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Attention au bien-être des salariés

Enquête | publié le : 22.12.2009 |

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Attention au bien-être des salariés

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Avec la hausse du coût de l'immobilier, le développement du travail en équipe en mode projet et la mobilité croissante des salariés, les open spaces n'ont cessé de se développer. Pas toujours dans les meilleures conditions. Mais, avec le recul, de bonnes recettes commencent à être identifiées et utilisées.

Depuis plusieurs années déjà, les open spaces sont devenus le lot commun de nombreux salariés du secteur tertiaire. Selon Actineo, l'observatoire de la qualité de vie au bureau, 60 % des entreprises françaises les ont adoptés. A priori, ils sont censés accroître la productivité, favoriser la communication et, bien entendu, ils permettent aux entreprises de réaliser des économies sur le nombre de mètres carrés alloués aux espaces de travail. Entre 10 % et 20 % de gains de surface, selon les aménageurs. En tout cas, ce sont les vertus dont les parent leurs promoteurs. Seulement voilà, « quand ils ne sont pas traités avec soin, les open spaces deviennent un enfer », constate Odile Duchenne, directrice générale d'Actineo. Elle note un « mouvement de rejet récent par les collaborateurs, exacerbé par la crise, l'organisation du travail et la pression du chiffre d'affaires ». Source de ce ras-le-bol ? « Le manque de place et d'intimité », affirme-t-elle.

De 8 à 12 mètres carrés par personne

« A l'extrême, on est allé jusqu'à n'allouer que 4 mètres carrés par personne, mais aujourd'hui, la norme est plutôt entre 8 et 12 mètres carrés », remarque Vincent Gruau, Pdg de Majencia, spécialiste de l'aménagement d'espaces de travail. La norme Afnor X 35-102, non obligatoire mais bien connue des partenaires sociaux, recommande une surface de 10 mètres carrés, qui inclut la surface privative et les activités communes.

« A aucun moment, on ne nous demande : voulez-vous des open spaces ?, s'insurge Alexandre des Isnards, coauteur avec Thomas Zuber de l'ouvrage L'open space m'a tuer *. J'aimerais qu'on nous dise qu'ils sont imposés dans une logique économique, et, si c'est un choix de management, il est très contestable. Leur efficacité reste à prouver quant à la qualité du travail réalisé et aux capacités de concentration. »

Le mode de management en cause

« Je ne suis pas opposé aux open spaces, mais je constate que, dans la réalité, les gens se parlent moins, souligne Eric Pigal, délégué syndical central CFE-CGC d'Accenture. Cela remet en cause le mode de management, car tout le monde contrôle tout le monde. » Quant à la productivité, on ne peut pas la mesurer.

Plus drastique encore, certaines entreprises sont allées jusqu'à supprimer l'attribution personnalisée de bureaux (lire encadré p. 22). Un choix qui semble réservé à certains métiers au nomadisme poussé, comme ceux du conseil ou du commercial. La formule a séduit Renault (lire p. 27), qui a calculé que seuls 60 % des postes étaient employés. Mais elle a suscité récemment une forte opposition syndicale chez Alcatel-Lucent (lire p. 28), où le risque de déshumanisation est pointé.

Un risque de contreperformance

Pour autant l'espace ouvert s'est imposé, notamment « en raison du mode de travail en équipe », souligne Philippe Meurice, dirigeant du cabinet d'architecture DEGW. Mais attention, ce choix ne doit pas être « dogmatique », selon lui. Et surtout, « le gain de surface ne doit pas être le but premier, car alors, il y aurait un vrai danger sur la qualité de vie au travail, et donc un risque d'être contreperformant ». Richard Galland, Pdg de l'agence Majorelle, spécialisée dans les aménagements tertiaires, approuve : « Si les objectifs de coût et de baisse de surface dominent, on aboutit à une certaine standardisation des aménagements et à de la médiocrité. »

Problèmes d'exposition au regard des autres, problèmes de concentration dus au bruit... « Il faut pouvoir accéder à des espaces informels, sinon ces aménagements sont voués à l'échec », recommande Catherine Gall, directrice recherche & prospective Europe chez Steelcase. « Les modèles émergents tournent autour de la redistribution de mètres carrés individuels en mètres carrés collectifs », ajoute-t-elle.

