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Un chantier au long cours

Enquête | publié le : 02.02.2010 |

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Un chantier au long cours

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Plus de 2 millions de salariés sont exposés au risque cancérogène en entreprise. Dans le cadre du récent plan santé au travail 2010-2014, le ministre du Travail a rappelé que ce dossier fait partie des priorités. Les actions d'information et de formation se multiplient sur ce chantier de longue haleine.

Les pouvoirs publics multiplient les initiatives pour mieux prévenir les cancers professionnels. Le scandale de l'amiante aura servi de détonateur : le matériau, première cause des cancers professionnels devant les poussières de bois, est à l'origine de 3 000 décès par an en France, d'après l'Andeva (Association nationale de défense des victimes de l'amiante). Au cours de leur activité professionnelle, 13,5 % des salariés sont exposés à un ou plusieurs facteurs cancérogènes, soit 2,3 millions de personnes (1), dont 70 % sont des ouvriers. Et l'InVS (Institut de veille sanitaire) estime entre 11 000 et 23 000 le nombre de nouveaux cas de cancer professionnel par an. Toutefois, « la sous-déclaration demeure très importante : en 2008, 1 649 cancers professionnels ont été reconnus au régime général (2) », souligne Jean-François Certin, ingénieur-conseil à la Cram des Pays de la Loire, coordonnateur des actions des Cram sur le sujet. Au cours de leur carrière, les victimes n'ont pas forcément entendu parler de ce risque, et la maladie se révélant de nombreuses années plus tard, la démarche de déclaration peut leur échapper.

Face à ces constats préoccupants, plus de 2 500 signataires ont ratifié, à ce jour, un «appel à la mobilisation contre les cancers professionnels», lancé en janvier 2009 par le magazine Santé et Travail. Un autre appel à l'action a clôturé le colloque du 18 novembre dernier organisé par l'INRS (Institut national de recherche et de sécurité), «Prévenons les cancers professionnels» (3).

Deuxième plan santé au travail

Le 15 janvier, l'annonce par Xavier Darcos, ministre du Travail, des premières orientations du deuxième plan santé au travail 2010-2014, incluait parmi les priorités la prévention des cancers professionnels. Quant au plan cancer 2009-2013, il prévoit, également, d'améliorer leur recensement, d'effectuer des campagnes de contrôles renforcés de l'application des réglementations, et d'élaborer à l'attention des médecins du travail et des médecins traitants des recommandations de bonnes pratiques.

La prévention des cancers professionnels figurait déjà dans les orientations prioritaires de la branche AT/MP pour 2004-2007 ; plus récemment, la Cnamts a signé avec l'Etat une convention d'objectif et de gestion (COG) 2009-2012, dont l'objectif est de soustraire 100 000 salariés au risque CMR dans 10 000 établissements suivis, en associant les services de santé au travail (SST).

Cinq secteurs concentrent la moitié des salariés exposés : la construction, le commerce et la réparation automobile, la métallurgie, les services opérationnels, et la santé.

Produits de substitution

La réglementation (4) relative aux agents chimiques cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction prévoit une obligation de substitution des agents CMR par un produit ou un procédé sans danger ou moins dangereux, lorsque cela est techniquement possible. Lorsque la substitution n'est pas possible, l'employeur doit mettre en oeuvre tous les moyens permettant d'éviter l'exposition (système clos ou moyens de protection collective ou individuelle).

« Nous promouvons la démarche de substitution, mais les entreprises doivent intégrer qu'une telle démarche prend du temps et peut coûter de l'argent », indique Jean-François Certin. Pour inciter les entreprises à agir en ce sens, un site Internet dédié a été lancé par l'Afsset (Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement) en avril 2009, <www.substitution-cmr.fr>. « Aujourd'hui, 24 substances CMR, pour lesquelles la substitution est possible par un autre agent chimique ou par un procédé non dangereux ou moins dangereux, sont répertoriées sur le site, et nous enquêtons actuellement sur 53 autres substances », précise Sophie Robert, chef de l'unité Sources et procédés à l'Afsset. Petit à petit, le règlement Reach conduit aussi les entreprises à intégrer cette démarche.

