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« Faire de l'absentéisme un objet de débat social »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 24.11.2009 |

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« Faire de l'absentéisme un objet de débat social »

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L'absentéisme est lourd de conséquences pour la performance économique de l'entreprise. Pour le réduire, il faut agir sur ses causes, très souvent liées aux conditions de travail, et mettre en place une démarche concertée avec l'ensemble des acteurs de l'entreprise.

E & C : L'absentéisme n'est pas un phénomène nouveau, mais les entreprises y sont aujourd'hui plus sensibles, pourquoi ?

Thierry Rousseau : Les entreprises fonctionnent, aujourd'hui, selon un paradigme qui vise à ajuster le plus étroitement possible les effectifs aux volumes de production. Elles se sont donc placées dans la situation d'être très sensibles aux absences ou aux variations des effectifs.

Quand les effectifs sont pléthoriques, on peut combler les trous laissés par les absents. Quand il n'existe plus de réserve, cela devient difficile. Du coup, l'absentéisme peut désorganiser profondément l'entreprise. Il peut provoquer une perte de marché, une diminution de la qualité. Il entraîne aussi des surcoûts en personnel de remplacement.

E & C : Comment ce phénomène est-il appréhendé par les entreprises ?

T. R. : Il reste encore souvent un sujet tabou, en tout cas, un sujet de «disensus». La DRH et l'encadrement ont parfois tendance à simplifier la situation, à considérer la question seulement sous l'angle de la complaisance de certains à s'absenter. De leur côté, les syndicats minorent le problème et réclament parfois un droit des salariés à s'absenter. Je pense qu'on ne peut pas aller bien loin si l'on reste dans ce type d'opposition. Il faut arriver à dépasser ces représentations, sinon, la direction sera tentée de mettre en place uniquement des instruments de contrôle avec ses risques corollaires : crispation du débat social, inefficacité des mesures. Il faut faire de l'absentéisme un objet de débat social. C'est de la responsabilité et de l'affaire de tous de traiter cette question.

E & C : Le premier motif d'absentéisme est la maladie. Mais, derrière cela, il y a d'autres causes à rechercher...

T. R. : En effet, la maladie «ordinaire», par opposition à la maladie professionnelle, est la cause principale des absences. Celles-ci durent peu de temps, mais désorganisent l'entreprise en profondeur. Ce type d'absence est aussi un révélateur du climat social et témoigne de la capacité d'engagement des personnes. Si l'on est bien intégré dans un collectif de travail, si l'on a des liens forts avec ses collègues, la propension à s'absenter diminue, pour ne pas laisser tomber ce collectif. A l'inverse, dans des situations de travail que l'on peut qualifier «d'anomiques», c'est-à-dire où les salariés sont interchangeables, alors que le collectif et l'organisation de travail ne produisent pas de solidarité, les salariés ne se sentent pas tenus de venir. De façon générale, il y a un lien entre l'absentéisme et les conditions de travail. Il révèle beaucoup de choses sur l'entreprise, son mode de fonctionnement, sa capacité à maintenir les personnes en bonne santé, mais aussi à les intégrer. Le taux d'absentéisme est un indicateur d'alerte. Quand il augmente, il est révélateur d'un certain nombre de dysfonctionnements.

E & C : Que préconisez-vous pour agir contre le phénomène ?

T. R. : Il faut d'abord se donner une définition de l'absentéisme. Il ne recouvre pas toutes les absences. Il caractérise une absence non programmée et problématique du point de vue de la gestion de l'entreprise. Il faut donc exclure, pour composer le calcul du taux d'absentéisme, toutes les absences prévues et programmées - congés maternité, congés formation, etc.

Ensuite, il convient d'analyser les données disponibles. Il faut savoir à quel type d'absentéisme on a à faire : quelles en sont les causes - maladie ordinaire, accident du travail, maladie longue durée, etc. ? Avec quelle fréquence, quelle durée ? Combien de salariés sont simultanément absents ? Il est intéressant, aussi, de croiser ces données avec d'autres : âge, genre, situation de travail, service ou atelier. Tout ce travail d'analyse permet d'établir un diagnostic et de mettre en place des indicateurs de suivi. A partir de là, on peut construire un plan d'action et de prévention. Par exemple, quand on constate que le taux d'absentéisme varie du simple au double d'un service à l'autre, on peut faire l'hypothèse que des événements précis secouent la vie du collectif - le management, par exemple. On pourra alors essayer d'agir sur la gestion de l'encadrement. L'âge est aussi un facteur important de l'accroissement de l'absentéisme. En situation d'usure professionnelle, certains salariés âgés doivent s'absenter plus souvent et plus longtemps. Des actions spécifiques peuvent être développées pour prévenir les absences de longue durée : adaptation des postes et de l'organisation du travail, développement du tutorat, etc.

E & C : Quelles sont les conditions de réussite d'un plan d'action de prévention de l'absentéisme ?

T. R. : L'information et la sensibilisation de l'ensemble des acteurs de l'entreprise sont essentielles. Le plan d'action ne doit pas rester l'objet de la DRH, il faut que chacun se sente concerné. Il est conseillé de construire une approche concertée avec les partenaires sociaux, le CHSCT, le médecin du travail. Ensuite, il faut se fixer des objectifs précis et atteignables. Et, surtout, poursuivre les actions dans le temps, ne pas abandonner à la moindre difficulté. Enfin, on peut aussi imaginer d'intéresser les salariés à la diminution de l'absentéisme par une prime collective. Ce serait une manière de sanctionner un effort collectif de façon positive.

PARCOURS

• Thierry Rousseau, docteur en sociologie de l'université du Québec, est chargé de mission au département changement technologique et organisationnel de l'Anact (Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail). Ses domaines d'intervention sont l'absentéisme, la gestion des âges et la régulation de la charge de travail.

• Il est l'auteur du guide pratique L'absentéisme, outils et méthodes pour agir (téléchargeable sur le site <www.anact.fr>) et publiera, en 2010, un ouvrage plus approfondi sur ce sujet.

LECTURES

Travail et pouvoir d'agir, Yves Clot, PUF, 2008.

Faire face aux exigences du travail contemporain : conditions du travail et management, Pascal Ughetto, éd. de l'Anact, 2007.

La démographie du travail pour anticiper le vieillissement, Anne-Françoise Molinie et Serge Volkoff, éd. de l'Anact, 2002.