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Ces entreprises qui reviennent au made in France

Les pratiques | publié le : 24.11.2009 |

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Ces entreprises qui reviennent au made in France

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Après avoir beaucoup misé sur les pays à bas coûts, certaines entreprises hexagonales rentrent au bercail. Si elles sont aujourd'hui convaincues des bienfaits du made in France, elles en connaissent cependant les limites.

Atol, Geneviève Lethu, La Mascotte, Majencia... Ces entreprises de taille et de secteur différents ont un point commun : elles ont toutes relocalisé leur production en France après avoir été séduites, il y a quelques années, par l'eldorado asiatique. « Lors de l'ouverture des marchés internationaux, dans les années 1990, la délocalisation offrait l'opportunité d'obtenir des produits manufacturés à des coûts défiant l'entendement et, donc, une compétitivité extraordinaire sur une offre très large », se souvient Edmond Kassapian, Pdg de Geneviève Lethu, entreprise des arts de la table (45 salariés) créée en 1972. Les entreprises à forte activité de main-d'oeuvre avaient, en effet, de quoi être séduites par des feuilles de salaire locales affichant un maigre euro par jour de travail.

Coût de la main-d'oeuvre

Sans tomber dans ce genre d'excès, Hélène Dumortier et Nicolas Moynet ont toutefois fait leurs comptes lorsqu'ils ont fondé, en 2004, Call Marketing, société de télévente et d'enquêtes par téléphone. « Un téléopérateur revient, en France, à 1 800 euros pour un employeur. Ce coût est de 450 euros au Maroc. Le rapport est donc de 1 à 4 en matière de salaire, mais de 1 à 5 lorsqu'on sait que la semaine de travail est, dans ce pays du Maghreb, de 44 heures », illustre le fondateur, qui a donc opté pour l'offshore et un site de 40 emplois à Casablanca.

Ce type d'orientation a fonctionné quelque temps, jusqu'à ce que certains entrepreneurs déchantent. Impossibilité de réapprovisionner les stocks rapidement, procédures complexes... Une étude du cabinet de conseil McKinsey a conclu qu'une entreprise délocalisée qui prend en compte certains coûts cachés comme la logistique, les risques, la réorganisation de l'entreprise, les difficultés de management à distance, le transport... voit ses gains de productivité passer de 22 % à 3 %. Ainsi, Sullair Europe, fabricant de compresseurs pour l'industrie, a expérimenté la production chinoise et sa main-d'oeuvre 17 fois moins chère qu'en France. Elle a aussi connu des délais de livraison pouvant atteindre cinq mois ! Le spécialiste du mobilier de bureau Majencia (ex-Samas) a, pour sa part, constaté que le gain de 20 % de coût de revient en Chine était à moitié absorbé par les coûts de transport.

De mauvaises surprises

Et c'était sans compter la qualité aléatoire des produits. « L'exécution de la commande est toujours des plus hasardeuses. Nous commandions 1 000 boîtes à sucre jaunes et nous en recevions 500 vertes, qui partaient directement à la poubelle. Autre souci et non des moindres : le non-respect des normes de sécurité et d'alimentarité, avec, par exemple, l'emploi possible d'adjuvants contenant du plomb pour colorer les assiettes », décrit Edmond Kassapian, soucieux, aujourd'hui, de vendre son concept français avec, en toute logique, des produits made in France.

A ces mauvaises surprises s'ajoutent quelques évolutions récentes, sociales tout d'abord, qui affaiblissent encore le chant des sirènes de la délocalisation. La main-d'oeuvre corvéable à merci et sous-payée d'hier commence à réclamer des hausses de salaires et des conditions de travail plus décentes. L'année dernière, les ouvriers de l'usine roumaine Dacia (Renault) ont, ainsi, obtenu, après trois semaines de grève, une augmentation de leur rémunération de 97 euros mensuels. Même revendication pour la filiale vietnamienne de Nike.

Le savoir-faire français

S'ajoutent certains changements de mentalité relatifs, notamment, à l'éthique d'entreprise. Ainsi, délocaliser sa production alourdit considérablement le bilan carbone, ce qui cadre peu avec l'air du temps. Et cela n'est pas économiquement citoyen.

Edmond Kassapian est, ainsi, satisfait de savoir qu'il concourt à sauver les usines de ses sous-traitants hexagonaux et, par ricochet, le savoir-faire français. « C'est le cas, notamment, de la coutellerie à Thiers. Le développement de la production permet d'investir, avec, pour conséquence, plus de performance et, donc, de productivité. C'est un peu de rentabilité gagnée sur les pays à bas coûts », précise-t-il.

Au-delà de la stricte réalité financière, certaines entreprises revendiquent cette démarche responsable. Atol et Carglass en font partie et ont créé le Cedre (Comité des entrepreneurs pour un développement responsable de l'économie) pour défendre un capitalisme solidaire. C'est aussi une proximité physique et culturelle de nouveau appréciée. Call Marketing l'a vérifié lorsque ses deux fondateurs ont choisi Toulouse, ville de leur premier bureau commercial, pour implanter, en 2008, leur nouveau centre d'appels, spécialisé dans la prestation à forte valeur ajoutée. Il compte, aujourd'hui, 35 équivalents temps plein. « Avoir ses ressources humaines voisines des centres de décision permet une réactivité sans pareil, et un retour de terrain continu. C'est aussi bénéfique au management global, surtout dans nos métiers difficiles où le contact avec la hiérarchie ne doit pas se diluer », explique Nicolas Moynet. Le fait d'évoluer dans un environnement commun joue aussi beaucoup : « Pour vendre chez nous, il faut que nos téléacteurs soient imprégnés du contexte national », précise ce dernier. Même constat de la part du Pdg de Geneviève Lethu. « Par exemple, en France, le repas est une quasi-religion ; une réalité culturelle absente en Chine. »

Prime au «retour» ?

Certes, les retours aux sources n'ont encore rien de massif. L'explication ? Les entrepreneurs jugent que le modèle français est loin d'être satisfaisant. Le tissu industriel est tellement affaibli qu'il conduit certains d'entre eux à redélocaliser, mais plus près. D'autres se plaignent de la volatilité de la main-d'oeuvre tricolore, de l'absentéisme, du turn-over... Mais aussi du manque de soutien de la part des pouvoirs publics envers les entreprises qui choisissent de rentrer au bercail.

Peut-être ont-ils toutefois été entendus. Lors du lancement des états généraux de l'industrie, en octobre dernier, le ministre chargé de l'Industrie, Christian Estrosi, a évoqué l'instauration d'une prime à la relocalisation. Cela sera-t-il suffisant ? Pour l'heure, rien n'est certain.

L'essentiel

1 Avec un coût de main-d'oeuvre parfois dix fois inférieur à celui de la France, certains pays ont eu et ont encore de quoi séduire des entreprises à la recherche d'une plus grande rentabilité.

2 Coûts cachés, qualité aléatoire des productions... La délocalisation n'a cependant pas tenu toutes ses promesses.

3 Mais la relocalisation a ses limites dans un marché mondialisé où la concurrence des pays émergents reste prégnante.