Contrats de prévention

Pour contrer l'obstacle financier, les Cram peuvent, à travers des contrats de prévention, apporter des aides à l'investissement dans des dispositifs de sécurité. Exemple, « dans les Pays de la Loire, l'aide financière simplifiée s'élève à 10 000 euros pour un équipement en machines de pressing à eau, soit 33 % du coût de la nouvelle machine, ce qui rend l'investissement économiquement intéressant », estime Jean-François Certin. Le procédé se substitue au perchloréthylène, solvant utilisé pour le nettoyage à sec, et classé cancérogène de catégorie 3.

Autre inititiative, du côté des branches professionnelles : l'UIMM, l'UIC et la Fipec ont signé, en avril 2008, des conventions dites «CMR» avec le ministère du Travail, la Cnamts, l'INRS, par lesquelles elles s'engagent à inciter leurs adhérents à respecter leurs obligations en matière de prévention du risque CMR. « Quand c'est techniquement possible, nous constatons que nos adhérents se sont débarrassés des produits CMR », affirme Philippe Brunet, responsable technique et réglementaire production de la Fipec. « Depuis début 2009, j'ai recommencé un tour de France des régions pour informer les PME sur le terrain », rapporte Marie-Hélène Leroy, responsable sécurité et santé au travail de l'UIC. La cible des PME et TPE est particulièrement privilégiée aujourd'hui (lire p. 24).

Correspondants régionaux

« Nous avons fait beaucoup de progrès depuis dix ans en termes de prévention, mais ils ne sont pas homogènes. Certaines grandes entreprises se sont déchargées des tâches exposantes sur les plus petites, disposant de moins de moyens pour la prévention des risques professionnels », souligne Michel Héry, chargé de mission à la direction scientifique de l'INRS.

Parmi les dernières initiatives imaginées, il signale la formation de formateurs : « Nous allons former des correspondants régionaux des syndicats patronaux et de salariés à l'évaluation des risques chimiques et cancérogènes. Ils pourront eux-mêmes former des correspondants dans les petites structures de 10 à 20 salariés. » Deux UIC régionales participent à des sessions pilotes de ces modules avec des entreprises. Le déploiement total de ce programme est prévu pour 2011.

La loi Grenelle 1 de l'environnement du 3 août 2009 donne un support juridique à l'expérimentation de la traçabilité des expositions professionnelles dans cinq régions, à la suite des propositions du rapport Lejeune sur ce sujet (lire p. 29). « L'identification des produits utilisés est susceptible d'améliorer la prévention, et cela permettra aux salariés d'avoir une traçabilité des produits auxquels ils auront été exposés tout au long de leur carrière », se félicite Henri Forest, secrétaire confédéral en charge de la santé au travail à la CFDT et président de l'INRS.

Mais les obstacles à la prévention de ce type de risque ne manquent pas. Parmi eux, la méconnaissance des dangers. « Les cancérogènes ne sont pas achetés comme tels, ils peuvent polluer à l'insu de l'employeur, remarque Bernard Fontaine, médecin du travail à Lille. Il y a un combat à mener pour mieux les connaître. »

« La prévention souffre d'un manque de visibilité des activités potentiellement dangereuses, comme la maintenance, la réparation et les activités de nettoyage, où il est plus difficile d'identifier les sources de risques », insiste Michel Héry. Même l'amiante, interdite depuis 1997, est encore en place, à des endroits connus et, surtout, inconnus... « Beaucoup d'entreprises de second oeuvre du bâtiment sont exposées à l'amiante sans que personne ne le sache, le donneur d'ordres comme l'entreprise de travaux », poursuit-il (lire p. 28).

Une réglementation mal appliquée

Autre limite majeure, la mauvaise application de la réglementation. « Nous souffrons d'un problème d'effectivité de la loi : il y a une volonté d'être plus attentifs à ces expositions mais il n'y a pas de sanctions », déplore Jean-François Naton, conseiller confédéral à la CGT, en charge des questions de santé au travail. « Les employeurs sont tenus de remplir des fiches individuelles d'exposition aux risques toxiques, mais ils ne le font quasiment jamais », renchérit Henri Forest.

