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Les pratiques

La portabilité des garanties de prévoyance-santé s'impose aux entreprises

Les pratiques | publié le : 27.10.2009 |

Le ministère du Travail vient d'étendre l'avenant 3 à l'article 14 de l'accord national interprofessionnel (ANI) sur la modernisation du marché du travail. Toutes les entreprises du champ interprofessionnel sont donc tenues d'instaurer un mécanisme de portabilité de leurs garanties de prévoyance-santé pour leurs ex-salariés privés d'emploi. Mais les difficultés pratiques subsistent.

Plus d'exception. Depuis le 15 octobre, toutes les entreprises relevant du champ interprofessionnel doivent assurer la portabilité des garanties de prévoyance-santé à leurs salariés dont elles rompent le contrat (sauf en cas de licenciement pour faute lourde) et qui sont pris en charge par l'assurance chômage. Le ministère du Travail a enfin publié l'arrêté d'extension du dernier avenant à l'article 14 de l'accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail. Ce texte, que les partenaires sociaux avaient signé à l'unanimité le 18 mai 2009, est souvent qualifié «d'ANI bis», puisqu'il a complètement réécrit le texte d'origine, réputé approximatif. Il ne manque plus, dorénavant, qu'un arrêté de généralisation pour déployer ce droit dans l'ensemble des entreprises «hors champ», regroupant les secteurs des professions libérales, de l'économie sociale et solidaire, du caoutchouc, de la presse et des entreprises agricoles.

Un dispositif déjà expérimenté

Les sociétés qui adhèrent à l'un des trois syndicats patronaux signataires (CGPME, Medef, UPA), ou même indirectement, via leur organisation professionnelle, ont déjà une première expérience. Pour elles, la portabilité est en vigueur depuis le 1er juillet. Ainsi, depuis l'été, Renault Trucks (près de 10 000 salariés) l'a proposée à 116 personnes. Douze d'entre elles l'ont refusée. Mode opératoire pour chaque bénéficiaire : la DRH demande le justificatif de prise en charge Assedic, avant d'appliquer une retenue intégrale de la cotisation du salarié sur son solde de tout compte - à concurrence de neuf mois, selon son ancienneté dans l'entreprise.

L'entreprise veille aussi, chaque mois, à bien recevoir le dernier justificatif Assedic. Sachant que Renault Trucks a passé ses contrats avec quatre institutions différentes (Apicil et Ionis pour le gros risque ; Micil - groupe Apicil - et FNMS pour les frais de santé), l'ex-salarié n'a donc pas à multiplier les courriers. « Sauf dans l'hypothèse de débours importants, précise Florence Rosenfeld, responsable Compensation & Benefits. L'institution peut ponctuellement le lui réclamer, précisément parce que sa situation peut avoir évolué entre le moment où il nous a fourni son justificatif et celui où il demande la prise en charge. » S'il retrouve un emploi avant la fin de la portabilité, c'est encore vers Renault Trucks qu'il se tourne pour récupérer l'excédant de cotisation.

Comme une majorité d'employeurs, Renault Trucks fait aussi le choix d'opérer par cofinancement. « Il est logique que chacun participe individuellement à sa couverture, déclare Florence Rosenfeld. Le fait d'accorder des prestations à des bénéficiaires qui ne les paieraient pas peut entraîner un déséquilibre du régime. Donc une hausse des cotisations à verser par les actifs occupés », à niveau de couverture équivalent.

