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« Les pôles de compétitivité vont avoir besoin de spécialistes RH »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 15.12.2009 |

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« Les pôles de compétitivité vont avoir besoin de spécialistes RH »

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Les pôles de compétitivité font peu à peu émerger un nouveau mode d'organisation du travail, où l'entreprise s'effacerait au bénéfice de processus de mutualisation des compétences. Ce modèle, qui précarise l'emploi, nécessite une nouvelle régulation sociale.

E & C : Pourquoi la question des ressources humaines et de leur gestion à l'échelle des pôles de compétitivité a-elle été occultée jusqu'à présent ?

Laurent Labrot : L'idée de départ des pôles est venue de technocrates qui s'appuyaient sur les réflexions de l'ancien Commissariat général du Plan. Une idée pas mauvaise, mais brodant à partir du modèle anglo-saxon de manière à créer des clubs fermés, travaillant dans une logique d'appels d'offres et sans identification forte du lieu de pouvoir. Cela constitue un réseau de membres qui imposent la domination scientifique au détriment des autres dimensions. Quant à l'animation, elle est faite, sous forme associative, par un délégué général et quelques salariés qui n'ont ni le temps, ni les moyens de travailler sur le social.

Or, en France, les pôles de compétitivité ont connu un succès d'une ampleur et d'une rapidité que l'on n'attendait pas : 72 sont nés, contre 5 à 10 prévus ! Ce concept est venu progressivement bousculer le modèle traditionnel de développement économique autour d'une grosse entreprise. Les élus locaux ont pris ce dispositif comme une bouée de sauvetage pour les territoires. De fait, aujourd'hui, le comportement des responsables des pôles est un comportement de pouvoir : les élus les consultent avant même de prendre une décision pour leur territoire. Pourtant, par-delà les discours généraux sur les perspectives en matière d'emploi, les questions sociales concrètes ont été renvoyées, jusqu'ici, au niveau de chaque entreprise. Or, certains DRH commencent à lancer un cri d'alarme, voire à refuser de s'occuper de la GRH liée aux pôles, car ils ne comprennent pas vers quoi on tend.

E & C : Quelles sont ces questions sociales spécifiques aux pôles de compétitivité ?

L. L. : D'abord, l'absence de contrôle social. Les organisations syndicales, notamment, ne sont pas invitées à participer à la gestion des pôles. On observe une forme d'infantilisation des acteurs : lorsque les représentants des salariés veulent donner leur avis, les dirigeants des pôles leur rétorquent qu'ils ne sont pas compétents sur la thématique abordée, alors qu'ils écoutent les élus, pas plus au fait des sujets scientifiques. Il y a là un côté condescendant, qui empêche un fonctionnement démocratique. Au Bade-Wurtemberg, en Lombardie et en Catalogne - des régions que j'ai étudiées pour mon rapport* -, le dialogue social, historique et naturel pour eux, a été inscrit automatiquement dans le fonctionnement des pôles.

Autre sujet : la gestion des mobilités. On pensait au départ que les entreprises adhérentes allaient simplement mettre des salariés à disposition, le temps d'un projet. Avec l'accélération des besoins, cela s'est compliqué : des plateformes collaboratives apparaissent, des salariés peuvent être détachés pendant plusieurs années sans que l'on ait réfléchi à leurs conditions de retour ; des questions éthiques, sanitaires et environnentales se font jour - par exemple pour les salariés des nanotechnologies - ; des quartiers entiers se développent autour de pôles - comme Minatec, à Grenoble -, de même que des activités de sous-traitance ; la délocalisation à l'étranger de l'industrialisation des procédés laissera en difficulté les personnes que l'on aura hyper-spécialisées pour leur conception...

L'entreprise s'efface de plus en plus au bénéfice de processus de mutualisation. La présence dans les pôles de spécialistes des sciences sociales - DRH, consultants, universitaires, etc. - va devenir indispensable.

E & C : N'est-on pas face à une opportunité d'innover en matière d'emploi, notamment dans la recherche ?

L. L. : Oui, les pôles peuvent être un outil d'innovation - et d'amélioration - en matière de déroulement des carrières de l'ensemble des personnels, des chercheurs jusqu'aux «petites mains» employées à la cantine. Mais à une condition : que les règles soient claires, c'est-à-dire que les pôles ne contournent pas le principe de représentation des personnels, sous prétexte qu'ils innovent scientifiquement et sont récents dans le paysage. Le processus de création des pôles a parfois pris ses aises par rapport aux obligations légales : IRP, CHSCT, etc. C'est terminé !

Quant aux perspectives en matière d'emploi, je vois surtout venir, en France, un développement de la précarité, à cause du fonctionnement par appel d'offres. Si l'on pense, cependant, que l'avenir est à la multiplication des CDD, pourquoi pas ? Mais cela doit être sécurisé par une formation permanente aux besoins des laboratoires.

Pour accompagner ce modèle encore jeune, nous avons proposé la création d'un observatoire des pôles, proposition qui a reçu un accueil favorable, notamment de la part du Medef. Il serait également intéressant de procéder à une enquête auprès des salariés : que pensent-ils de tout cela ?

* «L'irrésistible ascension des pôles de compétitivité en Rhône-Alpes : vers une nécessaire prise en compte des enjeux en matière de dialogue social et de lutte contre la précarité professionnelle».

PARCOURS :

• Laurent Labrot est professeur associé et responsable de la chaire d'excellence «dialogue docial» de l'IEP de Grenoble et directeur du C2R (Centre de ressources et de recherches) CFDT Rhône-Alpes. Il a été chef de projet Europe et international au sein de la CFDT Rhône-Alpes de 1999 à 2006.

• Il vient de rendre public un rapport intitulé «L'irrésistible ascension des pôles de compétitivité en Rhône-Alpes : vers une nécessaire prise en compte des enjeux en matière de dialogue social et de lutte contre la précarité professionnelle».

LECTURES

Les pôles de compétitivité, la Documentation française, Paris, 2009.

Les pôles de compétitivité, que peut-on en attendre ?, Gilles Duranton, Philippe Martin, Thierry Mayer, Florian Mayneris, Cepremap, 2008.

On Competition, Michael Porter, Harvard Business School Press, 1998.

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