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« Le passage au statut cadre est encore possible pour les peu diplômés »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 09.02.2010 |

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« Le passage au statut cadre est encore possible pour les peu diplômés »

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Le statut cadre ne s'obtient pas automatiquement par le diplôme. La promotion interne reste la voie la plus fréquente pour y accéder, surtout en période de récession, quand les recrutements externes sont gelés.

E & C : Qui sont les cadres promus, et dans quelles entreprises se trouvent-ils ?

Sophie Pochic : Alors qu'on associe généralement, en France, statut cadre et diplôme élevé - bac + 3 minimum -, on oublie souvent que 48 % des cadres d'entreprise ont un diplôme de niveau inférieur ; 30 % d'entre eux n'ont au maximum que le bac, ce qui représente plus de 500 000 personnes au total. Les itinéraires de promotion témoignent du fait qu'il a existé ou qu'il existe encore de la mobilité interne pour les peu diplômés, même si elle est en recul depuis les années 1980. Le «passage-à-cadre» est très sélectif et plus probable dans certains contextes. Les fonctions administratives et les fonctions commerciales sont, ainsi, relativement ouvertes à la promotion. Près d'un cadre sur deux, administratif et commercial de plus de 50 ans, ne possède pas de titre supérieur au baccalauréat. Des secteurs d'activité sont également d'autant plus propices, notamment quand ils sont en expansion, qu'il n'existe pas encore de formation reconnue pour exercer une fonction ou que leurs conditions de travail ou leurs salaires attirent peu les diplômés, à l'image de l'hôtellerie-restauration ou de la grande distribution.

E & C : Comment les cadres promus cohabitent-ils avec les diplômés ?

S. P. : En fait, cela varie fortement suivant les contextes. Dans certains secteurs, comme la métallurgie, le modèle du cadre est encore l'ingénieur issu des grandes écoles, et la frontière cadres/non-cadres est toujours très marquée. Le «passage-à-cadre» est alors conçu comme un seuil, avec des formations spécifiques, parfois continues diplômantes, comme celles du Cnam, et des épreuves formalisées. Les techniciens promus se vivent alors souvent comme des transfuges, experts dans leur domaine, mais ils osent peu briguer ou sont peu choisis pour des postes de manager. D'autres secteurs, comme la banque ou l'assurance, pratiquent la promotion interne de manière traditionnelle et très cadrée, avec des parcours d'évolution connus de tous les salariés. Dans des multinationales d'origine anglo-saxonne, mais aussi dans les PME, les niveaux et types de diplôme étant plus variés, l'acquisition du statut cadre est davantage vécue et organisée comme un continuum validant l'expérience professionnelle. Mais il faut faire attention à ne pas opposer diplômés et promus, car ces catégories sont très relatives. Contrairement aux idées préconçues, l'accès direct au statut cadre en début de vie active ne concerne qu'une petite minorité, principalement les diplômés d'écoles d'ingénieurs.

E & C : Pouvez-vous donner quelques repères chiffrés ?

S. P. : En 2007, sur 100 diplômés du supérieur long - bac + 3 et plus - sortis entre un et quatre ans plus tôt, seuls 41 sont déjà dans la catégorie cadres et professions intellectuelles supérieures. Il faut, au minimum, un délai de onze ans pour que la proportion dépasse les 50 %. Cet accès différé au statut cadre de jeunes diplômés, notamment ceux issus de l'université, est lié à leur déclassement à l'embauche, qui est compensé au bout de quelques années d'intégration dans l'entreprise, notamment en période de croissance économique - la période 1998-2003 notamment. Des jeunes titulaires d'un bac + 4 ou +5 peuvent désormais commencer par des CDD non-cadres, puis obtenir le statut aux alentours de 30 ans. En revanche, plus le niveau de diplôme initial est faible, plus le temps d'accession au statut cadre est long et semé d'embûches. Parfois soumis à de la mobilité géographique, à l'expérience d'encadrement d'une équipe, dépendant du soutien et de la cooptation des responsables hiérarchiques successifs, ces parcours d'exception sont plus souvent masculins. Bien qu'elles soient plus diplômées, en moyenne, que les hommes, les femmes sont moins promues, avec un net plafond de verre au niveau du «passageà-cadre», notamment dans les fonctions techniques. En moyenne, en termes de salaire, les promus entrent en bas de la catégorie cadres et ont, ensuite, de faibles perspectives de progression.

E & C : Quel avenir peut-on prédire à cette catégorie de cadres ?

S. P. : L'existence de cadres formés «sur le tas» est généralement interprétée comme la survivance d'une époque de pénurie de diplômés qui devrait être résorbée par l'élévation des niveaux de formation initiale. Mais, cette vision mécaniste prend peu en compte les flux de mobilité qui alimentent la catégorie, aussi bien à l'entrée qu'à la sortie. Même si la promotion interne est moins sensible à la conjoncture que la mobilité externe, pendant les périodes de récession, où les embauches sont bloquées, la promotion interne peut être relancée, moyen économique pour les entreprises de pourvoir les postes vacants de cadre. A l'inverse, en cas de licenciement et de passage par une période de chômage, la situation est plus difficile pour les promus. Le risque de mobilité descendante est assez important, et en augmentation pour les moins diplômés, car, en France, les recruteurs reconnaissent peu l'expérience professionnelle et considèrent souvent ces personnes comme des «faux cadres», qui auraient, en quelque sorte, usurpé leur statut. Pour retrouver un emploi, certains vont donc accepter de revenir à un statut et à un salaire d'agent de maîtrise, voire d'employé, ce déclassement étant d'autant plus difficile à accepter que la promotion avait été obtenue par des efforts longs de retour aux études.

PARCOURS

• Sophie Pochic est chercheuse au CNRS en sociologie du travail. Elle est membre d'un réseau de recherche interdisciplinaire sur les cadres (http://gdr-cadres.cnrs.fr/) et de l'Observatoire des cadres de la CFDT.

• Elle vient de publier, avec Charles Gadéa, Des «disparus» bien présents : les cadres issus de la promotion (Education permanente, n° 178, 2009) et, avec Cécile Guillaume, Les carrières des cadres au coeur des restructurations (Sociologie du travail n° 1, 2009).

LECTURES

Les cadres à l'épreuve du travail, Olivier Cousin, Presses universitaires de Rennes, 2008.

La promotion interne et les cadres. Les études de l'emploi cadres, Apec, janvier 2008.

De la difficulté à devenir cadre par promotion, Manuella Baraton, Insee Première n° 1062, 2006.

Savoirs et carrières : que nous apprennent les cadres promus ?, Les Cahiers du GDR Cadres n° 9, 2005.