Tendance mixte

« On observe une tendance mixte à l'adoption du combi-office, un mélange d'open spaces avec des lieux de respiration », abonde Odile Duchenne. Exemple : des salles de réunion de tout format sans nécessité de réserver à l'avance, des lieux de détente, et même des bibliothèques. « Dans les parties centrales des bâtiments, certaines entreprises aménagent des espaces pour se regrouper en de petites réunions ou prendre un café », illustre Pascale Mangot-Lagarde, vice-présidente de l'Arseg (Association des directeurs et responsables de services généraux) en charge de la communication.

Au-delà des espaces d'isolement, pour protéger les salariés du bruit et leur accorder un peu de «respiration», les architectes peuvent recourir à des techniques acoustiques d'absorption bien au point. De plus, Pierre Bouchet, directeur associé de Génie des lieux, préconise de ne pas regrouper plus de 10 à 15 personnes dans un même espace et d'assurer « une cohérence fonctionnelle, de réunir des salariés qui partagent un même métier » (lire ci-dessous). Car, dans ce contexte, un échange téléphonique d'un voisin peut être source de développement et d'information indirecte. Dans le cas contraire, il se transforme en gêne.

Ne pas oublier l'utilisateur final

Autre écueil que les entreprises tentent aujourd'hui de réparer : l'oubli de l'utilisateur final, le salarié. « Les open spaces existent depuis trente ans, le problème est qu'on les réalise de façon trop précipitée, parfois avec des solutions de prêt-à-porter, alors qu'il faut prendre le temps de réfléchir aux besoins, impliquer les salariés dans des groupes métiers, construire des chartes d'aménagement, établir des règles de vie », insiste Richard Galland. « Il est important de connaître la culture de l'entreprise, sa stratégie, la proportion des populations sédentaires et nomades », ajoute Vincent Gruau.

Pour le nouveau siège de Philips, à Suresnes (92), « des groupes de travail utilisateurs, des entretiens service par service pour identifier les besoins, et une répercussion des travaux auprès des salariés ont été prévus », témoigne Philippe Meurice. « Il faut avoir compris comment les futurs occupants travaillent, insiste Vincent Rouillard, dirigeant de Menintime. Microsoft a associé ses salariés pendant deux ans dans le monde entier. » (Lire p. 23.) « Selon qu'ils sont amenés à travailler en mode projet, à se rencontrer face à face, ou à téléphoner, les salariés ne sont pas en situation de travail de façon homogène au cours de l'année, du mois, de la journée », observe Alain d'Iribarne, directeur de recherche au CNRS et président du conseil stratégique d'Actineo. L'aménagement devient donc « diversifié, modulable, fractionnable », selon lui.

Cloisons mobiles

Une donnée prise en compte par Michel Hue, responsable des services exploitation et logistique de BNP Paribas, qui anticipe la capacité à « modifier rapidement les organisations grâce à des cloisons mobiles », en prenant garde à la circulation de l'air et de la lumière. Pierre Bouchet conseille aussi de « ne pas faire l'économie de réglages possibles en hauteur afin d'ajuster son plan de travail à sa morphologie ».

Les choix d'aménagement ont un fort impact sur le bien-être et les conditions de travail. Pour autant, les DRH sont-ils en première ligne ? Les avis sont partagés. « Un sur dix est moteur pour le pilotage de ces projets », estime Pierre Bouchet. Philippe Meurice, lui, constate « un engagement trop timide des DRH ». A l'inverse, Vincent Rouillard et Catherine Gall trouvent que « les DRH sont de plus en plus souvent impliqués ». Ils auront probablement intérêt à l'être encore davantage pour lutter contre le stress, une priorité que leur a assignée le ministre du Travail.

* Par Alexandre des Isnards et Thomas Zuber, Hachette Littératures, 2008.

L'essentiel

1 60 % des entreprises ont adopté les open spaces. Bruit, difficultés à se concentrer, manque d'intimité font partie des désagréments signalés.

2 Certaines entreprises tentent d'y remédier en créant des espaces annexes pour s'isoler ou se réunir de façon informelle.

