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Les entreprises sécurisent le prêt de main-d'oeuvre

Les pratiques | publié le : 12.01.2010 |

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Les entreprises sécurisent le prêt de main-d'oeuvre

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Les premières expériences de prêt de personnel à but non lucratif ne soulèvent plus les réserves initiales des syndicats. Mais les entreprises, en l'absence de dispositions précises, ont dû s'entourer de garanties juridiques, avec l'aide, parfois, d'avocats spécialisés.

Etre prêté, par son employeur, à une autre entreprise en surcroît d'activité pourra bientôt être un atout pour son CV. Tandis qu'au Sénat, la commission des affaires sociales s'apprête à examiner le projet de loi Poisson du 9 juin 2009, visant à faciliter le maintien et la création d'emplois, les premiers cas de prêt de main-d'oeuvre interentreprises, opérés au printemps, sont parés des meilleures garanties sociales. Consultation des IRP, affirmation du principe de volontariat, maintien de la rémunération, aménagement de formations, prise en compte des risques professionnels : rien n'a été laissé au hasard.

Les cabinets d'avocats ont parfois été mis à contribution pour rédiger les conventions, l'article L.8241-2 du Code du travail se bornant à affirmer que « les opérations de prêt de main-d'oeuvre à but non lucratif sont autorisées ». Au cabinet Fromont, Briens et associés, Me Marie-Laurence Boulanger, qui a planché sur la préparation d'un projet collectif en Haute-Savoie (lire l'article p.14), dit s'être inspirée des modèles de convention des grandes entreprises : « Elles sont habituées à mettre des salariés à disposition d'autres entités. Ce qui change, ici, c'est que les entités concernées sont sans lien juridique. »

Les DDTEFP sont presque toujours sollicitées pour apporter leur blanc-seing. « Nous soutenons ce type de dispositif », déclare Gilles de Vanssay, directeur adjoint du travail en Ardèche, où Irisbus et Inoplast ont initié la plus grosse opération de détachement en France. « Il permet aux entreprises en sous-activité de ne pas avoir à supporter le coût résiduel du chômage partiel, dont elles auraient dû s'acquitter. Les salariés maintiennent leur niveau de salaire - ce qui vaut mieux que de percevoir l'allocation d'activité partielle de longue durée. On soulage, du même coup, la trésorerie de l'Etat, puisqu'il n'y a pas à payer de chômage partiel à l'entreprise prêteuse. Quant aux organismes sociaux, ils continuent à percevoir normalement les cotisations. »

Précautions sémantiques

Deux textes sur le prêt de main-d'oeuvre interentreprises font, pour l'instant, référence : l'accord métallurgie du 7 mai 2009, sur les mesures d'urgence pour l'emploi, et l'accord national interprofessionnel du 8 juillet 2009, dit de «gestion sociale des conséquences économiques de la crise sur l'emploi» - lui-même largement inspiré de l'accord métallurgie (lire encadré p. 14). Pourtant, les précautions sémantiques restent fortes. A Grenoble, par exemple, où le pôle de compétitivité Minalogic a conclu les premières conventions du genre, sur la base de la loi du 30 décembre 2006, on insiste sur le caractère «temporaire» du prêt de main-d'oeuvre et sur sa vocation «non lucrative». Les termes de «détachement» ou de «mise à disposition» lui sont préférés. Comme pour mieux distinguer cette pratique de l'intérim et du portage salarial.

Moyennant quoi, plus personne n'en critique l'opportunité. Les syndicats, qui craignaient, il y a six mois encore, un risque aggravé de «marchandisation» des compétences, ont révisé leur jugement. Ainsi, à la CGT, qui n'a pas signé l'ANI ni l'accord de branche de la métallurgie, Mourad Rabhi, le secrétaire confédéral chargé de l'emploi, indique n'avoir « pas remarqué de plaintes ». « Tant qu'il existe un cadre précis, ajoutet-il, que les garanties liées au départ et au retour dans l'entreprise d'origine sont respectées, y compris en cas de problème durant la période du prêt, je ne vois pas de raison de s'y opposer. »

