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« Les entreprises doivent se prémunir contre le risque sectaire »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 02.02.2010 |

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« Les entreprises doivent se prémunir contre le risque sectaire »

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Les importantes mutations en période de crise favorisent le risque d'emprise sectaire sur des entreprises et des salariés fragilisés. Une menace à intégrer à la gestion globale des risques de l'entreprise.

E & C : Crise économique, restructurations, émergence de risques psychosociaux... Ce contexte ouvre-t-il davantage la porte aux dérives sectaires ?

Henri-Pierre Debord : Le risque d'emprise sectaire, déjà bien réel, est particulièrement prégnant en période de crise. La situation économique et sociale actuelle fait apparaître des difficultés de positionnement de salariés, voire de cadres dirigeants, par rapport à leur employeur et aux organisations du travail. Les contraintes liées à certaines fonctions, les nécessités de mobilité, géographique et fonctionnelle, peuvent générer stress et instabilité, personnelle ou managériale. La relation de confiance entre le salarié et le projet d'entreprise s'est bien souvent relâchée. Pour les mouvances sectaires, qui prétendent avoir des réponses à toutes les préoccupations humaines, c'est du velours !

E & C : Pourriez-vous définir et décrire le risque sectaire auquel est confrontée l'entreprise ?

H.-P. D. : Il a beaucoup évolué depuis qu'en France, nous progressons dans l'analyse et la lutte contre ses manifestations. Dans les années 1990, il était exclusivement question de mouvements à caractère sectaire ; aujourd'hui, il s'agit d'un phénomène complexe et multiforme. Les modalités d'emprise mentale sont très diversifiées. Les cibles sont à la fois les ressources de l'entreprise, les processus de décision et les personnes dans leur identité et leur fonction. Les personnes clés, comme le DRH, sont particulièrement visées : l'intention de l'action à caractère sectaire est d'altérer leur jugement.

Le biais d'entrée est souvent une fonction externalisée : une assistance informatique, par exemple, car elle peut donner accès à des informations et à des fonctions vitales ; mais aussi une prestation de conseil, d'accompagnement du changement ou de formation. L'intervenant, en entrant dans une relation de proximité avec un petit nombre de cadres, souvent dans la durée, profite de cette opportunité pour influer sur leur intégrité physique et psychique. Le risque ultime est la mise en état de sujétion. Même les personnes qui ne s'estiment pas en situation de fragilité peuvent être concernées.

E & C : Faut-il pour autant se méfier de tous les prestataires ? Comment se prémunir ?

H.-P. D. : Il n'est pas question de jeter la suspicion sur une profession dans son entier, ou sur telle méthode ! Notre mission, à la Miviludes, est d'apporter une expertise permettant d'apprécier la réalité d'une menace. Nombre de personnes pensent que cela n'arrive qu'aux autres ; pourtant, les dérives sectaires se manifestent bel et bien dans les enceintes professionnelles. La première chose à faire est d'accepter ce défi et de l'intégrer à la gestion globale des risques.

Il convient, aussi, d'être en mesure de détecter certains signes. Nous avons décrit, dans un guide que nous avons réalisé pour le monde économique (1), les étapes d'investigation à conduire en interne pour prendre des mesures de prévention adéquates. Il peut ainsi être intéressant de s'interroger sur la portée exacte de termes mis en avant par certains prestataires en RH : «humanisme méthodologique» ou encore «analyse biostructurelle» ; «découverte du potentiel électromagnétique» ; «analyse psycho-organique» ; «EMF balancing technique», etc. La liste est longue, et le marché de plus en plus «ouvert». Mais l'énoncé de la méthode ne suffit pas à qualifier un risque. Il importe, pour le DRH ou le responsable formation, de vérifier la compétence du prestataire, de s'assurer, sur cahier des charges, de ses objectifs, de son appartenance éventuelle à un «réseau» - autour d'un droit de propriété intellectuelle de la méthode pour laquelle les diffuseurs ne sont pas maîtres du jeu. Il importe, enfin, de mettre en place un suivi de la prestation, à réévaluer en cas de doute. Que les choses soient claires : notre guide vise à conduire une analyse appropriée face à des incertitudes ou à un manque de transparence d'outils et d'intentions, pas à désigner a priori. Je considère plus que nécessaire d'accompagner les indispensables mutations, mais il est crucial de le faire en prenant en compte ces risques.

E & C : Qui est le plus à même de surveiller ces signaux d'alerte ?

H.-P. D. : Il me paraît utile de créer ou de développer, dans les grandes entreprises, un lien entre les directions de la stratégie, de la sécurité et sûreté du patrimoine, et celle des RH. Aucune d'elles ne porte la responsabilité entière de la vigilance concernant le risque sectaire. Pour les PME, qui ont des organigrammes plus concentrés, je suggère de lancer une réflexion en vue de la création de pôles de compétences dans les chambres consulaires, dans les conseils régionaux et dans les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux. Le but est encore loin ! Mais, chaque fois qu'il m'est donné d'intervenir devant des dirigeants d'entreprise, j'observe que la réflexion est engagée.

E & C : Le cadre législatif protège-t-il suffisamment les entreprises ?

H.-P. D. : La notion de dérive sectaire apparaît de manière explicite dans la loi du 24 novembre 2009, relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie (2) : les personnes condamnées pour des délits découlant de dérives sectaires encourent une interdiction, pendant cinq ans, d'exercer des responsabilités dans un organisme de formation professionnelle continue. Mais la loi ne fait pas tout ! Dans une période de profondes mutations, les acteurs de la menace sectaire abordent ce nouveau territoire avec appétit. Aux entreprises

et aux institutions socio-économiques de se donner les moyens d'agir, à titre préventif comme dans les situations d'urgence.

(1) L'entreprise face au risque sectaire.

(2) Article 50 de la loi n° 2009-1 437 du 24 novembre 2009.

PARCOURS

• Henri-Pierre Debord est conseiller à la Miviludes (services du Premier ministre) depuis 1999. Il est en charge du département économie, emploi, budget.

• Diplômé en sciences économiques, il a, notamment, occupé les fonctions de chargé de mission Corruption transnationale au ministère de la Justice et de chef d'une division de renseignement à la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières.

LECTURES

L'entreprise face au risque sectaire : un enjeu humain et économique, un défi professionnel, Miviludes, La Documentation française, 2007.

Courrier des maires, dossier à l'occasion du colloque national organisé par la Miviludes, à Lyon, le 26 novembre 2009 : <www.courrierdesmaires.fr/dossiers-guides/essentiel-sur-dossier-158.html>

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