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« Les sondages sont une alternative aux statistiques ethniques »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 26.01.2010 |

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« Les sondages sont une alternative aux statistiques ethniques »

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Alors que le Comedd (1) s'apprête à publier un rapport sur les statistiques ethniques, le débat porte toujours sur le choix des indicateurs et sur ce qu'il faut mesurer : la diversité ou les discriminations. La frontière entre ces deux notions est ténue, d'où une certaine confusion.

E & C : Quels sont les enjeux de la mise en place d'indicateurs mesurant la diversité ou la discrimination ?

Hédia Zannad : Il faut d'abord rappeler la différence entre ces deux termes. La lutte contre les discriminations entend s'assurer qu'aucun salarié n'est pénalisé du fait de son sexe, âge, origine, religion ou appartenance syndicale, ce qui est interdit par la loi. Elle se situe, pour l'essentiel, dans une logique de conformité et d'évitement des risques juridiques.

La promotion de la diversité renvoie, elle, à une politique plus ambitieuse : présupposant que les différences enrichissent une organisation, stimulent l'innovation et la rendent plus performante sur le plan économique ou social, elle se donne pour objectif de refléter la diversité de la société.

E & C : Les indicateurs de mesure de la diversité et de la discrimination diffèrent-ils ou se recoupent-ils ?

H. Z. : La frontière entre les deux concepts et les indicateurs qui s'y rapportent n'est pas étanche. Quand vous mettez en place un système d'alerte pour dénoncer les pratiques pénalisant certaines catégories de salariés ou menez des enquêtes d'opinion interne sur ce sujet, vous mesurez la discrimination. Quand vous suivez le nombre de non-Français participant aux programmes de formation corporate, votre action s'inscrit dans les deux registres, diversité et antidiscrimination... D'où une certaine confusion : des employeurs parlent de diversité pour évoquer leurs actions alors qu'ils travaillent sur les discriminations. Il est vrai que lutter contre elles peut constituer une étape préalable à la promotion de la diversité ou bien l'aboutissement d'une politique. Une firme peut aussi mener les deux de front, ce qui implique d'utiliser simultanément des indicateurs sur la diversité et sur la discrimination.

E & C : Les tableaux de bord mis en place à partir de ces indicateurs permettent-ils de mener des politiques efficaces ?

H. Z. : Idéalement, un tableau de bord de la diversité doit comporter à la fois des indicateurs de moyens - par exemple, des dispositifs favorisant l'égalité - et de résultats - par exemple, le testing. Ce tableau doit inclure des indicateurs d'alerte, d'équilibration et d'anticipation. Pour prendre une image, on pourrait parler de prise de température, de thermostat et de prévision météorologique. Or, les entreprises n'ont généralement pas encore fixé d'objectifs ou de seuils en matière d'égalité de chances. Mais nous sommes au début du processus.

E & C : Quel est l'état d'avancement des entreprises dans la mise en place de ces indicateurs ?

H. Z. : 2008 représente, pour la plupart des entreprises, la première vraie année de mise en place des indicateurs. Le retour sur expérience se fera en 2010, voire 2011. A ce stade, nous ne pouvons donc qu'émettre des hypothèses sur la pertinence de ces tableaux de bord.

En outre, selon l'étude Inergie 2009 (2), seule une entreprise sur quatre dispose, à ce jour, d'indicateurs de diversité dans le cadre de son bilan social. Parmi celles qui l'ont fait, les trois quarts s'intéressent à la répartition hommes-femmes et aux personnes handicapées. Un peu plus de la moitié mènent des actions en faveur des seniors et un peu moins de la moitié en faveur des populations des quartiers sensibles. Enfin, 33 % des entreprises interviewées s'intéressent à l'origine sociale et au lieu de résidence de leurs collaborateurs.

E & C : Quelle utilisation les entreprises comptent-elles faire de ces indicateurs ?

H. Z. : A terme, ces indicateurs leur permettront, par exemple, de se positionner comme «diversity friendly» de manière crédible auprès des candidats. En interne, ils serviront à alerter sur les risques juridiques et à prendre des mesures correctives. Existe, cependant, le danger que les entreprises conçoivent des indicateurs qui les présentent sous un jour favorable pour se dispenser de réels efforts. On peut faire du «diversity-washing» comme du «green-washing»... Par exemple, une entreprise peut mettre en avant l'équilibre des sexes dans son effectif total pour mieux passer sous silence le fait que les femmes sont absentes des postes de direction.

E & C : Qu'en est-il des indicateurs sur la discrimination ethnique, un sujet sur lequel le Comedd doit encoreremettre un rapport ?

H. Z. : Il s'agit d'un sujet sensible où le déni de discrimination demeure très fort, ce qui freine les progrès. Aucune des entreprises avec qui nous avons parlé ne s'est déclarée en faveur de statistiques ethniques. La réticence des employeurs tient à des raisons culturelles propres à la France, mais aussi juridiques : la Cnil est opposée au recueil des données relatives à l'origine raciale ou ethnique - réelle ou supposée - des employés ou des candidats.

E & C : Peut-on procéder autrement pour approcher cette question délicate ?

H. Z. : Des entreprises s'y intéressent déjà à travers des indicateurs indirects comme la nationalité, l'origine sociale ou le lieu de résidence. On peut aussi miser sur les sondages internes, qui constituent une alternative efficace aux statistiques ethniques : quatre des douze entreprises membres de l'AFMD (3) avec qui j'ai mené des entretiens approfondis demandent anonymement à leurs collaborateurs s'ils se sentent discriminés du fait de leurs origines ethniques. Pas besoin, pour cela, de leur demander de s'identifier comme noir, blanc, asiatique ou arabe...

(1) Comité pour la mesure et l'évaluation de la diversité et des discriminations.

(2) Etude effectuée auprès de 1 880 entreprises signataires de la Charte ; 279 entreprises répondantes.

(3) Association française des managers de la diversité.

PARCOURS

• Hedia Zannad est enseignante-chercheuse à Rouen Business School.

• Titulaire d'un doctorat en sciences de gestion, elle a été consultante et thésarde chez Renault, où elle a étudié la gestion par projet.

• Elle a cosigné, avec le consultant Pete Stone, un livret blanc intitulé Mesurer la discrimination et la diversité. Eléments de réponse, en partenariat avec l'AFMD (Association française des managers de la diversité), septembre 2009.

SES LECTURES

Le management de la diversité : enjeux, fondements et pratiques, sous la direction d'I. Barth et de C. Falcoz, L'Harmattan, 2007.

Gestion de la diversité : un enjeu stratégique ?, A. Cornet et C. Delhaye, XVIe conférence de l'AIMS, Montréal, 6-9 juin 2007.

Un débat aux frontières du scientifique et du politique, la mesure de la diversité. Le point de vue d'un statisticien, J.-P. Raoult, analyse transmise au Comité pour la mesure et l'évaluation de la diversité et des discriminations, mai 2009.

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