Même l'argument d'une pénalisation des chômeurs et des intérimaires privés de mission est relativisé : « S'il y a adéquation entre le poste du salarié et le poste proposé, pourquoi pas ? », répond Mourad Rabhi. A la CFDT, Christian Janin, secrétaire confédéral, lui non plus, ne se dit « pas surchargé de sollicitations » sur le prêt de main-d'oeuvre. C'est un signe, selon lui, « qu'il ne constitue pas une solution massive face au phénomène des destructions d'emplois ». Reste que les entreprises qui l'ont testé ne sont pas légion : STMicroelectronics, Rhodia, Continental Automotive... A Grenoble, Soitec a confié au CEA 20 salariés, essentiellement des techniciens et ingénieurs, sur des missions de dix-huit mois. Dans le Calvados, Guy Degrenne a prêté huit de ses logisticiens au distributeur de livres Sodis, filiale de Gallimard, tandis que l'entreprise de bâtiment CPL Bois a envoyé trois de ses compagnons chez son concurrent Seel... En Ardèche, ce sont 82 ouvriers d'Inoplast qui ont été accueillis dans l'atelier d'assemblage d'autobus d'Irisbus, à Annonay.

Echanges entre secteurs

« L'appartenance à un même secteur n'est pas systématique », commentent Chantal Prima et Andréas Agathocléous, chargés de mission chez Aravis, qui démarrent une étude sur le sujet. « Le plus souvent, les dirigeants des entreprises concernées se connaissent, soulignent-ils. Ce qui contribue au bon ajustement des profils de poste. »

Chez Soitec, Corinne Margot, la DRH, soutient que « toutes les parties y gagnent. Le salarié est dans un système complètement sécurisé. Son employabilité est maintenue, il a la certitude de revenir dans l'entreprise. Pour l'entreprise d'origine, c'est une alternative au PSE classique, qui pousserait les personnes à quitter le territoire, ou à changer de secteur d'activité. Nous préservons les compétences sur le bassin économique. Quant à l'entreprise d'accueil, elle obtient des compétences expérimentées, alors que le processus de recrutement est simplifié ».

Au premier semestre 2009, Soitec avait prévu de réduire de 10 % son effectif (860 salariés), sans aucun licenciement. Ce plan s'est finalement soldé par 70 départs volontaires, en septembre dernier. « Les 20 autres personnes, détachées, sont toujours comprises dans l'effectif. Nous maintenons le lien avec elles : nous avons fait un point individuel dans les quatre mois. Un autre est prévu dans les six mois précédant leur retour. Elles ont conservé leur accès intranet et sont invitées, comme avant, à nos réunions internes. »

Nicolas Letterrier, délégué général de Minalogic, affirme que sept entreprises se sont engagées dans une démarche de prêt de main-d'oeuvre, parfois dans l'optique d'accueillir et de prêter simultanément des salariés. Mais il a pour consigne de ne pas les nommer, par crainte d'un a priori négatif : « Certaines s'inquiètent de répercussions commerciales. » Il revendique pourtant un recours « offensif » au prêt de main-d'oeuvre, permettant des projets d'innovation à moindres coûts, tout en « remettant le salarié au centre de la création de valeur ». De sorte que, pour lui, « le seul risque est du côté des employeurs, qui perdraient leurs bons éléments ».

Vigilance

Chez Aravis, on estime qu'au moins deux points de vigilance doivent être pris en compte. Primo, que « les syndicats ne sous-estiment pas l'enjeu de l'intégration des salariés prêtés. Ce type de mobilité impacte l'organisation du travail dans les deux entreprises ». L'organisme s'interroge aussi sur l'entretien annuel d'évaluation : « Nous préconisons une évaluation conjointe, pour faire reconnaître sa nouvelle expérience professionnelle et mieux préparer sa réintégration. »