En 2006, l'inspection du travail avait mené une campagne de contrôle : seuls 40 % des établissements utilisant des agents CMR avaient évalué ce risque. Et seul un sur deux l'avait intégré dans son document unique. « En 2006, nous étions dans la première année d'application du premier plan santé au travail, et les 700 agents supplémentaires, sur quatre ans, prévus par le plan de modernisation de l'inspection du travail, ont commencé à se déployer en 2007 », nuance Jean Bessière, directeur adjoint à la DGT (direction générale du travail). Toutefois, il souligne que le nombre de visites consacrées aux CMR augmente (5 813 en 2007 ; 10 768 en 2008 ; et 11 000 en décembre 2009). Autour de 6 000 infractions ont été relevées en 2008 et 2009. Mais les agents de contrôle verbalisent peu : 126 PV depuis 2006 dans le champ des risques chimiques et CMR. Une campagne de contrôle relative aux risques chimiques est prévue pour 2010, en soutien d'une campagne européenne sur les lieux de travail sains.

(1) Selon l'enquête Sumer de 2003 relative à la surveillance médicale des risques professionnels.

(2) Source Cnamts.

(3) Le comité scientifique du colloque a retenu quatre priorités : l'information sur les risques ; le répérage, la suppression et la substitution des produits ; une action renforcée auprès des TPE et PME ; et une meilleure prise en compte des activités connexes à la production (maintenance, nettoyage, etc.).

(4) Décret n° 2001-97 du 1er février 2001, dit «décret CMR».

L'essentiel

1 Les préventeurs se mobilisent pour sensibiliser les entreprises à la prévention des cancers professionnels, dont le nombre de nouveaux cas est estimé entre 11 000 et 23 000 par an.

2 Des solutions existent, notamment la substitution de produits, même si elle est parfois difficile à mettre en place.

3 La cible des PME et TPE, plus démunies face à de tels risques, est particulièrement privilégiée.

Classification des substances cancérogènes

Cancer Principaux facteurs de risques professionnels identifiés % estimé

Poumon Amiante, rayonnements ionisants, radon, silice, métaux, HAP (1)... 10 à 20

Mésothéliome Amiante 85

Vessie Amines aromatiques et goudron de houille 2 à 14

Cancers naso-sinusiens Bois, nickel et chrome 7 à 40

Leucémies Benzène et rayonnements ionisants 5 à 18

La directive européenne 67/548/CEE relative à la classification, l'étiquetage et l'emballage des substances dangereuses, établit la liste des substances classées cancérogènes, mutagènes et/ou toxiques pour la reproduction (CMR). Elle ne concerne que les substances chimiques, qui sont classées en trois catégories :

catégorie 1 : substances cancérogènes pour l'homme ;

catégorie 2 : substances pour lesquelles on dispose d'éléments justifiant une forte présomption de leur effet cancérogène, mais aucune donnée sur l'homme ;

catégorie 3 : substances préoccupantes pour l'homme en raison d'effets cancérogènes possibles, mais pour lesquelles les informations disponibles ne permettent pas une évaluation satisfaisante.

Une autre classification est établie par le Centre international de recherche contre le cancer (Circ) :

groupe 1 : cancérogène pour l'homme ;

groupe 2A : cancérogène probable pour l'homme ;

groupe 2B : cancérogène possible pour l'homme ;

groupe 3 : agent non classable ;

groupe 4 : agent probablement non cancérogène.

Source : fiche Repères, cancers professionnels, Institut national du cancer.

Jurisprudence

Un employeur peut commettre une faute inexcusable même s'il respecte les valeurs limites d'exposition.

Des arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation des 28 février, 11 avril et 31 octobre 2002 ont posé le principe d'une obligation de sécurité de résultat de l'employeur. Le manquement à cette obligation a le caractère de faute inexcusable si l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris toutes les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Par un arrêt du 9 juillet 2009, la Cour de cassation est allée plus loin. Malgré le respect par l'employeur des seuils limites d'exposition de la législation de l'époque (avant le décret du 7 février 1996 relatif au seuil limite de concentration de fibre d'amiante dans l'air), la Cour de cassation a considéré qu'il avait commis une faute inexcusable.

« Cette position remet en cause l'idée que l'obligation de sécurité s'applique compte tenu de l'état de la technique, regrette Daniel Lejeune, inspecteur général des affaires sociales. Cette jurisprudence est dangereuse pour la sécurité juridique des employeurs et pour la prévention elle-même puisque le respect d'une valeur limite et l'engagement de mesures de prévention n'ont pas exonéré l'employeur de sa faute inexcusable. »

La Cour de cassation souhaitait en réalité mieux indemniser. « La seule solution serait d'adopter le principe de la «réparation intégrale» et de s'interroger sur l'efficience actuelle de la tarification des maladies professionnelles », estime Daniel Lejeune.

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