvier 2010 (lire p. 23). Il ressort, notamment, que seules les irrégularités susceptibles d'avoir une incidence sur le seuil de 10 % justifient d'annuler le scrutin. Ce qui expliquerait que les contestations de résultats de scrutins, dont les DRH devaient assurer la bonne tenue, soient apparemment rares, malgré l'enjeu fort autour de l'audience.

Les partenaires sociaux apportent leur pierre à l'édifice à travers le Haut conseil du dialogue social (HCDS), instance multipartite saisie des questions de représentativité surgies de la loi du 20 août, comme celle du seuil de représentativité à appliquer (8 % ou 10 % ?) dans la dizaine de branches mono-entreprise, dont Pôle emploi (lire p. 28). Pour le moment, le HCDS, dont les travaux, parfois interprétés, gagneraient à être publiés, a souligné les difficultés de collecte et de traitement des PV d'élections, et s'est prononcé sur la présence de la CFE-CGC dans les différents collèges (lire p. 26).

Dialogue social dans les TPE

Le gouvernement n'est pas en reste, qui affiche une volonté forte de faire aboutir le dossier du dialogue social dans les TPE, sans lequel la loi du 20 août risque l'inconstitutionnalité. Xavier Darcos, ministre du Travail, affirme de nouveau cette volonté dans une interview qu'il nous a accordée, tout en annonçant un report, « avant l'été », d'un projet de loi jusqu'alors prévu pour le premier trimestre (lire p. 29). Xavier Darcos en profite pour relativiser un chiffre annoncé par le Premier ministre. Selon François Fillon, seules 10 % des entreprises font remonter les chiffres d'audience des syndicats. Un taux issu du HCDS, selon nos informations. Cette faible proportion, rappelle Xavier Darcos, concerne, en fait, la première année - par ailleurs pauvre en élections professionnelles - d'un cycle électoral de quatre ans.

Les accords d'entreprise interviennent comme un dernier rideau pour bloquer les litiges qui ne l'ont pas été en amont. Les partenaires sociaux de Teleperformance se sont, ainsi, efforcés de préciser les points qui pouvaient faire l'objet d'interprétations (lire p. 25).

Tout cela n'empêche pas que certaines questions restent encore sans réponse, comme le renoncement des salariés mis à disposition à voter aux élections de l'entreprise utilisatrice, ou la capacité d'un syndicat catégoriel à signer un accord généraliste (cas de la CFE-CGC de Teleperformance), pour n'en citer que deux (lire encadré p. 24).

Risques de contestation

Pour le moment, ces questions restent cantonnées aux cénacles de juristes. Mais rien ne dit que les syndicats ou les directions ne vont pas, un jour ou l'autre, se les approprier pour contester un résultat d'élection. Comme le note un observateur, « le pire est peut-être à venir ».

Car, les syndicats qui n'ont pas obtenu 10 % ne sont pas prêts à abandonner leur représentativité sans livrer bataille.

Les risques de contestation augmentent au fur et à mesure qu'on approche des 9,9 %. Michel Genevrier, délégué syndical CFTC à BNP Paribas, raconte, ainsi, comment il a réussi à démontrer, avec l'aide de sa confédération, qu'il n'était pas sous l'emprise de la loi du 20 août, ce qui a permis à son syndicat de rester représentatif, alors qu'il n'avait obtenu que 9,8 % des voix (lire p. 26). De son côté, Bertrand Collot, délégué CFE-CGC (9,26 % tous collèges confondus) de l'Afpa, ne cache pas qu'il envisage de désigner des DS même là où son syndicat n'est pas représentatif, et qu'il ira « chercher la jurisprudence » (lire article p. 27). FO a franchi le pas et désigné, dans l'entreprise bretonne SDMO Industrie, un délégué syndical qui n'avait pas obtenu 10 %. Le 27 octobre dernier, le tribunal d'instance de Brest lui a donné raison. L'union départementale (UD) FO du Finistère, qui avait saisi le juge, faisait valoir que la condition d'audience n'est pas compatible avec les textes internationaux sur la liberté syndicale ; que son syndicat était représentatif dans le collège ouvrier, où il obtient plus de 10 %, même si ses statuts sont généralistes ; et que les règles spéciales qui s'appliquent à la CFE-CGC, mais pas à FO, étaient discriminatoires.

Encore beaucoup de questions

La CFDT a immédiatement annoncé un pourvoi en cassation.

La CFTC est très remontée contre la réforme, même si elle n'en conteste pas l'esprit. « Il y a beaucoup de flou : cette loi a été faite trop vite », relève Gabrielle Simon, vice-présidente de la CFTC, qu'elle représente au Haut conseil du dialogue social. Et de s'interroger : « Quelle confiance accorder aux résultats agrégés quand la DGT elle-même reconnaît 70 % d'erreurs dans les remontées des Cerfa ?

Quid des TPE, où il n'y a pas d'élections, et des entreprises où il y a carence de candidatures ? Comment prendre en compte les voix de la CFE-CGC quand il y a un collège unique ? Où comptabilise-t-on les résultats des élections des entreprises qui n'appartiennent à aucune branche, et ceux des entreprises appartenant à plusieurs branches ? Il faudrait des modifications à cette loi. »

FO en première ligne

Mais c'est surtout FO qui mène le combat. En désignant un délégué qui n'a pas obtenu 10 %, FO attaque le coeur même de la réforme. Interrogé sur ce sujet en novembre, dans le cadre d'une rencontre organisée par l'Association des journalistes de l'information sociale (Ajis), Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, a confirmé que la confédération soutenait son UD du Finistère. Depuis, FO a saisi le Bureau international du travail. Les deux procédures sont en cours.

L'essentiel

1 Un an et demi après le vote de la loi sur la représentativité syndicale, les directions d'entreprise semblent s'adapter sereinement à la réforme.

2 Les pouvoirs publics, le juge et certains partenaires sociaux ont, en effet, oeuvré à sécuriser la loi. Plusieurs questions restent encore, cependant, sans réponse.

3 En revanche, les syndicats qui ne sont plus représentatifs ou risquent de ne plus l'être s'accomodent mal de la remise en cause de leur situation acquise. C'est FO qui mène la fronde.