Les points clés d'une convention

Dans son article 12 consacré au prêt de main-d'oeuvre, l'ANI du 9 juillet dispose neuf points à respecter :

la durée prévisible du prêt de main-d'oeuvre ;

l'identité et la qualification du salarié mis à disposition ;

le travail confié au salarié par l'entreprise utilisatrice ;

la durée et les horaires de travail en vigueur dans l'entreprise utilisatrice ;

le ou les lieux d'exécution du travail ;

les caractéristiques particulières du poste, en indiquant si celui-ci figure sur la liste des postes à risques prévue à l'article L.4154-2 du Code du travail ;

la nature des équipements de protection individuelle que le salarié doit utiliser ;

l'accès dans l'entreprise utilisatrice aux moyens de transport collectifs et aux installations collectives (restauration) dont bénéficient les salariés de l'entreprise utilisatrice ;

les salaires, charges sociales et frais professionnels du salarié mis à disposition sont facturés à l'entreprise utilisatrice par l'entreprise prêteuse.

L'essentiel

1 Les garanties sociales encadrant le prêt de main-d'oeuvre à but non lucratif sont désormais mieux définies.

2 Soutenu par les pouvoirs publics locaux, ce dispositif permet aux entreprises en sous-activité de limiter le recours au chômage partiel.

3 Les entreprises qui testent le prêt de main-d'oeuvre sont encore peu nombreuses, mais se disent satisfaites de la démarche.

Un coup de pouce au bassin d'Annecy

La Direction du travail de Haute-Savoie a donné son accord pour une expérimentation de prêt de main-d'oeuvre à but non lucratif lancée dès ce mois de janvier dans le bassin d'Annecy. L'objectif est de «détacher» 50 salariés volontaires, jusqu'en juin 2010, sur des missions d'un mois minimum. Lesquels bénéficieront d'un suivi avant, pendant et après leur mission. L'Etat (Direccte Rhône-Alpes) et la région subventionneront leur accompagnement, confié à trois opérateurs locaux : la Maison de l'information sur la formation et l'emploi (Mife), le Centre d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) et le Centre interinstitutionnel de bilans de compétences (CIBC). Ces structures pourront, notamment, proposer des VAE ou des bilans de compétences pour conforter ces mobilités. Deux autres acteurs interviennent auprès des entreprises : le cabinet-conseil AGC, qui prospecte les employeurs, et le cabinet de placement Sirac. Baptiste Dumas, créateur de cette jeune pousse, a fait appel au cabinet d'avocats Fromont & Briens pour rédiger les documents opposables : « Chaque entreprise intéressée signera une convention valant adhésion à notre démarche, qui implique, notamment, de consulter les IRP, de ne proposer le détachement qu'à des salariés réellement volontaires et d'accorder 14 heures d'accompagnement par salarié », énumère-t-il.

Cinq entreprises forment le «premier socle» d'adhérents : Alcatel Adixen, GG Bearings, Salomon, ST Dupont et Tefal. Chacune signera aussi une convention ad nominem pour les salariés accueillis ou prêtés.

La DRH de Salomon, Monique Donnadieu, se dit prête au détachement d'un salarié de 55 ans, intéressé par un poste dans une structure sportive. En sens inverse, elle accueillerait quatre salariés extérieurs, en ressources humaines et gestion.

Mobilités sans risque

Elle juge ce dispositif « complémentaire » du projet de GPEC de l'entreprise, en cours de négociation : « Nous avons un volet territorial s'appliquant aux salariés les plus expérimentés, à qui l'on veut pouvoir offrir des missions extérieures, à temps partiel, pour permettre des mobilités sans risque. L'espace carrières que nous avons ouvert en septembre, avec l'Apec et le CIBC, contribue à cette réflexion. »

Selon Sirac, le budget de l'opération s'élèvera à 290 000 euros, dont 130 000 euros de subventions publiques. Le coût des personnels mis à disposition par les institutions de l'emploi-formation a été valorisé à 60 000 euros. Les 100 000 euros restants, à la charge des entreprises, comprennent l'ingénierie et la gestion du dispositif. Qu'elle prête ou accueille le salarié, chacune s'acquittera de 10 % du salaire chargé refacturé. Il est convenu que la Mife et Sirac collectent, respectivement, les subventions et les versements des entreprises. Pour les redistribuer à parts égales entre les cinq opérateurs.

L. P.