Du côté des institutions, les interprétations divergent. Il y a, tout d'abord, ceux qui suggèrent, sans l'imposer, le cofinancement : « En période de crise, c'est la solution la plus adaptée à court terme, affirme Laurent Richard, directeur du développement de Mutuelle Existence. Car les entreprises peuvent maintenir une continuité de financement sans voir augmenter le coût de leurs contrats. » AXA France laisse le choix, lui aussi, mais préconise la mutualisation : « Pour l'entreprise, c'est la meilleure façon de simplifier sa gestion administrative et d'éviter d'éventuels litiges pour défaut d'information », affirme Yves Hérault, directeur en prévoyance collective. En trois mois, AXA a reçu près de 500 demandes de portabilité. « Celles qui nous sont parvenues en septembre sont majoritairement des dossiers de cofinancement », souligne Didier Persyn, directeur santé prévoyance. L'assureur a prévu une hausse de 2 % sur cette catégorie de contrats. Mais il fait réviser les cotisations au-delà, si l'entreprise met en place un plan social menaçant plus de 20 % des salariés assurés.

D'autres organismes imposent le mode de financement, quitte à perdre des clients. C'est le cas d'Apicil, rapporte Dominique Meunier, directeur des assurances collectives chez le courtier Capitis Entreprise : « Plusieurs centres E. Leclerc ont dû résilier leur contrat avec cette institution, afin de se conformer à leur convention collective qui prévoit la mutualisation pour les non-cadres. » Ils se sont tournés vers l'assureur «conventionnel» des métiers de l'alimentaire, Isica (groupe AG2R).

Risques de contentieux

Pour les entreprises qui ont préféré jouer la montre, parce qu'elles n'adhèrent à aucune organisation patronale signataire, le risque de litige peut se révéler redoutable. Que se passera-t-il si un ex-salarié, grièvement accidenté au printemps, après son préavis, se retourne contre son employeur parce qu'il lui a refusé le bénéfice d'une rente qu'il aurait touchée grâce à la portabilité ? Le débat d'experts n'est pas clos.

Bref rappel du contexte : l'article 14 de l'ANI, étendu, a ensuite été amendé par trois avenants en 2009, dont seul le premier d'entre eux se trouvait étendu. Jusqu'au 14 octobre, quel texte faisait autorité ? « L'avenant 3 non encore étendu, répond l'avocate Laure Mazon (cabinet Aguera & Associés). Car l'article 14 a été remplacé et complètement réécrit. En droit, il n'existait plus. Son extension était sans effet juridique vis-à-vis des entreprises du champ interprofessionnel qui n'adhèrent pas aux syndicats représentatifs. » A l'inverse, l'avocat Gilles Briens laisse entendre que les textes déjà étendus restent opposables à ces employeurs : « Ils sont liés par l'article 14 de l'ANI dans sa version initiale, affirme-t-il, pour des périodes se situant entre le 26 janvier et le 20 mars 2009, puis à compter du 1er mai, jusqu'à l'extension de l'avenant 3. »

La notion de garanties collectives reste floue

Hormis ce risque de contentieux, l'avocat considère que l'avenant 3 laisse entières certaines questions. « La plupart des commentateurs s'accordent à dire que l'obligation de compléter le salaire en cas de maladie par l'employeur, dite «mensualisation», n'est pas concernée par la portabilité. Certains partenaires sociaux contestent déjà cette position, estimant que la notion de garanties collectives vise toutes les garanties, pas seulement celles résultant des contrats d'assurance. Mais, en pratique, dans le cadre d'une même convention collective, un employeur peut décider que le contrat de prévoyance intervient en relais de l'obligation conventionnelle de maintien de salaire. Ou bien il fait assurer, pour partie, son obligation. Si on considère que le dispositif de portabilité ne s'applique qu'aux droits liés aux contrats d'assurance, le résultat n'est pas le même. Dans le premier cas, le salarié malade pendant la période dite de mensualisation ne bénéficiera d'aucune portabilité. Dans le second cas, la prise en charge s'exercera. »

L'essentiel

1 Depuis le 15 octobre, la majorité des entreprises sont tenues de garantir la portabilité des garanties prévoyance-santé de leurs ex-salariés licenciés.

2 Certaines entreprises se sont déjà penchées sur les modalités pratiques de financement à adopter.

3 Des questions juridiques restent en suspens, et un risque de contentieux émerge.