3 L'association des salariés et la bonne compréhension de leurs modes de travail semblent indispensables pour créer un aménagement réussi.

Un guide de bonnes pratiques

Afin de mettre en exergue les facteurs de succès et de qualité des aménagements d'espaces de travail collaboratif, la société de conseil en stratégie et organisation des lieux de travail Génie des lieux a réuni, depuis le printemps 2009, des utilisateurs finaux grands comptes, des experts (acousticien, Aract, ergonome, etc.), et des industriels. Résultat : un guide des bonnes pratiques. Parmi les dix préconisations :

• Regrouper sur ces espaces des collaborateurs qui partagent une activité commune, des métiers semblables.

• Associer espace individuel plus ouvert et espace d'équipe plus cloisonné.

• Fournir un mobilier adaptable en fonction de l'activité de l'utilisateur et de son niveau de nomadisme.

• Adopter un management collaboratif, des règles de vie adaptées.

• Prévoir un management de projet transversal et global en relation directe avec la direction générale de l'entreprise.

• Evaluer la situation existante, expérimenter des solutions, s'adjoindre l'expertise de cabinets de conseil indépendants.

V. L.

Aménagement des espaces de travail collaboratif. Guide des bonnes pratiques. Génie des lieux, 92 pages, 12 euros.

Accenture, pionnier du bureau non attitré

En 1996, Accenture (à l'époque Andersen Consulting) avait fait beaucoup parler d'elle en inaugurant le concept de bureau non attitré, à l'occasion d'un déménagement depuis La Défense (92) vers l'avenue George-V à Paris, chacun devant réserver son espace via un système informatique. Aujourd'hui, la logique est toujours la même pour des salariés qui travaillent majoritairement en mode projet et sont pour la plupart nomades. Seuls 10 % sont sédentaires. Evolution, les consultants ayant fait part de leurs souhaits de bénéficier d'espaces de travail plus « spontanés », des «phones booth» ont été installés, sortes de petites cellules pour des conférences téléphoniques. « Ce mode de fonctionnement est efficace pour décloisonner les interactions, affirme Myriam Couillaud, DRH France d'Accenture, même si la logique économique est présente aussi. » Au siège, situé dans le XIIIe arrondissement de Paris, 800 postes sont installés sur 4 étages, pour 2 800 personnes. Et la DRH constate que « le taux d'occupation n'est pas très élevé ». « Il a été annoncé en comité d'entreprise que les surfaces allaient encore diminuer de 12 000 à 9 500 m2, indique Eric Pigal, délégué syndical central CFE-CGC. De 4 personnes par bench*, on va passer à 6. » Parallèlement, un accord sur le télétravail a été négocié.

V. L.

* Plans de travail sur lesquels les salariés peuvent s'installer les uns à côté des autres.

A chaque pays son espace...

- Les espaces de travail sont fortement influencés par le système de valeurs culturelles du concepteur. Dans leur ouvrage Office code, Catherine Gall, directrice recherche et prospective Europe de Steelcase, et Beatriz Arantes, sociologue Steelcase, analysent les caractéristiques de six pays.

- Grande-Bretagne : espaces ouverts, territoires partagés et densité par poste de travail très élevée. Pas de culture du présentéisme.

- Allemagne : bâtiments étroits pour faciliter la pénétration de la lumière du jour et la circulation de l'air. Bureaux spacieux et ordonnés.

- Pays-Bas : espaces ouverts, postes mutualisés, travail flexible et télétravail, recherche de confort et d'efficacité avec un mobilier qui s'adapte à la morphologie des Hollandais.

- France : bureau conçu comme un lieu fonctionnel et de pouvoir. Mobilier ergonomique et aménagements conciliant espaces ouverts et cloisonnés.

- Italie : bureau s'apparentant à une «ruche», où règne beaucoup d'agitation, de désordre, et de la spontanéité.

- Espagne : organisation hiérarchique, importance des relations interpersonnelles, mais aussi improvisation.

Office code, Catherine Gall et Beatriz Arantes, éditions Steelcase, décembre 2009, 203 pages, 39,90 euros.

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